Robe brodée a col bénitier en soie, Celine par Hedi Slimane. Boucle d’oreille en bronze argenté, Balenciaga.

Alors qu’elle vient tout juste de sortir le clip de son nouveau single “Masterclass” (en featuring avec Crystal Murray et The Diouck), l’artiste Thee Dian, notamment repérée en guest du dernier défilé digital Lecourt Mansion et dans des campagnes pour Mugler et Jean Paul Gaultier,  se joue des genres avec brio et invente une pop à l’univers raffiné mêlant soul, spleen et gender-fluidity.

Nous l’avions découverte dans le sillage de Crystal Murray dans notre dernier numéro, à l’occasion de leur projet « Good Girl Gone Bad ». C’est donc tout naturellement que nous nous sommes tourné vers Spin Desire, le label de Crystal, pour rencontrer The Dian au Bunker, le QG du label près du mythique cimetière du Père Lachaise dans le nord est parisien. Elle est radieuse, élancée et gracile, des accroche-cœurs au front, pianote quelques dernières obligations sur son portable de ses doigts aux ongles sans fin et nous livre de bonne grâce un long entretien désarmant de sincérité. Commençons par le début, une enfance parisienne entourée de deux parents musiciens, qu’elle suit en tournée depuis toute petite. Son père, le chanteur et percussionniste sénégalais Idrissa Diop, s’est illustré dans le groupe sénégalais Sahel de Dakar, avec le groupe de jazz rock français Sixun et au long d’une carrière solo qui l’a mené jusqu’aux côtés de Carlos Santana. Il a notamment enseigné le djembé à Thee Dian, avant de retourner au Sénégal quand elle avait 6 ou 8 ans. C’est alors sa mère, la franco-espagnole Isabel Gonzalez, choriste auprès de nombreux artistes dont la chanteuse Camille, qui se charge de l’éducation de Thee Dian. Issue d’un cursus classique au Conservatoire National de Région, Isabel a également suivi une formation jazz au CIM. Un éclectisme qui berce Thee Dian d’une diversité d’influences qui vont de Mariah Carey à Ella Fitzgerald, des voix bulgares au Stabat Mater de Pergolèse. Au chapitre desquels elle ajoute aujourd’hui pêle-mêle Rihanna, FKA Twigs, Christine and The Queen, Nina Simone, les Rolling Stones, The Clash, The Kills, Bob Marley, Amy Winehouse ou le rap des années 90, Lil’ Kim ou Notorious BIG en tête.

De 12 à 14 ans, Thee Dian étudie à l’école franco-américaine de Dakar. Entre les cours et le surf, son apprentissage musical y gagne en profondeur. « Ça m’a énormément forgée, musicalement et culturellement. Ça m’a calmé dans mon parisianisme, j’étais très capricieuse et ça m’a remis les idées en place, de voir les enfants dans la rue, le manque de tout, mais aussi la joie, ce truc d’être heureux et reconnaissant de chaque petite chose qui se passe dans la vie », se rappelle-t-elle. À son retour à Paris, dans les pas de ses parents, elle commence par une Maîtrise de trois ans au conservatoire, après avoir fait l’école Suzuki, où elle a commencé le piano dès l’âge de 3 ans : « c’est une école japonaise à Paris qui prône pouvoir tout apprendre aux enfants, les langues tout ou autre matière. Encore maintenant des idées me viennent instinctivement au piano parce que j’ai commencé très tôt. Du piano, j’en ai fait neuf ans, jusqu’à ce que je rentre au conservatoire. » Aujourd’hui cet instrument l’aide pour la composition musicale mais n’est qu’un des outils à sa disposition en la matière, à côté de tout ce que la technologie met à disposition de la production au sens large. Cet amour de la musique, Thee Dian l’a complété avec un cursus mode, son autre passion, au lycée Paul Poiret : « j’y ai eu le bac, j’ai appris les bases de la couture… c’était super chiant, en rit-elle encore ! Mais ça m’a permis de faire plein de trucs cool, dans les ateliers de Céline, de Chloé, de Franck Sorbier… principalement du montage. J’en ai fait un peu plus chez Céline, parce que c’était des connaissances familiales, ce qui me permettait d’aller un peu partout, en studio ou en grande couture. » Par goût de la liberté, elle se lance seule sur des shootings, en casting, en stylisme ou en direction artistique pour la marque Casablanca. Mais la superficialité des paillettes la lasse. La musique est plus ancrée en elle, d’autant qu’elle représente à son sens l’espace d’expression aujourd’hui le plus propice à la mode. Ce qui tombe sous le sens quand on visionne ses clips, déjà impressionnants de direction et de maîtrise artistique, que ce soit avec l’érotisme élégant de « Bailerina » réalisé par Louise Mootz, avec le graphisme du défilé digital dansant qu’est « Gourmandise », dirigé par Lecourt Mansion (dans lequel on aperçoit le rappeur Le Diouck mais aussi Christine and the Queen), et plus récemment avec le lascif « Paper Angel » réalisé par Louise Mootz.

