France-Lise McGurn.

Jusqu’au 3 novembre prochain, la Villa Carmignac, située sur l’île de Porquerolles, présente l’exposition “The Infinite Woman”. Une rétrospective engagée qui invite à interroger et à déconstruire des siècles de male gaze et de conventions occidentales sur la beauté féminine à travers des centaines d’œuvres de Botticelli, Judy Chicago en passant par Marlène Dumas.

Fortes, fatales, aimantes, lascives, démoniaques ou encore tentatrices, les femmes ont été représentées de multiples manières dans l’art à travers les siècles, souvent pour répondre à une seule vision du monde : celle du patriarcat. Interrogeant les questions de genres, de sexualité, de plaisir, de pouvoir et les mythes qui façonnent nos sociétés, “The Infinite Woman” met en lumière les différents regards posés sur les femmes à travers un parcours d’œuvres. Pour rassembler ces artistes, la Villa a fait appel à Alona Pardo, commissaire d’exposition aussi à l’origine de “Masculinités”, rétrospective présentée à Arles en 2021 qui interrogeait les multiples façons d’être un homme. Au fil de ce parcours constitué de plus de quatre-vingt œuvres, les visiteur·se·s partent à la rencontre de multiples figures féminines : femmes sacrées et nourricières (Sandro Botticelli), sirènes indépendantes (Kiki Smith, Sofia Mitsola), femmes-araignées (Louise Bourgeois) ou encore objet de désir (Roy Lichtenstein). À l’heure où l’inquiétante percée des partis fascistes en Europe menace plus que jamais les droits des femmes et des minorités, “The Infinite Woman”, apparaît comme un statement artistique et politique pour reconnaître et célébrer toutes les féminités.

Michael Armitage
À l’origine il y avait un mythe

 

Si Lamartine écrivait qu’ “Il y a une femme à l’origine de tout chose”, The Infinite Woman décide de débuter a son parcours avec une sélection d’œuvres consacrées à la représentation du féminin à travers les mythes, “Des Mythes et des Monstres”. Une idée assez naturelle quand on connait le récit fondateur de l’île de Porquerolles qui suggère que celle-ci s’est créée lorsqu’une princesse, fuyant un prédateur mâle s’est transformée en une île, associant ainsi la femme et la nature en un tout harmonieux. À travers des œuvres comme “La Vierge à l’enfant” de Sandro Botticelli, ou encore le collage mural de Mary Beth Edelson, cette section explore les représentations binaires du pouvoir féminin, pris dans des structures d’opposition, entre la vierge et la putain, la déesse et le démon, le bien et le mal. Dans la quête du patriarcat pour la domination des femmes, celles-ci ont été représentées comme des êtres inaccessibles, à la fois bons et odieux, et totalement incontrôlables par nature. Sous le plafond d’eau, en clin d’œil aux métaphores de la maternité et de la protection, la sculpture emblématique de Louise Bourgeois, “Spider” (1995) – une ode à la force et à la résilience de sa mère – trône comme la pièce centrale et gardienne de l’exposition.

Camille Henrot
Billie Zangewa
Plaisirs et désirs (non coupables)

 

Difficile d’aborder, en 2024, la question des représentations féminines sans interroger la place du male gaze. The Infinite Woman prend le sujet à bras le corps en dédiant tout un espace à la tension psycho-sexuelle concentrée autour du corps de la femme, “Plaisirs couplables”. Ici des oeuvres signées par des artistes masculinistes comme Pablo Picasso ou encore Richard Prince, qui dépeignent le corps des femmes avant tout comme objet de désir, côtoient les oeuvres féministes de Tracey Emin et Dorothy Iannone, mettant en scène l’autosatisfaction sexuelle des femmes. Exposant des photographies explicites de corps féminins, de masturbation et de femmes donnant du plaisir à d’autres femmes, inspirées d’images tirées de la réserve porno de son mari, l’artiste américaine Betty Tompkins prône une sexualité féminine libérée et le droit des femmes à éprouver du plaisir comme elles le veulent.

Andra Ursuta
Des féminités libres et multiples

 

L’une des étapes majeures de Infinite Woman, “Métamorphoses”, vient défendre et mettre en lumière l’évolution logique du concept de “féminité”. Des figures non binaires illustres sont mises en avant comme l’oeuvre de Martine Gutierrez qui pose sous les trait d’une Jeanne d’Arc queer, tandis que Sin Wai Kin, artiste transgenre, interprête, dans son installation cinématographique onirique “A Dream of Wholeness in Parts”, une Vénus mythologique pour contester et remettre en question ce symbole de féminité hérité de l’Occident. À travers, notamment la série de clichés “Brave Beauties” de la photographe sud-africaine Zanele Muholi, qui donne à voir des participant·es trans à un concours de beauté, “Métamorphoses” explore la manière dont l’acceptation d’une pluralité d’identités et de féminités redéfinit le corps et, inversement, comment le corps façonne l’identité.

Sin Wai Kin

“THE INFINITE WOMAN”, jusqu’au 3 novembre 2024 à la fondation Carmignac, Île de Porquerolles, 83400 Hyères. fondationcarmignac.com/fr