La danseuse Grace Jabbari porte les cuissardes « Tora Over the Knee » en cuir et Sharia Johnson les boots « Taksy Combact », collection Automne-Hiver 2021/2022 AGL.

Synonyme de solidarité et de bienveillance indéfectible entre femmes, la sororité est devenue une valeur incontournable, défendue jusque dans l’industrie de la mode comme le prouve “Sisterhood”, la dernière campagne de la marque italienne AGL.

Kids des 90s, on ne vous en voudra pas si, en entendant le mot “sororité”, vous vient tout de suite l’image d’un groupe d’étudiantes d’université américaine à la Mean Girls vivant sous le même toit et partageant les mêmes règles absurdes. Une représentation de la pop culture, qui concentre un bon nombre de clichés féminins bien lourds avec l’intello, la canon populaire, la pompom girl, etc. Mais la sororité, c’est surtout un terme politique et féministe introduit pour la première fois en 1970 par la poétesse américaine Robin Morgan avec son livre “Sisterhood is Powerful”. C’est avec #MeToo à la suite de l’affaire Weinstein en 2017, que le concept de sororité est revenu sur le devant de la scène dans sa dimension politique la plus large. Un simple mot teinté de bienveillance et d’empathie qui aurait donc le pouvoir de renverser les rapports de force et les injustices hérités du patriarcat. Rêvons un peu.

En attendant que cette vision idéaliste se réalise enfin, on peut toujours compter sur la pop culture et les industries créatives pour nous sensibiliser à la cause. D’abord dans la musique avec la récente sortie en France de Sorøre, l’album commun de Camélia Jordana, Amel Bent et Vitaa, mais aussi et surtout dans le milieu de la mode avec des marques qui conçoivent des campagnes réalisées entièrement par des équipes féminines accompagnées de slogans féministes. C’est le cas de Sara, Vera et Mari, les trois sœurs à la tête de la marque italienne AGL qui, après avoir repris la direction de l’entreprise familiale à la suite de leur grand-père et de leur père, ont décidé de mettre davantage en valeur les femmes.
Reprendre les rênes de la boîte après deux générations de leadership masculin ne coulait pourtant pas de source, comme nous le rappelle l’une des sœurs : “Historiquement, cette position ne pouvait être occupée que par des hommes”. Si leur détermination et leur passion pour la maroquinerie féminine ont su convaincre tout le monde de leurs capacités à assurer le job, elles mettent un point d’honneur depuis leur arrivée à ce que leur équipe soit composée à 65 % de femmes. Pour Sara, Vera et Mari, le concept de sororité est l’essence même du processus de création d’AGL. Elles imaginent et conçoivent les pièces des collections toujours ensemble.

La sororité est si importante et chère à leurs yeux qu’elles ont nommé leur dernière collection Automne-Hiver 2021-22 “Sisterhood” et ont construit toute la campagne créative autour de cette idée. Pour cela, elles ont réuni une équipe entièrement féminine pour concevoir une vidéo en partenariat avec Nowness – plateforme de contenu super pointue et devenue une vraie référence dans la culture et la mode. Dans les salles d’exposition d’un Tate Modern museum vide, trois danseuses aux physiques différents interprètent une chorégraphie contemporaine. Nikkita Chadha – danseuse et actrice aperçue dans le remake d’Aladdin de Guy Ritchie et castée pour l’adaptation de Mort sur le Nil avec Gal Gadot qui sortira en 2022 – enchaîne les mouvements graphiques et énergiques avec ses sœurs de danse, Grace Jabbari et la ballerine Sharia Johnson. Immortalisé par Fiona Jane Burgess, réalisatrice londonnienne ouvertement féministe et récompensée au festival de publicité Cannes Lions en 2019, le lien de sororité qui les unit est palpable. Il émane de la vidéo une douce puissance, avivée par les paroles de la jeune chanteuse anglaise Låpsley, 25 ans, qui a composé pour l’occasion un poème intitulé Sisterhood. Les vers appellent à considérer la sororité comme un vecteur de puissance mais aussi un safe space en soi.

“With my sisters hand in hand
I know
I can be the red flag
And the bull
You only have to push
And I will pull
I can help you feel full
Because you help me
Not to be fearful”

En concevant ce projet avec une équipe entièrement féminine, les créatrices d’AGL livrent une belle démonstration du potentiel créatif de la sororité et montrent que les marques peuvent éthiquement et justement s’engager sur le sujet. Comme les trois sœurs le revendiquent, Sisterhood est une invitation faite aux femmes à prendre le lead et “à se faire davantage confiance”, elles qui restent en effet encore sous-représentées dans l’industrie de la mode. Les grandes maisons de haute-couture et de prêt-à-porter sont en grande majorité dirigées par des hommes – chez LVMH, par exemple, seules quatre des quinze marques du groupe ont une directrice artistique à leur tête. Parmi les potentielles raisons pour expliquer cette sous-représentation, la tendance naturelle des femmes à remettre en cause leur potentiel, là où les hommes se posent moins de questions. C’est là où la sororité pourrait bien jouer un rôle clé, en donnant à certaines la force et la confiance suffisantes pour ne plus douter. C’est en tout cas le mantra de l’actrice Adèle Exarchopoulos dans notre numéro Printemps-Été 2021 “Utopia”, qui nous avait confié : “Je crois à mort à la sororité, j’en ai besoin.” Nous aussi on y croit vraiment à mort.