Bustier en soie brodé de strass Soutien-gorge en tulle, Jupe en tulle, Culotte en tulle GG, Gucci.
Choker en palladium et or, Boucle d’oreille en palladium et crystal, Justine Clenquet.
Bagues, bracelet, Personnel.

Dans ses quelques vidéos, on sent le perfectionnisme de Thee Dian poindre sous une pratique collective. « On n’obtient jamais ce qu’on avait en tête. Je laisse toujours les choses venir. Pour « Paper Angel » j’ai écrit le scénario avec Mootz, mais j’écris ma musique, je n’ai jamais un script qui me vient. Ce sont les gens de mon entourage qui me poussent et m’influencent. Ça me fait plaisir parce que je n’ai pas forcément confiance en moi. Je sais ce que je veux, et quand on sait ce qu’on veut il y a une sorte de confiance. Mais avec les réseaux sociaux, je me trouve moins bien, moins jolie, moins talentueuse que d’autres. C’est propre aux réseaux de se comparer. C’est la société de maintenant, il faut faire avec et avancer. Je l’accepte et je m’en fais un moteur plutôt qu’un boulet à trainer au pied. Je ne me trouve pas géniale mais j’essaye de faire ce que j’aime, peu importe si je suis la meilleure ou pas. Les personnes avec lesquelles je collabore me donnent cette confiance nécessaire. C’est un bel échange qui me permet de me dépasser. Pour l’instant on a très peu d’argent, on est un petit label mais comme je fais tout à 100%, ce n’est que le début, j’imagine déjà la suite. » Cette notion de collectif est forte chez Thee Dian qui anime ce côté gang. « En Fance on est en train de se réveiller, artistiquement, musicalement, on atteint ce niveau de réalisation de nous même. » On pense à la détonation qu’a été le clip de Beyoncé et Jay-Z au Louvre en terme d’affirmation communautaire. Pourtant Thee Dian nuance : « c’est très beau, j’adore ce clip. Mais ça ne m’en impose pas, musicalement ils pourraient pousser des choses tellement plus nouvelles. Comme Rihanna a toujours fait tout au long de sa carrière, à partir de « SOS » ou Rated R, avec des sons rock à la limite du métal, pour ensuite partir dans quelque chose d’hyper dancy avec Anti. Elle a une recherche à l’évolution beaucoup plus précise, qui donne toujours envie de voir ce qui va suivre. Maintenant je me rapproche plus de Solange, qui prend des risques, qui fait ce qu’elle pense être bon, ce qu’elle aime. Elle a inventé sa patte avec tous ses clips très lents, ses plans tableaux. »

