Texte :  Stéphane Wargnier

On dit que « pour comprendre la fleur, il faut étudier la graine ». Qu’était donc Mixte à sa naissance, il y a 25 ans ? Le journaliste Stéphane Wargnier, ancien collaborateur de Mixte, revient sur les origines d’une publication indépendante de mode française unique en son genre.

Anticipant les usages de l’écriture inclusive, Mixte encadrait d’une parenthèse son e final pour laisser planer l’ambiguïté sur son genre : Mixt(e). Ou plus exactement pour s’affirmer “magazine de mode femme-homme”, joignant par ce tiret les deux genres plus qu’il ne les additionnait, créant ainsi une chimère bi-genrée et singulière. Sur la couverture de ce premier numéro de l’automne-hiver 1996, David Sims réunit sur un portrait en noir et blanc Stella Tenant et un jeune garçon, coiffé.e.s d’un carré lissé et vêtu.e.s du costume rayé de Jean Paul Gaultier. Le ton est donné : ici, un garçon manqué c’est une fille réussie, et réciproquement. Ce faisant, le magazine pose ses bases sur l’air du temps. Peu auparavant, Calvin Klein a lancé son parfum ck one avec une image (à la Avedon…) de Steven Meisel, fixant la beauté androgyne de l’adolescence, versant no-gender du pas de deux que les décennies à venir feront danser au masculin/féminin. De son côté, Jean Paul Gaultier inventait la haute couture homme dans un défilé culte de juillet 1996 où des messieurs à l’hyper virilité indubitable portaient traînes et corsets, ouvrant par là même la voie à une versatilité sexuelle qui multiplie les identités de genre plutôt que de les soustraire. Il n’y a pas que dans les restaurants de l’époque qu’on aime la fusion et la confusion. Mixte donne à ses double-je une vitrine sous la bannière de la passion qui les unit, la mode. “Ceux qui ont fait Mixt(e) ressemblent à ceux qui vont le lire : des amoureux de la mode et de tout ce qu’elle embrasse. La mode sur tous les modes”, énonce le premier édito. Dans le deuxième, les mots “énergie”, “curiosité”, “jubilation”, “urgence”, “présence”, “envie” montent à la surface d’un texte qui dit déjà la place que Mixte va tenir dans la presse fashion.

La cover du premier numéro de Mixte shootée par David Sims avec Stella Tennant (1996).

Un magazine de mode, c’est aussi un projet humain, un état d’esprit. Certains sont des clubs privés qui cooptent leurs membres à la pince à épiler, d’autres sont des trains en roue libre qui passent les saisons comme des gares trop familières, d’autres encore des écoles du style à la direction très tatillonne, d’autres enfin ne sont que des vitrines promotionnelles pour des talents surtarifés… Dans ce paysage si particulier où tout le monde se connaît en feignant de s’ignorer, Mixte serait plutôt, dès ses débuts, une maison de vacances aux portes grandes ouvertes, dont chaque chambre raconte une histoire gorgée de souvenirs. Au fil des ours, comme des saisons qui passent, on retrouve plein d’amis : Babeth Djian, Alexandra Senes, Farid Chenoune, Christian Caujolle, Isabelle Peyrut, Gérard Lefort, Yasmine Eslami, Olivier Zham, Nathalie Fraser, Thierry Colson, Vincent Dieutre, Marie Colmant, Stephen Todd, Emmanuelle Alt, Friquette Thevenet, Claire Dhelens, Loïc Prigent, Belén Casadevall… La maison est accueillante. sans compter un casting de photographes à rêver debout : Paolo Roversi, Mario Sorrenti, David Sims, Jean-Baptiste Mondino, Ellen von Unwerth, Mark Borthwick, Peter Lindbergh, Mario Testino, Nathaniel Goldberg, Steven Klein, Corinne Day, Jacob Sutton, Vivian Sassen, Jean-Paul Goude, Liz Collins mais aussi, plus inattendus, Duane Michals ou Andres Serrano, passés pour Mixte de l’art à la mode.

Mixte est curieux de tout, de tous et de toutes. plus ouvert que branché, plus cool que chic, plus new faces que star-system. sous la houlette d’un trio idéal, Tiziana, l’éditrice qui tient la barre, et les deux comparses, Christian et Guy à la direction artistique, l’arche de mixte accueille à son bord une aimable bande d’amoureux de la mode et de l’image, de la musique et du cinéma, de tout de ce qui fait l’air du temps. La mixité devient multiplicité et diversité. Si les générations de plumes et de photographes se succèdent au fil des saisons, leur liberté de s’exprimer reste toujours la même, permettant au titre d’évoluer avec ceux qui y participent. La maquette, elle aussi, change, toujours délicatement respectueuse des images et des textes. Le X de mixte se plante au centre de la couverture. Ce symbole des collaborations, qui envahissent la mode, signe l’esprit participatif du magazine. La chasse aux jeunes talents est ouverte toute l’année et Mixte reste ainsi un vrai média, passeur d’informations, d’idées et d’envies, quand d’autres se lancent dans une course perdue d’avance contre l’immédiateté du digital. La mode est pourtant affaire de rythme, comme le regard est affaire de distance. À courir après la nouveauté, on ne voit pas le temps passer. C’est bien pour ça que la mode est l’ultime agent anti-âge. Mais, en 2021, n’est-on pas sérieux quand on a 25 ans ? À regarder autour de nous les magazines tomber, on se dit que la modeste élégance de ce titre généreux est peut-être non seulement le secret de sa bonne santé, mais aussi un signe adressé à nous toutes et nous tous : pour vivre heureux, vivons mixé.e.s !