Occuper le terrain, les médias, les magasins… À l’heure du soi-disant tout digital, les mouvements de revendications (d’Occupy Wall Street à Nuit Debout, March For Our Lives ou les Gilets Jaunes) se donnent pour objectif d’occuper le “vrai” terrain. Derrière l’absentéisme électoral et le rejet des formes traditionnelles d’engagement (on oublie les vieux partis et les vieilles “assoc”), les plus jeunes individus portent avec eux la certitude qu’ils ne seront jamais entendus dans une société-écran à qui l’on doit aussi bien notre endormissement que les raisons de caillasser les Apple Store. Le numérique est-il le cœur de nos problèmes ? “Toutes les raisons sont réunies, mais ce ne sont pas les raisons qui font les révolutions, ce sont les corps. Et les corps sont devant les écrans, prévenait le célèbre Comité invisible dans son texte Maintenant (2017), qui faisait suite à L’Insurrection qui vient (2007), livre de chevet d’une précédente génération d’intellectuels et d’artistes engagés. Toutes les raisons de faire une révolution sont là. Il n’en manque aucune. Le naufrage de la politique, l’arrogance des puissants, le règne du faux, la vulgarité des riches, les cataclysmes de l’industrie, la misère galopante, l’exploitation nue, l’apocalypse écologique – rien ne nous est épargné, pas même d’en être informés.” Les écrans servent de masques aux différents pouvoirs. Comment recréer de l’écoute, de l’empathie et, in fine, de la démocratie, dans un monde trop algorithmique, trop comptable, trop libéral ? C’est exactement la question que se posent aujourd’hui les lycéens aux prises avec Parcours Sup, face à un logiciel qui, à lui seul, cache un enjeu philosophique lié à ce foutu monde digital que l’Éducation nationale voudrait à tout prix efficace et rentable. Il est temps de redonner vie et corps à la froideur de nos rapports humains et à nos luttes. Les causes à défendre ne manquent pas.
Aujourd’hui, les jeunes de l’an 2000 (pas ceux chantés par NTM en 1998 ou par Diam’s en 2006, mais ceux vraiment nés en l’an 2000), ne sont pas émerveillés par ce monde numérique qu’ils ont toujours connu. Ces enfants du siècle apparaissent sur la scène politique comme abandonnés au pouvoir absolu des Gafa, cadors de l’évasion fiscale, et lâchés dans la chienlit écologique, sur un marché du travail hyperconcurrentiel, avec une accélération de l’accroissement des inégalités de patrimoine et le maigre butin des quinze dernières années de lutte sociale. Ce que décrivait le rap des années 90 et 2000 ne s’est pas durci : il s’est massifié. Ce que des figures comme NTM incarnaient de la culture hip hop, jeune et marginale, est devenu mainstream en englobant tous les âges ; la réalité décrite s’est étendue au devenir commun. Exit les revendications de 1968 qui parlaient alors d’une génération cherchant à s’émanciper du patriarcat. Loin de la culture selfie soi-disant égotiste comme certains réacs la qualifient, la “nouvelle” jeunesse n’a pas le monopole de l’engagement et ne se constitue pas comme une cause en tant que telle à défendre.