Si Thee Dian a pu à son tour créer sa propre patte et affiner son univers, c’est d’abord grâce à la chanteuse Crystal Murray qui a fini par la signer sur le label Spin Desire. À l’époque où Thee Dian se lie d’amitié avec Crystal alors qu’elle aide s’habiller pour ses premières scènes, elle intègre très vite le cocon musical de la chanteuse et de sa mère, la productrice Valérie Malot. Ces deux dernirèes encouragent naturellement Thee Dian à produire sa musique, et l’emmènent en studio finir les démos qu’elle a préparées sur son téléphone avec le logiciel Garage Band. Accompagnée de son ami Loubenski, producteur en vue qu’on retrouve aussi aux côtés de Nekfeu, Jazzy Bazz ou Bonnie Banane, la jeune artiste ne jure que par lui pour arranger ses morceaux dans lesquels la question de la langue ne fait pas débat : français, anglais, mais aussi un peu d’espagnol ou de wolof. Thee Dian est d’ailleurs fan des chanteuses espagnole Buika et brésilienne Vanessa Da Mata, dont elle envisagerait même reprendre des chansons. Une profusion d’inspirations qui rend difficile à labelliser sa musique : une sorte de pop moderne ajoute aux productions contemporaines nourries de trap avec une maîtrise unique des silences, qui offre à sa voix l’espace et la liberté dont l’époque manque parfois. « J’aurais autant de mal à mettre une étiquette sur ma musique que sur ma personne. Futuristic-R’N’B-pop-ambient ? Je fais du Thee Dian », esquisse-t-elle en riant. Elle prévoit de sortir des singles tous les deux mois, jusqu’à ce que son EP rayonne de tous les thèmes qui reflètent ses différentes personnalités : « on a tous cette manière de se retrouver plutôt dans un genre ou une classe sociale. En moi j’ai cette petite meuf du conservatoire qui a joué du piano, qui a déchiffré des partitions, qui est très scolaire. Mais j’ai aussi ce moi sauvage qui est allée en free party, qui a fait des fugues. Cette personne très aérienne, solaire, qui est Thee Dian, un personnage céleste, très spirituel. C’est très imagé. Je sais qui je suis, mais j’aime croire en cette pluralité pour ne pas me cantonner à une unique chose ennuyeuse. Je veux me permettre d’être qui je veux, comme ce caméléon que je me suis créé pour rester mystique. »

Bustier en soie brodé de strass Soutien-gorge en tulle, Jupe en tulle, Culotte en tulle GG, Gucci.
Choker en palladium et or, Boucle d’oreille en palladium et crystal, Justine Clenquet.
Bagues, bracelet, Personnel.

Le morceau « Paper Angel » est celui qui a permis à Thee Dian d’affirmer son identité, en transition de son précédent nom Dian : « c’est un statement, parce que c’est cette année que j’ai pris conscience de « qui je suis », je le dis entre guillemets parce que je ne le sais pas encore vraiment. J’apprends tous les jours et je couche sur le papier ce que j’en retiens. Je ne suis pas qui j’étais. La société nous veut comme on est censé être alors qu’on devrait choisir qui on veut devenir. Pour l’instant je ne peux pas répondre mieux parce que je ne sais pas. Je me cherche et je suis sur la bonne voix pour devenir fière de moi, fière de qui je suis, de ce que je représente et à qui je vais le présenter. » La cause LGBTQIA+ est chère à son cœur, même si elle en sublime certains aspects de catégorisation, qui ne lui correspondent pas forcément : « C’est devenu tellement politisé, récupéré… tout le monde est LGBTQ, c’est dans l’air du temps. Il faut passer à une étape supérieure de réalisation de soi maintenant. Il faut que ce soit normal. Il faut qu’on retrouve des bases très simples. On est tous des êtres de lumière, des êtres humains. Je dis « qu’on retrouve » parce que je suis très sensible à la chronologie, à l’espace temps, au mutliverse, au cosmos, à la réincarnation même. Tout ce qu’on a vécu, on l’a peut-être déjà vécu, Pour moi ce qui nous empêche d’être « sains d’esprit », c’est notre conscience, notre besoin de comprendre, de catégoriser. Je pense que c’est très mégalo. Qu’est-ce que ça va changer à ta vie de ne pas savoir et de ne pas accepter ce qu’il y a en face de toi ? »

