Col roulé et Pull en laine AMI Alexandre Mattiussi

Dans une autre vie, Hervé a joué au Koko, mythique salle londonienne de Camden. Il faisait alors partie du duo électro franco-britannique Postaal, qui lui a ouvert les portes du circuit professionnel et de la scène. Aujourd’hui, le jeune homme se produit seul et chante en français, dans une langue brute et poétique, à l’ombre de ses trois maîtres avoués : Bashung, Higelin et Christophe.

Parce que nous l’avons vu (plusieurs fois) en concert, osons affirmer que la musique française s’est trouvée une nouvelle voix tout aussi forte et singulière que celles de ses aînés. Une personnalité exsudant la mélancolie, la Bretagne, le foot, l’amour, le vrai. Rencontre avec cette nouvelle étoile de la chanson autour de la sortie de son premier EP, Mélancolie F.C., mixé par Julien Delfaud (Phœnix, Clara Luciani, Lou Doillon, Lomepal…), d’une témérité face aux épreuves et d’une intimité déchirantes.

Mixte. Le thème de notre numéro tourne autour des destinations inconnues. 

Hervé. Ça tue.

M. D’où viens-tu ? 

H. J’ai grandi avec ma mère et l’un de mes grands frères en banlieue parisienne, à Fontenay-sous-Bois, entre Trappes et Versailles, l’A13 et les Champs (Élysées, ndlr), à 45 minutes de Paris en Transilien. J’allais jouer au foot à Montigny-le-Bretonneux, à 30 minutes de chez moi. Je suis resté là-bas jusqu’à mes 18 ans, et puis je suis monté à Paris bosser et faire de la musique.

M. Tu étais quel genre d’enfant ? 

H. Ça dépend des périodes ! (Rires) Jusqu’à 8-10 ans, j’étais assez joyeux, cool, mais hyperactif et hypersensible. Très vite, l’école ne m’a plus intéressé… J’ai failli sauter une classe, même deux, mais je ne l’ai pas fait et je me suis ennuyé. Au lycée, j’ai complètement décroché et j’ai passé mon bac en candidat libre.

M. Ton exutoire passait davantage par le foot ou la musique ? 

H. J’ai commencé le foot à 4-5 ans. Le piano, je l’ai découvert plus tard, vers 10-12 ans, à travers une compile de musique classique qui traînait à la maison, avec une super jolie fille sur la pochette. Une sorte de best-of de Beethoven, les sonates, tout ça… Et là, le son du piano m’a transcendé complètement. Je me suis mis à jouer sur la table, c’était fou, j’avais des frissons partout. Ma mère a dit : “OK, on va voir ce qu’on peut faire…” À la maison, on n’était pas dans ces codes de la culture bourgeoise : danse classique, cheval et piano. On a trouvé un piano d’occase, je m’y suis mis et ça n’a pas fonctionné du tout. Il y avait comme une forme de dyslexie entre mes oreilles, le son et mes mains. J’ai abandonné l’école de musique, le piano est resté là, j’ai continué le foot jusqu’à 15 ans environ. Je me suis retrouvé à la maison avec ce clavier, j’ai repris quelques leçons, et là, j’ai compris. On dit souvent : “quand tu le sais, tu le sais”. Eh bien, je l’ai senti. Je me suis dit : “Je vais taffer, je m’en fous d’être connu, je vais juste organiser ma vie pour en faire le plus possible.” Aujourd’hui, j’éprouve encore ces premières sensations.

M. Tu n’as pas eu peur de décrocher de l’école ? 

H. Pas du tout. Parallèlement au lycée, j’ai commencé à travailler à 16 ans pour acheter du matos et pouvoir bosser la musique chez moi. Mon meilleur pote avait une boîte de services. Mon premier job a été un déménagement chez Lagardère place de l’Étoile, de la remise en état. Et puis, je travaillais pendant les vacances de la Toussaint et de février. Ça me permettait de m’acheter des fringues, d’inviter mes copines au cinéma et de faire de la musique. Une fois que j’ai eu le bac, ma mère m’a dit : “Très bien, maintenant ça va le faire, on va se débrouiller”. On est partis avec elle et mon frère en Scénic à Pigalle chercher une carte son…

Bomber en laine et cuir CELINE par Hedi Slimane, Tee-shirt en coton MAJESTIC.

