T-SHIRT, BLOUSE ET POLO KOLOR,
PANTALON AMI, DERBIES ADIEU,
BIJOUX PERSONNELS.

Avec sa voix de tête et son style inclassable, l’artiste franco-camerounais s’est imposé en un temps record comme le nouveau roi du paysage musical francophone. Alors qu’il s’apprête à secouer la Philharmonie de Paris le 22 novembre prochain, rencontre avec un conteur d’un nouveau genre qui rebat les cartes de l’industrie.

On tournait un peu en rond, entre un dernier son d’Aya et un autre d’Hamza. Et puis il a déboulé, sur sa bécane, le sourire imparfait et la voix haut perchée. En 2023, Emmanuel Sow, alias Yamê, qui signifie “le verbe” en mbo (langue du nord-ouest du Cameroun), interprète au Colors Show son titre “Bécane”, sorti quelques mois plus tôt. La performance fait alors le tour du monde, au point de cumuler aujourd’hui un peu plus de 97 millions de vues. De quoi permettre à cet artiste à la voix céleste, qui a l’allure de Travis Scott et la sensibilité de Stromae, de se hisser à la première place du Top 50 Viral monde sur Spotify et d’obtenir la reconnaissance de noms qui pèsent, tel Timbaland. Sans oublier sa Victoire de la musique 2024 en tant que Révélation masculine de l’année. Rien que ça. Ovni transgénérationnel, Yamê plaît autant à la Gen Z qu’à nos daron·ne·s, grâce à un savant mélange dont lui seul a le secret, entre hip-hop, jazz, big band, trap, soul et chanson à texte. En témoigne son tout dernier album, “Ébêm”, sorti le 13 juin dernier. Son lead single, “Solo”, et son clip vidéo dramatique en plan-séquence ont fini de confirmer l’étendue de son talent, que ce soit au travers de ses mélodies, textes et productions, de ses sessions live grandioses – où il maîtrise à la perfection sa voix et le piano, son instrument de prédilection –, ou encore du court-métrage, du site web interactif et de l’exposition éphémère qui ont accompagné sa sortie. Ne jamais faire comme tout le monde : c’est ça la méthode Yamê.

VESTE DIOR MEN, BIJOUX PERSONNELS.

Mixte.  Tu étais parti pour faire une carrière dans la data. La pandémie de Covid-19 et le confinement en ont décidé autrement et t’ont amené à composer. Est-ce que tu crois au destin ?
Yamê. 
 Je ne crois pas au destin, je crois au libre arbitre, à la manière d’un Naoto Fukada (dessinateur et mangaka japonais, ndlr). Je pense qu’on a toujours plus de leviers d’action pour manœuvrer notre vie qu’on ne le croit. Certes, la pandémie et le confinement ont été l’opportunité pour moi de trouver le temps pour rejouer du piano et de commencer à composer mes propres sons. Mais je me suis avant tout donné les moyens. Je suis convaincu qu’avec ou sans le confinement, j’aurais fini par être musicien…

M. Comment as-tu appris à jouer et à composer de la musique ?
Y.
J’ai toujours baigné dans la musique, mon père est musicien percussionniste. Il y avait un piano à la maison, j’ai appris à y jouer assez tôt. Quand j’ai été en âge de sortir seul, j’ai découvert l’univers des jams (sessions de musique improvisées venant de l’univers du jazz, ndlr). J’allais au Carré, dans le quartier de Saint-Michel, à Paris, puis j’ai rejoint le collectif Rouge Rouge Jam, qui mélange la danse, le théâtre et la musique. On jouait à Pigalle. Je n’allais pas faire la teuf en club ou en festival. Les jams, c’étaient mes sorties. C’était ma manière à moi d’apprendre à faire du piano, en observant les autres jouer lors de ces sessions live. J’ai toujours eu envie de composer mes propres sons, mais c’est venu plus tard, pendant le confinement. Faire des covers, chanter les sons des autres, c’est relativement facile. Composer ses propres sons, ça, c’est un vrai challenge.

MANTEAU, CHEMISE ET PANTALON GUCCI, MOCASSINS PRADA, BIJOUX PERSONNELS.