Retrouver cet état d’acceptation auquel elle aspire ne lui semble ni impossible ni très éloigné de nous. Elle énumère des devises simples pour parvenir au bonheur : être sincère avec soi même, s’accepter soi avec les autres, être juste. « Ce sont les bases du bouddhisme. Ma mère est bouddhiste, je pourrais en parler des heures ! ». Ses parents justement sont fiers de son parcours, même si elle n’a pas encore montré ses visuels à son père, qui approuve sa musique et son monde singulier, mais dont elle appréhende la réaction. « Lui montrer mes images, j’en ai envie. Dans la culture africaine c’est très important d’être reconnu, on m’a conseillé de lui montrer mes vues sur YouTube, mes interviews. Mais en Afrique on a aussi ce truc de ne pas déshonorer la famille. Ce n’est pas par rapport à lui mais par rapport aux gens, parce que si ça ne tenait qu’à lui, il serait ouvert. Donc ce moment va arriver, j’ai envie qu’il soit fier et qu’il me le dise, qu’il me soutienne. » Son père est à Dakar, où Thee Dian a enregistré ses premières démos. Mais depuis qu’elle embrasse de plus en plus qui elle est, passer le cap d’y retourner reste délicat, même si elle prévoit de se confronter à la réalité. « En Afrique il y a ce non dit, le secret. Je l’ai remarqué en parlant avec des ami.e.s qui vivent ici avec leur famille africaine. Ils.elles se cachent tou.te.s, ils.elles vivent une double vie. Moi aussi je le fais. Et en fait je trouve ça bien de ne pas tout dire, parce que ça permet de maintenir une relation avec les personnes que tu aimes, même faite de non dits, sans qu’elles aient à juger leur enfant. L’envers de la médaille c’est la tristesse que ces personnes ne te connaissent pas vraiment. Je serais très heureuse que mon père me connaisse, moi, ma personne. Mais c’est un dilemme : suis-je prête à perdre cette relation pour la vérité ? Au Sénégal, les gens ne voient pas Thee Diane, ils voient Tidiane, le fils de son père, qui est très bizarre, so weird, mais qui au moins reste dans les normes. C’est vrai que quand je vivais là-bas, on me catégorisait comme différente. Je n’ai d’ailleurs jamais vraiment été acceptée. J’ai toujours été la weirdo, le garçon-fille, la « singe-fille » comme on dit en wollof ! Mais je ne renie rien : oui je suis la weirdo, oui je suis bizarre, et j’adore ça, j’accepte pleinement ma différence. Je pense qu’on devrait tous s’accepter tel qu’on est. Même si je n’applique pas encore entièrement ce conseil, j’essaye de le faire. Je ne vais pas les provoquer, je vais essayer de les faire évoluer et de regarder la réalité en face. Je verrai bien si j’en souffre, mais au moins j’aurai essayé. »

C’est le sens des paroles « What if Insanity was inside of me / Would you follow me? » de sa chanson « Insanity », dans laquelle on est libre de déceler un clin d’œil au versatile Aladdin Sane de David Bowie, un de ses artistes préférés. Face à une situation et une société aux complexités différentes des nôtres, il faut louer le courage qu’à Thee Dian d’emprunter d’autres voies, à l’ambiguïté complexe, pour obtenir la reconnaissance et l’épanouissement, dans un contexte où une affirmation frontale serait certainement contre-productive pour elle. « Il faut suivre ses instincts » conclue-t-elle décidée. Avec son talent, on parie qu’elle sera vite couronnée de succès dans tous les domaines.

Robe drapée faite de sous-vêtements anciens, Lou de Betoly . Collier “30 Montaigne” en métal vieilli finition dorée, perles blanches et cristaux blancs, Dior. Bagues, Personnel.

Photos : Johnny Kangasniemi
Réalisation : Gemma Bedini
Coiffure : Quentin Guyen @Bryant Artists
Maquillage : Ruben Masoliver
Assistant lumière: Hugo Babey
Assistant styliste: Nina Rody
Digital Operateur : Joanna Huttner Lemoine