Manteau long garni de duvet en nylon laqué recyclé, Boots à plateformes en cuir, 2 Moncler 1952 Woman. Collants, Stylist’s own. Boucles d’oreilles, Personnel.

Remarquée en tant que mannequin, Jade Rabarivelo est avant tout chanteuse et musicienne, plus connue sous le nom de Suki. Un alter ego captivant, dans la peau duquel elle exprime le poids de sa mélancolie.

Il suffit de jeter un coup d’œil au compte Instagram de Jade Rabarivelo pour comprendre que la musique et la mode sont deux réalités bien ancrées dans sa vie. Deux moyens d’expression qui lui permettent de trouver un équilibre certain. Pour ses 40 000 followers, cette artiste parisienne de 19 ans alterne éditos mode léchés et vidéos lo-fi. C’est surtout dans ces dernières que, le teint au naturel et une guitare en main, la jeune musicienne se livre à des sessions acoustiques intimistes filmées depuis sa chambre. “Les gens me considèrent souvent comme une mannequin qui fait de la musique, mais c’est tout l’inverse, désamorce-t-elle, étendue de tout son long sur un canapé. J’ai toujours fait de la musique, alors que le mannequinat m’est tombé dessus un peu par hasard.” Pur produit de la capitale française, Jade est fille d’une Franco-Polonaise et d’un Américain aux origines malgaches et malaysiennes. Cigarette au bout des lèvres, elle se remémore son enfance passée à écouter des albums de Stevie Wonder en famille : “Il y avait toujours de la musique à la maison. Ma mère adorait chanter, et mon père jouait de la guitare”. C’est justement son père mélomane qui lui en offre une le jour de ses 13 ans – un instrument qui ne la quittera plus. Alors qu’elle commence à apprivoiser les cordes et les tables d’accords, Jade est repérée par des agences de mannequin. “C’était l’époque où les gens commençaient à scouter les filles sur les réseaux ou dans la rue, se souvient-elle. Ça paraissait cool, mais ça me faisait un peu peur en même temps, surtout que j’ai appris à ce moment-là que mes parents avaient également fait un peu de mannequinat dans les années 1990, et que ma mère avait eu des expériences un peu sketchy avec des photographes louches… De toute façon, à ce moment-là, ça m’était impossible de me lancer là-dedans : je me trouvais trop moche ! Je n’avais aucune confiance en moi.”

 

Une « vraie reine » sur les réseaux sociaux

Pour faire face à ses insécurités, Jade se réfugie dans la musique. À l’abri des regards indiscrets, installée sur son lit d’adolescente, elle se met à gratter des textes introspectifs et à composer des bouts de chansons sur sa guitare, guidée par un fort sentiment de spleen. “C’était la grande ère de Tumblr, des poèmes un peu sad… indique-t-elle dans un sourire. Mais en vrai, j’adorais écrire et jouer, donc je me suis simplement dit : ‘Pourquoi ne pas essayer de faire des chansons ?’ ” Très vite, Jade se prend au jeu, finissant par donner vie à des compositions guitare-voix nostalgiques qu’elle divulgue sur une page Facebook sans jamais montrer son visage – symptôme de son manque de confiance en elle. Cette page attire aussitôt des milliers de likes, cumulant parfois plus de 100 000 vues pour une seule vidéo – un chiffre colossal pour le réseau social de Mark Zuckerberg en 2014. “C’était assez perturbant parce que dans la vraie vie, à l’école, j’étais une meuf hyper lambda ; mais j’avais aussi cette autre vie, sur internet, où j’étais une vraie reine ! s’exclame-t-elle, visiblement encore sous le coup de la surprise. J’avais 13 ans, et des meufs de 20 ans m’envoyaient des messages pour m’expliquer qu’elles voulaient être moi… C’était fou.” Encouragée par ses fans digitaux, qui ne cessent de lui demander à quoi elle ressemble, Jade finit par dévoiler son visage sur une chaîne YouTube créée spécialement pour l’occasion, qui gagne rapidement une petite communauté. “À partir de ce moment-là, j’ai freaked out, relate-t-elle dans un franglais parfaitement maîtrisé. Les gens me disaient : ‘Il faut que tu nous donnes une adresse postale pour qu’on puisse t’envoyer des cadeaux, tu vas faire des unboxing, des meet up, blablablabla’… Ça devenait trop intense. Et puis, il y avait quelque chose de très triste aussi, dans cette époque Tumblr…. Je sentais que j’avais besoin de repartir à zéro, de laisser ça derrière moi.” Du jour au lendemain, Jade décide de fermer sa page Facebook, sa chaîne YouTube et le compte Snapchat sur lequel elle partageait également ses créations, sans laisser de trace. “Aujourd’hui, je remercie la jeune Jade d’avoir pris cette décision”, analyse-t-elle soulagée.