M.  Comment définirais-tu ton style musical et comment l’as-tu forgé ?
Y.
Mon style n’a pas de définition précise, c’est du Yamê. Je fais de la musique, et en ce sens, je me définis à travers la musique, pas à travers un style particulier. Yamê, c’est le mélange de plein d’influences différentes : la voix de Papa Wemba (chanteur congolais décédé en 2016, ndlr), celle de Matthew Bellamy de Muse et sa manière de jouer du piano, mais aussi le rap, qui reste le style de musique que j’ai le plus poncé ! Quand je compose, ça m’arrive de partir sur une instru très hip-hop, et d’y ajouter une interprétation inspirée de la chanson française, je vais me mettre à rouler les “r” à la manière d’un Charles Aznavour. C’est instinctif, je n’y réfléchis pas à l’avance.

M. Dans ton son “Bahwai”, sorti sur ton EP Elowi en 2023, tu dis “pour changer de vie, j’ai dû hausser le ton”. Est-ce une référence à tes débuts dans la musique ?
Y.
Pas seulement, il y a plusieurs sens dans ce vers. De manière générale, je pense qu’on ne peut pas vivre en lowkey. Dans la vie, il faut aller chercher ce qu’on veut. Après le confinement, lorsque j’ai décidé de ne plus retourner au bureau et de demander une rupture conventionnelle à mon patron pour avoir le chômage – et donc une chance de tenter une carrière dans la musique –, j’ai dû hausser le ton. Ce n’est qu’un exemple, mais c’est l’idée que, quand on veut vraiment quelque chose, il faut oser le demander et gueuler si nécessaire. Mes débuts dans la musique, ça a été un rush. J’ai quitté mon taff en 2021, et “Bécane” a explosé en 2023. Ça a été beaucoup de nouvelles responsabilités, de nouveaux paramètres, mais surtout un énorme kiff.

M. Comment as-tu géré le fait de sortir de manière assez soudaine de l’anonymat ?
Y.
Je ne suis pas du genre à traîner en terrasse, je suis plutôt casanier. Quand je ne suis pas sur scène ou en studio, je reste chez moi, je joue à mes jeux vidéo. Si je sors pour voir mes potes, je mets mon casque, je prends ma moto, personne ne me voit ! Je n’ai pas vécu la sortie de l’anonymat comme un truc difficile ou toxique, car je n’ai pas percé trop jeune, j’avais déjà 30 ans, et donc une certaine maturité vis-à-vis de ça.

VESTE, PANTALON ET MOCASSINS BURBERRY, COMBINAISON SETCHU, BIJOUX ET CHAUSSETTES PERSONNELS.

M. Tu as sorti ton deuxième album, “Ébêm”, en juin. Que représente-t-il pour toi ?
Y.
J’ai composé la plupart des sons entre des dates de tournée et des résidences en studio. C’est un album à travers lequel je voulais me raconter, et en ce sens, il est assez introspectif. Je voulais parler de ces dernières années qui ont été très formatrices, des phases par lesquelles je suis passé. Il y a “Shoot” qui parle des addictions, “Solo” qui raconte la nécessité de se recentrer, “Céline” qui évoque une relation à sens unique… Je tenais aussi à ce que cet album soit accompagné d’un univers visuel fort, raison pour laquelle j’ai créé un court-métrage de douze minutes pour la sortie.

M. En plus de ce court-métrage, tu as également accompagné l’album d’un site Internet qui prenait la forme d’un jeu vidéo. Pourquoi avoir choisi ces médiums-là ?
Y.
C’est ma manière de faire les choses, toujours un peu différemment. Le clip, c’est devenu plutôt classique. Je suis assez geek ! Je joue aux jeux vidéo et j’adore les mangas. Le court-métrage reprend les codes des mangas, il raconte “Ébêm” en suivant le parcours initiatique du personnage principal. Ça encore, c’est du Yamê ! J’avais envie de réunir plein d’artistes différent·e·s autour de moi. Ça n’a pas été toujours simple, il y a eu plusieurs allers-retours, mais c’était une super aventure ! Résultat, “Ébêm” a un univers artistique complètement à part. C’est une véritable romance visuelle.

