VESTE ET PANTALON EN COTON, ERIKA CAVALLINI ; CRÉOLES CLASH EN OR, CARTIER.

L’actrice marseillaise Hafsia Herzi s’est muée en cinéaste parisienne avec la réalisation de son premier long métrage, Tu mérites un amour. Flash-back sur ce qui l’a poussée à l’écriture, le tournage à petit budget, entre urgence, rigueur et débrouillardise.

Actrice fidèle à Abdellatif Kechiche depuis La Graine et Le Mulet, qui révéla en 2007 sa douce nonchalance, jusqu’au dernier Mektoub, My love : Intermezzo, Hafsia Herzi est aussi scénariste-réalisatrice-productrice de son premier long métrage, Tu mérites un amour, présenté à la prestigieuse Semaine de la Critique du Festival de Cannes. Entre fragilité et cocasserie, elle filme la consolation d’une jeune femme après un chagrin d’amour, dans l’atmosphère méridionale de Belleville.

Collier juste un clou en or jaune, Cartier ; Marcel en coton, Tom Ford

Mixte. Votre premier long métrage, Tu mérites un amour, fait référence au poème de Frida Kahlo. Quand avez-vous découvert son œuvre ?

Hafsia Herzi. En classe de 4e, au collège Edmond Rostand, grâce à mon professeur de français, Madame Cohen. À l’époque, comme ma mère ne voulait pas que je m’épile les sourcils, on se moquait de moi : “Tu as les sourcils de Frida Kahlo !” J’ai toujours été passionnée par son histoire, ses amours et le rapport douloureux qu’elle entretenait avec son corps après son accident de bus. Les peintures inspirées par ses fausses couches m’ont beaucoup marquée aussi : L’Hôpital Henri Ford ou Ma Naissance. Elle y peint le sang, on y voit la souffrance d’une femme. Ce n’est que beaucoup plus tard que j’ai découvert son poème Tu mérites un amour. Quand j’ai commencé à le faire lire autour de moi, je me suis rendu compte que le chagrin d’amour, le vrai, celui qui te donne l’impression de ne plus exister, est un sentiment universel peu traité dans le cinéma français. Peut-être par pudeur ou par honte. Mais quand tu pleures toutes les larmes de ton corps par amour, ce n’est ni impudique ni honteux.

M. C’est aussi à l’adolescence que vous commencez à écrire des scénarios.

H. H. J’avais 13 ans quand une amie de ma mère nous a donné un ordinateur. Je me suis mise à écrire et tout enregistrer sur des disquettes, toujours des scènes avec beaucoup de dialogues et des personnages jeunes et amoureux. Je me souviens en particulier de Il me semble que je t’aime et Moucheron, inspiré d’un garçon qui mesurait près de deux mètres et pesait presque cent kilos. J’étais plutôt réservée, mais je passais mon temps à observer les fortes têtes. Dans les quartiers nord de Marseille où j’ai grandi, il y avait vraiment de quoi faire. Les femmes avaient le pouvoir. J’avais une copine de 15 ans qui était voilée, mais sous son voile, c’était une racaille qui menait les garçons au doigt et à l’œil ; ils ne bougeaient pas, elle leur faisait peur.

M. Qui étaient vos premiers lecteurs ?

H. H. Lila, une de mes meilleures amies d’enfance, et qui l’est toujours. Elle a dû lire au moins six versions, de trois ou quatre heures chacune, de Tu mérites un amour dont l’héroïne s’appelle justement Lila. C’est son collier que je porte dans le film. Avant que je ne lui trouve un boulot sur un tournage d’Abdellatif Kechiche, à la régie, elle faisait des ménages dans les avions. Elle me racontait l’attente entre chaque vol, les horaires décalés, la complicité qu’elle partageait avec ses collègues… C’est d’ailleurs elle qui a inspiré le personnage de mon second long-métrage, Bonne Mère, que j’espère tourner en octobre, à Marseille. Une femme qui voit les gens partir, mais qui reste au sol. C’est un peu le fantôme de ces voyageurs.

Dans les quartiers nord de Marseille, où j’ai grandi aux Oliviers, les fortes têtes ne manquaient pas. Les femmes avaient le pouvoir.

M. Tu mérites un amour raconte les pérégrinations d’une jeune femme amoureuse qui s’autorise à faire de nouvelles rencontres après une rupture. C’est à la fois très sensuel et toujours chaste. Pourquoi ce parti pris ?

H. H. Par exemple, pour la scène des libertins, je trouvais qu’un baiser à trois était plus sexuel qu’une scène au lit. Quand on a tourné cette séquence dans une rue du 7e arrondissement de Paris, des gens s’arrêtaient pour regarder et klaxonnaient. Si on avait filmé à Barbès, on était foutus ! (Rires)

Au cinéma, j’aime voir les mains, les nuques, les dos, les danses… Pour le film, je voulais de la douceur. Je trouve aussi que les corps, imparfaits pour la société, sont magnifiques. Je regarde souvent les fesses des hommes et des femmes dans la rue. Pas parce que j’ai envie d’eux, mais parce que je les trouve beaux.

