PORTRAIT DE JAN DANS LA MAISON 4, PAR JADE DESHAYES, 2020.

Peintre, sculptrice et créatrice, Jan Melka n’écoute que son instinct et son cœur d’enfant. Rencontre avec une artiste qui se joue des codes de l’art contemporain et met (littéralement) le feu à tout ce qu’elle touche.

Savoir saisir les opportunités, c’est un art que maîtrise Jan Melka comme personne. L’artiste découvre le monde des podiums dès 16 ans, lorsque sa mère, la journaliste de mode américaine ­Rebecca Voight, l’emmène sur tous les défilés. De quoi aiguiser l’œil de celle qui, dès sa majorité, photographie les socialites, wannabes et célébrités pour le magazine Ten Days in Paris. L’occasion de se forger un solide carnet d’adresses, en commençant par un créateur qu’elle ne tarde pas à assister : Jean-Charles de Castelbajac : “C’est un artiste hors du commun. Je l’ai rencontré lorsqu’il montait son studio de création. Je l’ai regardé peindre et dessiner, puis collaborer sur divers projets avec de grandes marques. Il me paraissait tellement libre, il a accepté de me prendre sous son aile en m’avouant qu’il avait rencontré ma mère lorsqu’elle aussi avait 18 ans.” En 2021, le designer l’invite à peindre une robe sur la Piazza de Pompidou, une performance interactive qui détourne la tradition des cadavres exquis des surréalistes en la transposant sur le vivant au travers de robes-tableaux.

PORTRAIT DE JAN PAR ZELINDA ZANICHELLI.

DÉTACHEMENT 1, HUILE SUR TOILE, 190 X 135 CM, 2024.

C’est avec un autre créateur parisien que la jeune femme collabore, cette fois en tant que scénographe, en 2023 : Christian Louboutin. Son ami proche, le chorégraphe Léo Walk, lui donne alors carte blanche afin d’habiller le décor du Loubi Show, une célébration en danse et en musique qui dévoile la collection femme automne/hiver 2024 du célèbre chausseur. Jouant sur les corps et les volumes, Jan Melka construit un décor épuré représentant des silhouettes en mouvement et invite les danseuses à se vêtir d’une maison en guise de déambulation. Un habitat que l’on retrouve au fil de l’œuvre de cette artiste pluridisciplinaire, dont l’art s’amuse avec lui-même et refuse de devenir adulte. “Les personnes évoluant dans le monde de l’art voulaient que je crée un discours autour de mes œuvres, car, selon eux, 
je ne prenais pas mon travail assez au sérieux, nous avoue l’artiste à la franchise salutaire. Mais il était hors de question pour moi de mettre des mots sur ce dernier. J’ai toujours considéré qu’il se suffisait à lui-même. Il m’a fallu pas mal d’années pour prendre confiance en moi dans ce domaine. J’ai commencé à m’exprimer artistiquement parce que je n’arrivais pas à le faire autrement et c’est devenu, au fil des ans, mon métier.” Une profession qu’elle exerce maintenant depuis près de dix ans. Le bac en poche, Jan se dirige vers des études de graphisme tout en peignant à ses heures perdues (mais d’ailleurs, le sont-elles vraiment ?).

CABANE ÉTAT D’URGENCE IV, MIXED MEDIA, 140 X 89 X 110 CM, 2020, ARTIST GRANT GROUP SHOW.

JAN À L’ATELIER EN RÉSIDENCE CHEZ JEANNE BARRET À MARSEILLE, PHOTOREPORTAGE PAR JONAS HEINTSCHEL, 2024.

“Je peignais à l’instinct, dans mon coin. Je n’avais pas du tout envie de m’enfermer dans une école d’art ni d’attendre qu’un galeriste me remarque et m’expose. Un ami m’a proposé de montrer mes œuvres dans un appartement en chantier à Belleville. J’ai adoré exposer mon travail au public, surtout dans ce cadre non institutionnel.” Au fil du temps, elle acquiert peu à peu les codes, portant un regard aguerri sur un milieu qui ne se montre pas tendre envers celles et ceux qui osent s’éloigner des sentiers battus : “Les galeristes, les curateurs ou les autres artistes nous demandent toujours d’entrer dans des cases. C’est pourtant un métier dans lequel il ne devrait pas y avoir de règles, car cela peut freiner notre imagination, reconnaît l’artiste. Le monde de l’art est un business : on nous explique ce qui est exposable et ce qui ne l’est pas, ce qui est vendable ou non… C’est difficile de trouver l’équilibre entre prendre les conseils qu’on te donne et garder son individualité et sa créativité. Il faudrait toujours écouter son enfant intérieur et conserver cette part de jeu qu’on trouve dans l’art.” C’est par exemple ce qu’elle a fait en réinterprétant le concept de cabane : “Utiliser des cabanes correspond à une envie de repli, de rester dans l’enfance. Une sorte de safe place dans laquelle rien ne peut nous arriver”, explique celle qui, durant son enfance, en construisait en carton avec son frère Joseph, lui-même devenu architecte. Dans l’exposition “Body Building”, qu’elle présente en 2021 à la galerie Bubenberg, les spectateur·rice·s sont invité·e·s à entrer dans une maison construite par l’artiste, passant la porte de son imaginaire et de son intimité. Telle une allégorie du temps qui passe et de l’enfance qui s’évapore, Jan Melka décide de quitter son cocon avec fracas.