M. Justement, le thème de notre numéro est “Storytellers”. Te considères-tu dans ta discipline comme un conteur d’histoires ?
Y. 
 J’aimerais me considérer comme tel, oui. En tout cas, j’aime relater des histoires. D’ailleurs, le fait d’en raconter a toujours été très présent dans ma famille. Mon père est camerounais. En Afrique, il y a cette tradition de la transmission orale. J’ai donc été bercé par beaucoup de contes et d’histoires africain·e·s. Je ne me souviens pas de tou·te·s, mais j’aimais beaucoup quand mon père me les chantait. Aujourd’hui, mon album “Ébêm” en est une tentative et mon court-métrage peut être vu comme une sorte de récit initiatique. J’espère que ça plaira.

GILET, CHEMISE, CRAVATE, JEAN ET CHAUSSURES LOUIS VUITTON, BIJOUX PERSONNELS.

M. Tu te démarques également dans l’industrie musicale avec ta présence scénique. Tes concerts sont toujours pleins d’énergie et de créativité. Comment les prépares-tu ?
Y.
Je travaille avec mes potes de jam et j’ai un directeur musical super fort. Avant je travaillais un peu seul dans mon coin. Maintenant, on fait des arrangements en fonction de la scénographie, et de ce qu’on veut créer. Ça m’arrive encore d’avoir un peu le trac !

M. Et concernant ta voix, comment la travailles-tu ?
Y.
J’ai une technique, je mets une paille dans un verre d’eau à moitié rempli, le but étant de souffler dans la paille en chantant les notes, de la plus basse à la plus aiguë. Ça permet de ne pas utiliser trop de flux d’air et donc de protéger les cordes vocales. C’est mon rituel – avec les choristes, on le fait tou·te·s avant un live. Et puis, du gingembre toujours ! Faut que ça pique la gorge et que ça arrache !

M. Tu manies une novlangue qui mélange de l’argot français et camerounais. Au-delà de la langue, quels sont les rapports que tu entretiens avec ton héritage culturel ?
Y.
J’ai reçu une éducation à la fois française et africaine par mon père, qui est binational. Musicalement parlant, dans toutes les mélodies que je compose, sans vraiment y penser, je finis toujours par avoir une inspiration afro. Pas forcément camerounaise – parfois, je vais tendre vers des rythmiques congolaises ou ivoiriennes. Je ne cherche pas à faire le Camerounais, ni à m’enfermer dans une gamme spécifique, mais il est vrai qu’on retrouve toujours quelque chose d’africanisant dans mes mélodies.

MANTEAU, JEAN ET BOTTINES LOEWE, BIJOUX PERSONNELS.

M.  Tes textes parlent d’identité, de place, d’immigration, et aussi de l’héritage de la colonisation. Dans ton titre “Insensé” issu de ton dernier l’album, tu dis : “C’est pas le succès qui m’fera taire, j’défendrai mes terres comme mes ancêtres.” Composer, est-ce aussi une manière de faire passer des messages politiques ?
Y. 
 La musique peut être un levier d’action politique, mais je ne la conçois pas forcément comme tel. Pour moi, elle a davantage un rôle de témoin. C’est un moyen de savoir ce qui se passe dans le monde. Les artistes évoquent ce qui fait partie de leur univers. Je suis beaucoup l’actualité, je vois qu’il y a des gens qui se font bombarder, d’autres qui se voient fermer des portes à cause de leurs origines… Ce sont des sujets qui m’inquiètent, me concernent, et ils se retrouvent donc dans ma musique.

M. Quel futur te souhaites-tu ? Comment espères-tu voir ta musique évoluer ?
Y.
Dans mon futur rêvé, je suis en tournée avec mes potes, mon père et ma sœur, et on a fait tou·te·s ensemble un album qu’on adore ! J’espère que j’arriverai toujours à me surprendre, c’est sûrement pour ça que mes sons sont un peu bizarres…

M. Qu’est-ce que tu aimerais que l’histoire retienne de toi et de ta musique ?
Y. 
 On dirait que je suis déjà parti (rires) ! J’aimerais qu’on retienne avant tout que mes sons étaient créatifs et que j’étais un artiste sincère.

CHEMISE GUCCI. 

Yamê est en tournée tout le mois de novembre avant une date au Zénith de Paris le 9 avril. Son album “Ébêm” (Believe / Naïve Records) est disponible sur toutes les plateformes de streaming.  

Talent : Yamê @ Good Sisters. Grooming : Khela @ Call My Agent. Assistant photographe : Riccardo Fasana. 

Cet article est originellement paru dans notre numéro STORYTELLERS, Fall-Winter 2025 (sorti le 23 septembre 2025).