M. Vous avez tourné le film sans aucun financement. Pourquoi cette urgence ?

H. H. Au départ, je pensais réaliser Bonne Mère, mais comme je n’avais pas obtenu suffisamment de financement, j’ai produit celui-ci dont j’avais écrit le scénario deux ans plus tôt. Je l’ai vécu comme un challenge artistique. J’ai décidé de me lancer le 14 juillet 2018 et le 18 on tournait. Nous avons travaillé cinq jours par mois, entre juillet et septembre. Je pouvais donc m’organiser au fur et à mesure. Alors que je m’étais promis de ne plus jouer dans un de mes films après mon court métrage Rodba, en 2010, je me suis résignée. C’était plus pratique d’incarner l’héroïne question planning. Comme j’ai participé à pas mal de films fauchés, je connaissais les petites astuces pour faire des économies. Par exemple, nous avons quasiment tout filmé à Belleville, je m’étais arrangée avec les commerçants. Et malgré sa réticence, le patron du café La Veilleuse a accepté de jouer son propre rôle et m’a accordé une heure et demie pour tourner dans son établissement. Pareil pour le restaurant de couscous. Au total, nous étions seulement quatre dans l’équipe : le chef opérateur, le cadreur, l’ingénieur du son et moi. Ni maquillage, ni coiffure, ni scripte, ni déco… Et toute l’équipe technique a joué dans le film. Grâce à l’achat du film par Arte, j’ai pu rentrer dans mes frais et payer tout le monde.

M. En tant qu’actrice, vous tournez en général trois films par an. Comment avez-vous trouvé le temps d’écrire votre premier long ?

H. H. En fin de compte, j’ai beaucoup de temps pour moi. Trois tournages, c’est trois mois et demi de travail répartis sur l’année. C’est le maximum, surtout quand il s’agit de films d’auteur. Le reste du temps, je me lève vers 6 ou 7 heures et je me fixe des objectifs : écriture entre 8 et 14 heures, sinon je n’avance pas. Parfois, le week-end, je fais mes courses et prépare mes repas pour toute la semaine de façon à pouvoir me concentrer. J’ai toujours été rigoureuse, même à l’école. Petite, je rêvais de devenir actrice, mais je pensais que ça ne collait pas avec la réalité de la vie. Je tiens ça de ma mère, qui était femme de ménage. Elle ne savait ni lire ni écrire et travaillait dur pour élever seule ses quatre enfants. Bonne Mère, qui sera en partie produit par Abdellatif Kechiche, parlera d’une femme courage comme elle, à Marseille.

M. Tu mérites un amour, tourné à Paris, dégage pourtant une atmosphère très méridionale. Les personnages évoluent souvent à l’extérieur, il fait beau, c’est l’été, les rencontres s’enchaînent dans une grande convivialité. Vous avez “marseillisé” Paris, non ?

H. H. Je dois avouer que le quartier populaire de Belleville me rappelle Marseille. Quand j’ai emménagé à Paris après La Graine et Le Mulet, je me suis installée dans le coin parce que je m’y sentais moins seule. Mais ce n’était pas évident de quitter Marseille où tu peux aller taper à la porte du voisin. Et puis, la météo parisienne est horrible. Au début, j’avais tellement froid que je dormais en doudoune avec un bonnet. Dans Tu mérites un amour, une scène en particulier a été tournée en clin d’œil aux quartiers nord de Marseille : une fille vient régler ses comptes avec l’ex de son copain. Elle est accompagnée d’une amie. C’est comme ça qu’on gère ses histoires à Marseille, on n’y va pas seul. Même si l’enjeu n’est pas grand, on en fait une affaire d’État. Et puis, c’est aussi une question de solidarité, une valeur importante du film.

M. Dans quel quartier avez-vous grandi ?

H. H. Aux Oliviers, secteur E. J’y ai vécu plein de bons moments. Comme on ne voulait pas avoir les cheveux frisés, on les repassait au fer avec une copine. Une fois, elle me l’a fait sur cheveux mouillés, ça les a brûlés. Et puis, les rendez-vous amoureux se faisaient toujours au dernier étage de la plus haute des tours, au E6. Le premier arrivait à 18 h 10, l’autre le rejoignait à 18 h 15 de manière à ne pas être repérés. On squattait aussi beaucoup chez une copine dont la mère aide-soignante était souvent absente, ou en bas de notre tour, ce qui serait impossible maintenant avec tout ce qui se passe. L’autre fois, je suis retournée aux Oliviers en repérage pour Bonne Mère, j’ai été choquée en voyant des rats énormes traverser la cour. C’est totalement insalubre et des bâtiments vont être détruits à cause de l’amiante. Mais ce quartier m’inspire et je suis heureuse de tourner là-bas en faisant participer ses habitants. De toute façon, je n’ai pas accès aux autres quartiers. Là, aux Oliviers, je suis protégée, j’y ai encore des amis d’enfance. On va dire que j’y suis légitime.

Coiffure : Rimi URA @Walter Schupfer. Maquillage : Tiziana Raimondo @The Wall Group. Assistante Photographe : Marion Parez. Assistante Styliste : Tea Lindstrom. Opérateur digital : Thue Rhabek Norgaard.

Tu mérites un amour, de et avec Hafsia Herzi, en salles le 11 septembre.