Combinaison en laine, 2 Moncler 1952 Woman. Boucles d’oreilles, Personnel.
Jupes en nylon, Veste sans manches en nylon, Col roulé en laine, 2 Moncler 1952 Woman. Collants, Stylist’s own. Boucles d’oreilles, Personnel.
La fille cachée de Kate Moss

“Perturbante”, pour reprendre ses mots, cette phase de notoriété en ligne a néanmoins un impact positif sur la jeune Jade : elle lui permet de regagner confiance en elle. Quelque temps plus tard, elle ouvre un compte Twitter et Instagram, les deux réseaux sociaux qu’elle n’avait pas utilisés jusque-là (“Même si les gens de Facebook m’ont très vite retrouvée : j’ai eu 1 500 abonnés direct sur Insta !”), et enchaîne les mirror selfies et autres moments de vies quotidiens. “Je suis devenue une mini Instagrameuse, quoi ! lance-t-elle dans un rire, lucide et foncièrement en accord avec ses choix. C’est à ce moment-là qu’on a commencé à me contacter sur les réseaux sociaux ou dans la vraie vie, et que ma carrière de mannequin a débuté.” Décrite par le Vogue comme “la fille cachée de Kate Moss”, considérée par d’autres comme le parfait mélange entre Kate Moss et Devon Aoki, Jade intrigue par son physique de poupée et son regard magnétique. Une allure qui lui permet de décrocher un contrat avec l’agence Storm Models, et la propulse sur des campagnes pour de grandes maisons telles que Fendi et Versace Jeans, mais aussi des marques plus confidentielles telles que Nodaleto, dont elle devient l’égérie. Cependant, la musique ne disparaît pas pour autant. Plus Jade prend la pose sous le feu des projecteurs, plus elle écrit et compose. Entre deux shootings photo, son feed Instagram se charge de vidéos dans lesquelles elle reprend, de son chant vulnérable, du Billie Eilish ou du Sabrina Claudio, tout en postant des extraits vidéo de ses propres compositions. Encouragée par un groupe d’amis rappeurs, elle se met à apprendre les bases du beatmaking sur GarageBand. Son envie de créer prend instantanément une nouvelle tournure, se concrétise de plus belle. “On téléchargerait des type beats via des MP3 convertors, on enregistrait nos voix avec nos écouteurs… Le son n’était clairement pas ouf, mais on kiffait vraiment ça !” raconte-t-elle. Un soir de 2019, alors qu’elle se trouve chez son ex-petit ami, elle est prise d’une soudaine inspiration : “J’ai pris son ordi, j’ai enregistré un truc sur un type beat que j’ai trituré comme je pouvais, et je me suis dit : ‘Ok, c’est un peu bien, ça pourrait être cool de partager ça’. Je l’ai appelé ‘23h47’, l’heure à laquelle je l’avais fait, et je l’ai posté sur SoundCloud.” Suki était née.

 

Jade et Suki

Qui est Suki, d’ailleurs ? “Suki est la même personne que Jade, une sorte d’extension de moi-même. C’est un surnom qu’on m’a donné à une soirée : un mec m’a dit que je ressemblais à une version bébé de Suki, le personnage incarné par Devon Aoki dans le film Fast & Furious… ce qui m’allait plutôt bien, car je suis également fan de voitures. Depuis, c’est resté.” En allumant une autre cigarette, elle poursuit : “Il faut dire que c’est beaucoup plus simple que mon nom de famille, Rabarivelo, qu’on a écorché je ne sais combien de fois. Suki, c’est quatre lettres, c’est drôle, si les gens n’arrivent pas à le prononcer, s’ils prononcent ‘Suki’ au lieu de ‘Souki’, c’est pas grave… En tout cas, je ne pouvais juste plus traîner Jade Rabarivelo (rires) !” Outre le fait de signer la naissance de Suki, “23h47” pose les bases de son style musical : un son mélancolique de l’intime, coincé quelque part entre indie, R&B, pop et électro, via lequel Jade purge ses amours passées dans la langue de Shakespeare. “J’ai du mal à définir ma musique parce que… j’ai envie de faire tellement de choses différentes”, déclare-t-elle. Il est vrai que, lorsqu’on lui demande de nous parler de ses inspirations, la jeune femme a du mal à se contenir. Elle déborde, même. Dans un flot de paroles continu, elle cite pêle-mêle des artistes plutôt “indie sad” (selon son expression) comme Lana Del Rey, Birdy, The Neighbourhood et Arctic Monkeys ; des groupes de metal tels que Bring Me The Horizon et AC/DC ; des noms de la scène R&B contemporaine à la Frank Ocean, H.E.R. et Lucky Daye ; sans oublier Charlie XCX et Kim Petras, véritables icônes de l’hyperpop. “Et Kanye West, bien sûr !” ajoute-t-elle à la liste. “Résultat, je me suis toujours un peu pris la tête pour savoir ce que je voulais faire… J’ai commencé avec de l’acoustique, juste moi et ma guitare, mais j’ai des envies tellement variées. Et puis, récemment, je me suis dit : ‘Ok, stop ! Si tu veux faire un truc guitare-voix Birdy kind of shit un jour, que le lendemain tu as envie de passer en mode guitare électrique hardcore, et que le surlendemain tu es plutôt dans un truc piano méga blues… Tu peux tout faire. Il n’y a pas besoin de mettre une étiquette dessus’.”

