De la transformation, elle n’eut aucun souvenir. Elle s’était réveillée à l’aube, chez elle, avec des crampes abdominales et un homme dans sa maison. Il dégageait encore une légère odeur de vase, mais il avait gardé ses yeux noirs et une peau remarquablement hydratée. Elle le trouvait magnifique. Il dégageait un tel charisme qu’elle aurait pu jurer que des rayons lumineux suintaient par tous ses pores. Rien qu’à le regarder, elle sentait les battements de son cœur s’accélérer et son ventre se retourner. Cela faisait longtemps qu’elle n’avait pas pris un tel shoot de sensations. Ça avait donc marché… Ce truc de conte imbécile existait vraiment. Elle repensa à cette idiotie qu’elle avait entendue trop souvent, cet adage qui disait que parfois l’amour était sous son nez et qu’il fallait juste mieux regarder. Ça la mit en colère, mais il fallait bien admettre qu’elle venait de trouver son prince charmant dans le trou d’eau boueux derrière sa maison. Et qu’elle ne pouvait pas s’empêcher de sourire comme une imbécile.
Tout lui plaisait en lui. Son air ténébreux, sa façon de se tenir immobile pendant des heures devant la fenêtre, le regard tourné vers les vasières. Chaque fois qu’elle embrassait son petit miracle, son cœur se remettait à battre du tambour, comme une preuve tangible de son amour grandissant pour ce grand taiseux. Elle l’avait prénommé Bastien, il n’avait pas protesté. Il n’avait pas protesté non plus, quand elle l’avait enseveli sous les sobriquets mielleux, les caresses et les flashs de son Polaroïd. Elle voulait garder le plus de traces possibles de leur bonheur.
Elle n’aurait pas su dire depuis combien de jours durait cette parenthèse enchantée. Elle n’avait plus la perception du temps. Depuis quand n’avait-elle rien mangé ? Et lui ? Elle n’arrivait à convoquer aucune image de repas depuis son évanouissement près de la mare, par contre il lui semblait qu’elle avait pas mal vomi. De toute façon, elle ne pouvait rien avaler. Elle n’avait pas d’appétit et son ventre n’arrêtait pas de serrer du poing. Elle aurait aimé lui en parler, mais il avait l’air tellement absorbé par ses pensées qu’il ne se rendait même pas compte qu’il était assis sur la réserve de copeaux de bois. Elle n’avait pas osé le sortir de sa torpeur. C’est un cri qui l’avait fait sursauter pour la première fois. Elle avait été attendrie de voir son grand costaud s’affoler à la vue d’un héron cendré. Le reste du temps, il ne se plaignait de rien. Elle avait décidé de s’aligner sur son comportement exemplaire : peu importaient les spasmes douloureux et les urgences intestinales, elle continuait de sourire la fièvre au front.