On pourrait donc se dire que ce champ politique que défriche cette génération n’est que du plus : plus d’écologie, plus de liberté, plus de représentation de toutes les diversités, qu’elles soient de genre, d’orientation sexuelle, d’origines ethniques ou sociales. Mais cette préoccupation politique impose également de nouvelles contraintes : ainsi la question de l’appropriation culturelle (à savoir la reprise par un groupe dominant des codes culturels d’un groupe dominé), à laquelle cette génération, contrairement à ses aînées, est obligée de se confronter. Aujourd’hui, certains défilés d’Yves Saint Laurent (les shows russes ou africains) ou de Jean Paul Gaultier (le défilé Rabbi Chic de 1993) ne pourraient plus se faire car ils seraient aussitôt taxés d’appropriation culturelle. Comme le prouvent les tollés provoqués récemment par plusieurs faits, telle que la vidéo promotionnelle des Italiens Dolce & Gabbana montrant une mannequin chinoise essayant de manger une pizza avec des baguettes (jugée raciste, elle a provoqué un scandale qui a conduit à l’annulation du défilé-événement qui devait avoir lieu en Chine) ; ou le projet de marque Kimono de Kim Kardashian qui jouait sur son prénom et sur le vêtement traditionnel japonais (là encore, le scandale, lancé par le maire de Kyoto qui lui reprochait de vouloir détourner à son profit un pan entier de la culture nippone, a contraint la star à renoncer à son projet) ; ou encore la créatrice américaine Carolina Herrera récemment critiquée par le gouvernement mexicain pour avoir utilisé dans son dernier défilé des motifs ethniques.
De quoi obliger toutes les maisons, les grandes comme les petites, à peser leur communication au trébuchet. Désormais, l’adage selon lequel il n’y a pas de mauvaise publicité n’a plus cours. Les marques veulent se construire une image positive. Et alors qu’il y a dix ans, les maisons se devaient absolument d’être présentes sur les réseaux sociaux et de communiquer, quelle que soit la manière de le faire le but étant qu’on parle d’elles, l’obsession aujourd’hui est d’éviter qu’on parle d’elles en mauvais termes, quitte à moins communiquer ou à marcher sur des œufs avec les éléments qui vont composer leur image. Pour les jeunes créateurs comme pour leurs aînés, l’enjeu n’est plus seulement d’exister, mais de bien choisir les éléments politiques mis en avant. Choix des inspirations (on a vu comment Virgil Abloh a souffert d’un mauvais timing en rendant un hommage à Michael Jackson en janvier dernier pour sa deuxième collection chez Louis Vuitton, au moment même où le documentaire Leaving Neverland détaillait le comportement prédateur du chanteur disparu avec ses jeunes victimes) ou bilan carbone, le futur de la mode se jouera sur un terrain miné. Mais gageons que les jeunes créateurs cités ici sauront souverainement en éviter les pièges.