© Zaid Al-Lozi

Elle est la nouvelle pop star incontournable et ne vient ni d’Europe ni des États-Unis. Avec ses mélodies puissantes et sa voix à couper le souffle, la chanteuse jordano-palestinienne est bien déterminée à faire briller la culture et la langue arabes partout dans le monde.

Zeyne fait partie de ces personnes pour qui l’épisode de la pandémie de Covid-19 a rebattu les cartes du game. Installée à Londres depuis plusieurs années, elle s’est vue forcée de renoncer à ses projets pour rentrer à Amman (capitale de la Jordanie, ndlr) suite à la fermeture des frontières en 2020. Quand, enfermée entre quatre murs, la plupart de l’humanité enchaînait les réunions fleuves sur Zoom, Zeyne, elle, renouait avec son premier amour : la musique. Quelques années plus tard, la voilà en tête des charts pop/RnB en Europe et aux US, et invitée au célèbre “A Colors Show” – plateforme berlinoise devenue un passage obligé pour les artistes émergent·e·s comme les plus confirmé·e·s en tournée –, où elle a interprété son tube “Ma Bansak”. Zeyne parvient à nous faire oublier qu’on ne pipe pas un mot d’arabe et à nous embarquer dans son univers à la manière d’une Rosalía ou d’une Fairouz. Née en Jordanie de parents palestiniens, Zeyne cultive le lien indéfectible qui la relie à ses origines. De la Palestine, elle garde les souvenirs de voyages qu’elle a pu faire, les récits de ses parents et grands-parents originaires de Naplouse, et bien sûr, la dabkeh, cette danse folklorique emblématique de la Palestine, du Liban et de la Syrie qu’elle pratique depuis toute petite. Aux côtés d’autres artistes de sa génération comme Saint Levant, elle est bien décidée à prendre la place qu’elle mérite et à mettre la musique arabe sur le devant de la scène internationale.

© Zaid Al-Lozi

MIXTE. La pandémie de Covid a bouleversé tes projets de vie en 2020, te contraignant à retourner vivre en Jordanie. C’est là que tu as renoué avec la musique. Est-ce que tu crois au destin ?
Zeyne.
Absolument ! Je pense que tout arrive pour une raison. Enfant, mon rêve était d’être artiste. J’ai grandi dans une maison où la musique était très présente, je joue du piano et je chante depuis que j’ai 6 ans. Quand j’ai perdu mon job à Londres et que j’ai dû partir à cause de la pandémie, j’étais super triste. Je revois ma sœur me dire : “Zeyne, ne sois pas triste, ça pourrait être le commencement d’autre chose.” Quelques mois plus tard, je recommençais à jouer du piano et à chanter. C’était comme si tout était aligné et devait se dérouler ainsi.

M. Pendant le confinement, tu as commencé à partager ta musique sur un compte Instagram, “Tunes with Zeyne”, où tu révélais uniquement la moitié de ton visage. Comment as-tu appris à te dévoiler davantage ?
Z. 
 Je n’ai jamais été quelqu’un de timide. Plus jeune, j’étais très sociable, mais quand il s’agissait de chanter devant les autres et de montrer ma vulnérabilité, je n’étais pas du tout à l’aise. Quand j’ai commencé à partager mes covers de chansons sur Instagram, je voulais rester anonyme. C’était raté, des ami·e·s m’ont vite reconnue ! J’ai reçu beaucoup de compliments et d’encouragements qui m’ont donné de la force et fait gagner en confiance pour écrire mes propres chansons. Quand on se lance dans quelque chose de nouveau, il faut s’entourer de personnes bienveillantes qui croient en nous.

M. Comment composes-tu une chanson ?
Z.
Je travaille main dans la main avec mon producteur, Nasir AlBashir. C’est un musicien et auteur-compositeur jordanien brillant. Il m’accompagne depuis mes débuts dans la musique et nous avons noué une très belle amitié. Je peux parler de tout avec lui. Pour écrire une chanson, nous discutons ensemble, je me livre à lui sur mes émotions, les pensées qui m’occupent. Cela commence par une simple conversation, on brainstorme ensemble et on ajoute un peu de storytelling. Puis, on s’accorde sur une mélodie et sur les paroles. Le plus important, à mon sens, c’est que les mélodies soient raccord avec les histoires que je veux raconter. Généralement, les paroles suivent naturellement.

M. Quel·le·s autres artistes influencent ta musique ?
Z.
J’ai autant de références orientales qu’occidentales. J’adore la chanteuse libanaise Fairouz, c’est une artiste majeure qui a véritablement influencé la pop culture. J’aime aussi les frères Rahbani, le poète palestinien Mahmoud Darwich, Cheb Khaled, Oum Kalthoum… J’apprécie aussi des artistes comme Lauryn Hill, Daniel Caesar, ­Angèle, Stromae et Jorja Smith. L’une des artistes qui m’inspirent et me fascinent le plus, c’est Rosalía. Elle est la preuve que la musique transcende les barrières culturelles et linguistiques.

M. Dans une interview pour Vogue Arabia, tu as dit que la musique aide à guérir l’âme. Quelles chansons ont pu avoir cet impact sur toi ?
Z.
Je dirais “Figures” de Jessie Reyez et “G3 N15” de Rosalía. Elle a écrit cette chanson pendant le confinement : elle s’adresse à son neveu et s’excuse d’avoir raté des moments importants de sa vie. Ça parle des regrets et des choix de vie auxquels nous faisons tou·te·s face. J’ai dû l’écouter 500 fois et elle me fait toujours autant d’effet.

