La fille cachée de Kate Moss
“Perturbante”, pour reprendre ses mots, cette phase de notoriété en ligne a néanmoins un impact positif sur la jeune Jade : elle lui permet de regagner confiance en elle. Quelque temps plus tard, elle ouvre un compte Twitter et Instagram, les deux réseaux sociaux qu’elle n’avait pas utilisés jusque-là (“Même si les gens de Facebook m’ont très vite retrouvée : j’ai eu 1 500 abonnés direct sur Insta !”), et enchaîne les mirror selfies et autres moments de vies quotidiens. “Je suis devenue une mini Instagrameuse, quoi ! lance-t-elle dans un rire, lucide et foncièrement en accord avec ses choix. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à me contacter sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, et que ma carrière de mannequin a débuté.” Décrite par le Vogue comme “la fille cachée de Kate Moss”, considérée par d’autres comme le parfait mélange entre Kate Moss et Devon Aoki, Jade intrigue par son physique de poupée et son regard magnétique. Une allure qui lui permet de décrocher un contrat avec l’agence Storm Models, et la propulse sur des campagnes pour de grandes maisons telles que Fendi et Versace Jeans, mais aussi des marques plus confidentielles telles que Nodaleto, dont elle devient l’égérie. Cependant, la musique ne disparaît pas pour autant. Plus Jade prend la pose sous le feu des projecteurs, plus elle écrit et compose. Entre deux shootings photo, son feed Instagram se charge de vidéos dans lesquelles elle reprend, de son chant vulnérable, du Billie Eilish ou du Sabrina Claudio, tout en postant des extraits vidéo de ses propres compositions. Encouragée par un groupe d’amis rappeurs, elle se met à apprendre les bases du beatmaking sur GarageBand. Son envie de créer prend instantanément une nouvelle tournure, se concrétise de plus belle. “On téléchargerait des type beats via des MP3 convertors, on enregistrait nos voix avec nos écouteurs… Le son n’était clairement pas ouf, mais on kiffait vraiment ça !” raconte-t-elle. Un soir de 2019, alors qu’elle se trouve chez son ex-petit ami, elle est prise d’une soudaine inspiration : “J’ai pris son ordi, j’ai enregistré un truc sur un type beat que j’ai trituré comme je pouvais, et je me suis dit : ‘Ok, c’est un peu bien, ça pourrait être cool de partager ça’. Je l’ai appelé ‘23h47’, l’heure à laquelle je l’avais fait, et je l’ai posté sur SoundCloud.” Suki était née.
Jade et Suki
Qui est Suki, d’ailleurs ? “Suki est la même personne que Jade, une sorte d’extension de moi-même. C’est un surnom qu’on m’a donné à une soirée : un mec m’a dit que je ressemblais à une version bébé de Suki, le personnage incarné par Devon Aoki dans le film Fast & Furious… ce qui m’allait plutôt bien, car je suis également fan de voitures. Depuis, c’est resté.” En allumant une autre cigarette, elle poursuit : “Il faut dire que c’est beaucoup plus simple que mon nom de famille, Rabarivelo, qu’on a écorché je ne sais combien de fois. Suki, c’est quatre lettres, c’est drôle, si les gens n’arrivent pas à le prononcer, s’ils prononcent ‘Suki’ au lieu de ‘Souki’, c’est pas grave… En tout cas, je ne pouvais juste plus traîner Jade Rabarivelo (rires) !” Outre le fait de signer la naissance de Suki, “23h47” pose les bases de son style musical : un son mélancolique de l’intime, coincé quelque part entre indie, R&B, pop et électro, via lequel Jade purge ses amours passées dans la langue de Shakespeare. “J’ai du mal à définir ma musique parce que… j’ai envie de faire tellement de choses différentes”, déclare-t-elle. Il est vrai que, lorsqu’on lui demande de nous parler de ses inspirations, la jeune femme a du mal à se contenir. Elle déborde, même. Dans un flot de paroles continu, elle cite pêle-mêle des artistes plutôt “indie sad” (selon son expression) comme Lana Del Rey, Birdy, The Neighbourhood et Arctic Monkeys ; des groupes de metal tels que Bring Me The Horizon et AC/DC ; des noms de la scène R&B contemporaine à la Frank Ocean, H.E.R. et Lucky Daye ; sans oublier Charlie XCX et Kim Petras, véritables icônes de l’hyperpop. “Et Kanye West, bien sûr !” ajoute-t-elle à la liste. “Résultat, je me suis toujours un peu pris la tête pour savoir ce que je voulais faire… J’ai commencé avec de l’acoustique, juste moi et ma guitare, mais j’ai des envies tellement variées. Et puis, récemment, je me suis dit : ‘Ok, stop ! Si tu veux faire un truc guitare-voix Birdy kind of shit un jour, que le lendemain tu as envie de passer en mode guitare électrique hardcore, et que le surlendemain tu es plutôt dans un truc piano méga blues… Tu peux tout faire. Il n’y a pas besoin de mettre une étiquette dessus’.”