M. Quel style de musique t’inspirait ? 

H. J’écoutais beaucoup de rap français parce que c’était ce qui nous parlait le plus : dans ses codes et le mélange des langues. Mon meilleur ami était le beau-frère de Mokobé, l’un des fondateurs du 113. C’était l’époque de leur pleine gloire, du feat avec Bangalter (sur le titre “113 fout la merde” sorti en 2002, le groupe 113 invitait en featuring Thomas Bangalter, moitié des Daft Punk, ndlr) et de leur arrivée en Peugeot 504 break sur le plateau des Victoires de la musique. On portait leurs tee-shirts, ils avaient explosé. Le 113 nous représentait bien, avec son mix entre Guadeloupe, Mali et Algérie… J’écoutais aussi de la chanson, du funk, sur radio FM, Skyrock. On prenait le RER, on traînait à Châtelet. On s’amusait et on s’ennuyait aussi. Tu fais n’importe quoi quand tu n’es ni à la campagne – où il y a de l’élevage et des savoir-faire particuliers – ni dans Paris, où, surtout ado, tu comprends que tu n’as pas les codes en termes de mode vestimentaire, de musique, de distance entre les gens dans la rue. Moi ça allait, je me faufilais…

M. Entre le rap et le piano, quel a été le déclic qui t’a fait passer du côté pro ? 

H. À 18 ans, je me suis retrouvé à faire beaucoup de claviers pour un producteur, Sec.Undo, qui bossait pas mal pour NTM, IV My People, Salif… Mais ça restait limité et je gagnais mieux ma vie en bossant ailleurs. Et par le biais d’un pote, j’ai rencontré Dennis en studio. Il avait douze ans de plus que moi, il venait de Portsmouth, on aimait les mêmes accords, on partageait beaucoup de références. On s’est revus le lendemain soir, et on a fait un titre dans la nuit : une bromance s’est nouée et le groupe Postaal est né. On a beaucoup tourné en Europe avec un management en Angleterre assez fat. On a même fait un DJ set au Brésil pendant les Jeux. Je m’occupais des clips et des pochettes dans une logique d’autosuffisance. Avec Dennis, on se parlait surtout à travers le son. J’étais un peu à l’ouest avec les mails en anglais… Je n’ai pas fait de grandes études et j’ai l’habitude de regarder les films en VF, alors je google translaitais non stop.

M. Tes premières chansons en français datent de cette époque ? 

H. Un jour, je suis parti en Bretagne avec des bouts de textes, tout ce que j’avais. J’ai commencé à faire un titre, puis deux. Quand je me suis mis à chanter, c’est venu naturellement. Et puis, je me rappelle être allé fumer. On devait être au mois de mars, le temps était brumeux. Et je me suis dit : “C’est ça que je dois faire.” Je suis rentré à Paris, j’ai fait une démonstration à Dennis, qui m’a dit : “No way. On a un album à sortir…” Alors, j’ai avancé dans mon coin. Un temps de latence finalement utile. En Angleterre, j’ai découvert la drum and bass, la jungle, je suis allé à Margate, j’ai rencontré plein d’artistes, plein de sons, les raves…

col roulé et Pull en laine AMI Alexandre Mattiussi, Pantalon en coton BRUNELLO CUCINELLI, Bagues personnelles

M. Pourquoi la Bretagne ? 

H. Toute ma famille, à part ma mère, habite là-bas. J’y vais dès que j’ai quatre jours de libres. Mon père est installé vers Plougasnou, dans le Finistère Nord. Pas très loin de Brigitte Fontaine ou de Yann Tiersen ; je sais que les Higelin ont pas mal traîné là-bas aussi. Il y a beaucoup d’artistes un peu fous dans le coin. Quand tu vas au café, tu rencontres encore des mecs qui prennent du LSD à 70 ans. Des types qui ont eu des vies un peu folles… J’y vais souvent, c’est inspirant.

M. Sur scène, tu dis : “Je m’appelle Hervé. Hervé comme tout le monde”. C’est pour jouer au mec passe-partout ? 

H. Je me suis rendu compte très tard que j’avais un prénom de vieux. Il y a genre deux ou trois ans. Avant, je croyais que c’était un prénom breton juste un peu cool… Et après les Christine, les Jacques, les Suzanne je me suis aperçu que les prénoms vieillots, c’était à la mode ! Je n’ai pas voulu tricher aussi bien dans l’image, les fringues, les attitudes que la scène. C’est un projet qui doit être le plus sincère possible. “Hervé comme tout le monde”, c’est pour dédramatiser le truc. Il n’y a pas d’artifices.

M. Tes prestations sur scène gagnent en puissance. Un mot sur ce que tu ressens en live ? 

H. C’est quelque chose de l’ordre de l’adrénaline, de la folie. C’est comme quand tu sautes en parachute, à l’élastique ou que tu surfes des grosses vagues : le principe est débile, mais ça reste quelque chose de génial quand tu es tout seul sur scène et que tu vois du monde jusqu’au fond de la salle… Le mec qui me dit qu’il est conscient à ce moment-là, qu’il aille dire bonjour et serrer la main à tout le monde !

En concert le 24 octobre au Théâtre La Piscine à Chatenay Malabry, le 29 octobre à la Salle du Grand Marais à Riorges et le 4 novembre aux Étoiles à Paris.

Coiffure : Leslie Thibaud @Airport Agency Maquillage : Megumi Itano @Calliste Agency Assistante Photographe : Lisa Marleen Muller. Assistantes Styliste : Audrey Le Pladec, Claire Roussel.