SÉRIE “MAISON EN FEU”, LES LANDES EN FEU, EN COLLABORATION AVEC DAVID LEDOUX, PHOTOGRAPHIE, 1 M X 1 M, 2024.

SÉRIE “MAISON EN FEU”, EN COLLABORATION AVEC DAVID LEDOUX, 2024.

Dans “Maison en feu”, présentée l’été dernier au Poush d’Aubervilliers, elle immole ses constructions éphémères photographiées par son ami David Ledoux : “Je glisse toujours un peu de mon vécu dans mes œuvres. Je vivais une séparation amoureuse lorsque nous avons brûlé la première maison, j’y avais mis quelques messages qui sont alors partis en fumée. J’ai pris l’habitude de cacher des mots dans mes peintures, ce qui rend mon travail encore plus personnel.” Une pratique qu’elle n’a pas peur d’expérimenter au fil du temps, sans jamais pour autant renier ses débuts : “Je n’avais pas de message concret à transmettre lorsque j’ai commencé à présenter mon travail, mais je sentais que le mouvement et le trait me hantaient. C’est pour cela que j’utilisais uniquement du noir et blanc, car les couleurs pouvaient parasiter mes idées. Si on les utilise mal, cela peut vite devenir kitsch. Je tenais à ce que mes peintures restent élégantes car je ne savais pas comment gérer les couleurs.” Celle qui avoue regarder des tutos YouTube afin d’apprendre les techniques de l’huile sur toile est désormais prête à sortir de sa zone de confort et n’hésite plus à mettre un peu de couleur dans nos vies : “J’adore apprendre en autodidacte. Je me rapproche aussi de la sculpture, qui est la passion de mon père. La peinture à l’huile peut d’ailleurs s’apparenter à cette pratique tant elle exige d’apprivoiser sa matière.”

CECILIA, 2019, SÉRIE “PASTÈQUES ET PARABOLES”, ACRYLIQUE ET DIGIGRAPHIE SUR TOILE, 162 X 114 CM.
Jan Melka, ‘Segunda Virginidad 7,’ 2021-2022, Oil and acrylic on linen canvas, 110 x 160 cm

Sculptrice, plasticienne, peintre : ce n’est pas une mince affaire de catégoriser Jan Melka, qui avoue avoir beaucoup de mal à s’autoproclamer “artiste” : “J’ai pendant très longtemps rejeté cette appellation car pour moi, tout le monde devient artiste à partir du moment où il·elle crée. Je trouvais ça fou et hautain de me considérer ainsi. Pourtant, je peins tous les jours, je dessine, et je pense sans cesse à ce que je peux créer. Je préfère dire que je suis créatrice. Et désormais, lorsque je dois me présenter, je dis que je suis peintre, car même dans mes œuvres sculptées il y a toujours de la peinture.” En attendant de voir ses huiles exposées, l’artiste prépare une série de sculptures à mi-chemin avec le mobilier : “Des sortes de poufs en cuir ou en toile dans lesquels on pourra s’asseoir comme dans des doudous géants.” Une convocation de notre âme d’enfant qui n’est pas pour déplaire à celle qui fête cette année son trentième anniversaire : “Je suis quelqu’un de très nostalgique, je repense beaucoup au passé, au temps où on s’ennuyait sans être collé·e·s à nos portables, à l’insouciance qui était la nôtre… Je fais d’ailleurs attention à rester du mieux que je peux dans le moment présent, en savourant chaque minute. J’ai un peu l’impression de planter des graines afin de rendre mon futur meilleur, mais je n’ai pas de grandes attentes, je laisse venir les choses. Il m’a fallu dix ans de carrière pour apprendre. La persévérance a ­remplacé l’instinct, je m’applique plus qu’avant, mes traits sont moins naïfs. Je commence enfin à avoir un discours sur mon travail, à comprendre et expliquer ce que je fais. Je suis au début d’un nouveau cycle.” Appelons cela de la maturité.

Cet article est originellement paru dans notre numéro WE WILL ALWAYS BE THOSE KIDS FW25 (sorti le 25 février 2025).