Combinaison en laine, 2 Moncler 1952 Woman. Boucles d’oreilles, Personnel.
Manteau en cuir verni, Combinaison en laine, 2 Moncler 1952 Woman. Boucles d’oreilles, Personnel.
Un premier EP dans les tuyaux

Sans mettre d’étiquette sur sa musique donc, Jade parvient peu à peu à trouver son équilibre, en s’entourant notamment d’alliés de choix. Il y a d’abord le musicien Jérémy Chatelain, aux côtés duquel elle donne vie à “Blessing”, son premier single officiel paru le 12 octobre 2020 et illustré avec un clip DIY délicieux. “J’adore faire mes propres vidéos, commente-t-elle. La musique et l’image, ce sont deux univers que j’adore, et plus le temps passe, plus ils se combinent.” Il y a aussi Brevin Kim, duo de producteurs américains qui se cache derrière son deuxième single “Move One” paru en mai dernier, qui précisait son envie d’aller vers des morceaux davantage électroniques, loin de ses premiers essais acoustiques. Sans oublier KCIV, connu pour ses collaborations avec Lujipeka, Bramsito ou encore Joanna. “C’est avec lui que je prépare mon premier EP officiel, qui devrait sortir cet automne… annonce-t-elle, non sans fierté. On a vraiment eu une connexion incroyable, lui et moi. L’EP a été réalisé en trois jours, on arrivait à 18 heures au studio pour en ressortir à 7 heures du matin… c’était fou ! Je pense que j’ai vraiment réussi à trouver mon identité musicale en faisant ce projet : des chansons un peu dark, souvent tristes, mais sur lesquelles tu vas malgré tout hocher la tête.” En attendant que paraisse ce premier projet, Suki a récemment dévoilé sur SoundCloud un EP “non officiel”, ironiquement baptisé This Is Not The EP. Entièrement produit par ses soins, ce quatre-titres aérien (qui n’est pas sans rappeler les créations d’une Oklou ou d’une Clairo) se caractérise par un spleen profond, une voix auto-tunée et des sonorités à la fois désenchantées et dansantes qui annoncent la couleur de son premier EP “officiel” à venir. “J’espère vraiment que les gens l’apprécieront, même si je sais que ceux qui me suivent depuis le début préfèrent les choses acoustiques, concède-t-elle. Après tout, c’est comme ça que j’ai été connue : juste moi avec ma guitare, qui fais un truc hyper relatable…” Dans un énième nuage de fumée, les yeux rivés au plafond, Jade nous livre une dernière réflexion : “C’est vrai que, dans tous mes derniers morceaux, qui sont davantage électroniques, il y a ce truc, avec l’auto-tune, où je me cache un peu, parce que je suis plus à l’aise. Et en ce moment, je suis dans cette phase où je me dis que l’acoustique est quand même toujours ce vers quoi je finis par me tourner à la fin de la journée.” Et de conclure : “Il va falloir que j’accepte que ça fait partie de moi. Les paillettes, les effets dans tous les sens, c’est cool, mais c’est aussi beau d’être un peu à poil… C’est quelque chose que j’envisage pour l’avenir. Il faut juste que je me concerte avec moi-même pour valider tout ça !”

Photographe : Joe Lai
Styliste : Victor Vergara

Talent : SukiCoiffure : Heitai Cheung
Maquillage : Kathy Le Sant @Call My AgentAssistant photographe : Rui Zhang
Set designer : Jade Boyeldieu D’Auvigny
Assistant styliste : Alva Moreno