M. L’année dernière, tu as sorti “Balak”, un titre en featuring avec Saint Levant. Comment s’est passée votre collaboration ?
Z.
On a commencé à discuter sur Instagram en 2020. À cette époque, il n’était pas encore connu et je voulais qu’il chante sur une de mes chansons, “Nostalgia”, qui est dédiée au peuple palestinien. Niveau timing, ça ne l’a pas fait mais je l’ai gardé en tête et je l’ai recontacté plus tard pour “Balak”. Ce titre parle d’une relation à distance et je voulais avoir un point de vue masculin. Saint Levant a écrit un couplet, puis il est venu en Jordanie pour qu’on tourne le clip et ça a été le début d’une belle amitié. L’année dernière, il a fait un concert à Beyrouth, où j’étais de passage par coïncidence. Il m’a fait monter sur scène pour chanter avec lui. C’est un artiste incroyable, avec un grand cœur.

M. Quel est ton rapport à la scène ?
Z.
J’ai appris à aimer être sur scène. Je travaille actuellement sur mon propre show avec des super musicien·ne·s et danseur·se·s qui se produiront avec moi. Pour un titre en particulier, nous allons danser la dabkeh. Peu de gens le savent, mais j’ai dansé pendant plus de 15 ans dans un groupe de dabkeh, dont ma grande sœur était la chorégraphe. La dabkeh est très importante pour moi, c’est ce qui m’a permis de rester toujours en lien avec ma culture et mes origines palestiniennes.

M. Te considères-tu comme une porte-parole du peuple palestinien et de la jeune génération, à l’instar de Saint Levant qui est très engagé ?
Z.
“Porte-parole” est un mot un peu fort, mais ce qui est sûr, c’est que je veux faire entendre ma voix en tant qu’artiste dans la révolution qui est en cours. Je suis tellement fière de voir ma génération se battre pour la justice. J’ai été très touchée de voir tou·te·s ces étudiant·e·s se mobiliser partout dans le monde pour la Palestine ces derniers mois. Certain·e·s ne sont même pas arabes, mais il·elle·s se sont révolté·e·s contre la mort de personnes innocentes. J’espère avoir une plus grande audience encore, partout dans le monde, pour faire entendre ma voix et partager la vérité du peuple palestinien.

M. As-tu déjà eu l’impression de devoir aller à l’encontre de ta propre nature pour te conformer à des normes ?
Z.
Parfois oui, je dois le reconnaître. En tant que personne d’origine palestinienne, je ressens souvent cette injonction à devoir supprimer ou atténuer des parties de mon identité pour me conformer aux normes sociétales. Cette tension peut faire surface même de manière subtile, comme quand je modifie ma façon de parler ou de m’habiller. Ce fardeau qui me pousse parfois à cacher qui je suis vraiment peut être assez lourd. Malgré tout, je suis immensément fière de mon héritage et je m’efforce de rester fidèle à moi-même.

M. À ce propos, le thème de notre numéro est “State of nature”. Que t’évoque cette notion ?
Z.
Pour moi, la nature, c’est l’équilibre. C’est un état d’alignement entre son soi conscient et le monde qui l’entoure. C’est un concept auquel je reviens régulièrement, en particulier dans ma musique, car je trouve souvent que je ne peux pas faire de musique qui parle à l’esprit et au corps sans d’abord aligner ces notions avec moi-même.

M. Quels gestes ou événements t’ont récemment (re)connectée à la nature ?
Z.
Je travaille dans un secteur qui m’oblige souvent à être à l’intérieur, et généralement sous terre, quand je suis en studio. Cela signifie que je me retrouve fréquemment isolée du monde, tout en essayant justement de faire une musique qui reflète ma vision du monde. C’est pour ça je suis toujours très soucieuse de m’imprégner autant que possible de mon environnement, parce que ça m’aide vraiment à rester ancrée dans notre réalité, aujourd’hui marquée par un rythme effréné. Quelque chose d’aussi ordinaire qu’une brise d’air frais, apprécier la pleine lune ou regarder un coucher de soleil suffit à me rappeler que nous faisons partie d’une histoire plus vaste.

M. Quel regard portes-tu sur ton parcours dans la musique jusqu’à présent ?
Z.
Je suis extrêmement reconnaissante. Ça a été une aventure incroyable et pleine de surprises. Je n’arrive toujours pas à croire que mon principal public se trouve en France, aux États-Unis et en Allemagne, des pays non arabophones. Des personnes me disent qu’ils ont envie d’apprendre l’arabe après avoir écouté mes chansons. Ça me touche énormément et me donne envie de continuer à donner le meilleur de moi-même.

M. Récemment, tu as été vue aux défilés de Loewe et Jacquemus et tu as été égérie pour Tiffany’s. Que penses-tu de la mode ?
Z.
J’ai toujours eu des goûts très simples en matière de mode. Ma philosophie, c’est less is more. Ces dernières années, j’ai appris à apprécier différemment la mode et l’artisanat. Je suis impressionnée par le travail et les efforts qui sont déployés derrière chaque collection. J’aime beaucoup la nouvelle direction artistique que prend ­Jacquemus, avec des coupes et des imprimés très minimalistes. J’ai particulièrement aimé sa collection “Sculptures” printemps-été 2024.

M. Quels sont tes rêves pour l’avenir ?
Z.
J’aimerais voir la musique arabe sur le devant de la scène internationale. Je pense sincèrement que c’est déjà un peu ce qui est en train de se passer et je suis reconnaissante envers les autres artistes arabophones de ma génération comme Saint Levant, Bayou, Elyanna ou encore Issam Al Najjar, de promouvoir notre langue et nos cultures. Je rêve aussi de performer et de remplir une arena. Enfin, plus que tout, je veux me tenir du bon côté de l’Histoire et œuvrer pour le bien avec ma musique.