À partir du 1er février prochain, la Maison Européenne de la Photographie accueillera une partie de l’oeuvre de la photographe militante non-binaire Zanele Muholi. Une rétrospective majeure, rassemblant plus de 200 photographies de l’artiste sud-africaine, et d’utilité publique, pour le message de tolérance et d’ouverture qu’elle véhicule.

« Je vois en Muholi une figure unique du monde de l’art contemporain international : une voix puissante et originale qui transcende ses intérêts propres et la sphère locale dans laquelle iel s’inscrit ». Ces mots sont ceux de Simon Baker, Directeur de la MEP, et ne pourraient pas mieux décrire la personne de Zanele Munoli. Cette photographe et activiste sud-africaine de 48 ans a, en effet, décidé de dédier une très grande partie de sa vie et de son art à défendre les communautés LGBTQIA+ de son pays et d’ailleurs. Au delà de leur beauté immédiate et évidente, tous ses clichés portent un questionnement. Quel regard portons-nous sur la représentation ? Celui-ci ne porte-t-il pas intrinsèquement l’exclusion de certaines communautés et identités ? « La démarche de Muholi met en évidence de nombreuses réflexions liées aux questions d’identité et de militantisme politique », explique Simon Baker. « Sa pratique du portrait, qu’il s’agisse d’autoportraits ou de ceux d’autres personnes, illustre avec éloquence l’ambition et la capacité d’une approche qui vise à ne jamais laisser le public insensible pour indifférent. » À l’heure où la plupart des sociétés occidentales se trouvent socialement divisées et semblent plonger dans une indifférence dramatique, le travail de Zanele Muholi trouve une résonance toute particulière.

Un appareil photo comme arme contre les injustices

 

Zanele Muholi nait à Umlazi, un quartier de Durban, en Afrique du Sud en 1972, alors que le pays est soumis à un régime politique raciste, l’apartheid, qui ne prendra fin qu’en 1994. Si la démocratie et la nouvelle Constitution (1996), qui font suite à l’apartheid, interdisent toute discrimination fondée sur la race et l’orientation sexuelle, les personnes noires LGBTQIA+ restent la cible de violences quotidiennes. En tant que personne non-binaire racisé.e, Zanele subit de plein fouet ces discriminations.  En parallèle de ses études de photographie au Market Photo Workshop à Johannesburg et, plus tard, à l’université Ryerson à Toronto, iel devient militant.e et s’implique fortement dans la vie de la communauté LGBTQIA+. Son travail photographique devient alors indissociable de son militantisme. Dans ses portraits individuels et collectifs, iel met en scène des personnes queer et racisé.es pour les révéler et questionner les stéréotypes et représentations dominantes qui y sont associées. Les personnes qu’iel photographie ne sont pas des « modèles », mais actrices de la photographie et invitées à participer en suggérant des idées de lieux, de stylisme et de pose. Adepte de l’autoportrait, l’artiste tourne également son appareil vers ellui-même pour interroger l’image de la femme noire dans l’histoire. Iel accentue volontairement le contraste de ses autoportraits pour faire valoir la noirceur et la beauté de sa peau. « Je reconquiers ma négritude, qui, selon moi, est continuellement sujette aux interprétations d’un.e autre privilégié.e. », explique Zanele Muholi. « Depuis l’esclavage et le colonialisme, les images des femmes africaines ont été exploitées pour propager l’hétérosexualité et le patriarcat blanc et ces systèmes de pouvoir ont tellement organisé notre vie quotidienne qu’il est devenu difficile de nous représenter telle que nous sommes réellement dans nos communautés respectives. »

Une tribune pour les personnes LGBTQIA+ racisées

Dès ses débuts en tant qu’activiste, Zanele a cherché à capter les expériences et récits directement auprès des personnes noires de la communauté LGBTQIA+. Son objectif était de leur donner une plateforme pour raconter leur histoire avec leurs propres mots. Iel a co-fondé, à ce titre, le Forum for the Empowerment of Women pour la responsabilisation des femmes et fondé en 2006 Inkanyiso (« lumière » en zoulou, un dialecte de l’Afrique du sud) un forum pour les médias queer. La rétrospective de la MEP présentera une installation vidéo qui rassemble les interviews de personnes racontant leur expérience en tant que membres de la communauté LGBTQIA+ en Afrique du Sud. Ces entretiens ont été réalisé par des collaborateur.rices de l’artiste, dont des membres de Inkanyiso dont la devise est « Queer activism = Queer media ». Le collectif et l’action militante collective est centrale dans le travail de Zanele. Si iel photographie souvent des sujet seuls, ses clichés, pris dans leur ensemble, sont destinés à créer un sanctuaire où les personnes queer peuvent se connecter et guérir ensemble des expériences. La rétrospective prévoie de présenter une série de photographies qui documentent des événements privés, comme des mariages mais aussi des évènements publics comme les marches des fiertés et les manifestations. Photographier des participant.es noir.es LGBTQIA+ dans les espaces publics est une part importante de l’activisme visuel de Zanele. « Nous ‘queerons’ l’espace afin d’y accéder. Nous présentons notre transition au monde afin de nous assurer que les corps trans noirs font également partie de l’espace public. Nous nous le devons à nous même. » Preach!
La rétrospective consacrée à Zanele Muholi est à découvrir à la Maison Européenne de la Photographie du 01.02.23 jusqu’au 21.05.23.