Pour Alexandre Samson, conservateur et commissaire d’exposition au Palais Galliera, c’est surtout une façon pour les designers de marquer leur territoire : “Rappeler au monde un succès, un buzz ou un scandale, c’est économiquement très intéressant. Donatella Versace et Marc Jacobs ne sont pas les premiers à avoir eu recours à ce geste d’auto-citation et cela est souvent bien plus prosaïque qu’il n’y paraît. En 1994, Martin Margiela rééditait des pièces que les clientes regrettaient d’avoir manquées. Dans le cas de Prada, la répétition a permis de redévelopper et redéployer des pièces phare qui ont par la suite forgé la signature de Miuccia Prada”. À l’heure où la mode tend à se montrer plus écolo, plus responsable et inclusive, l’auto-recyclage des égéries et des scandales, mais aussi du concept même d’Histoire, vient questionner l’ordre du temps et de la vitesse dans une industrie qui tente de satisfaire des consommateurs de plus en plus impatients, tout en s’efforçant, à l’heure des réseaux sociaux, de les abreuver constamment de nouveautés.
ENTRER AU PANTHÉON DE LA MODE
“Parler du passé ne se fait plus au hasard : c’est un véritable choix, ajoute David Zajtmann. Aujourd’hui, les directeurs des grandes maisons possèdent des connaissances de plus en plus précises et fines du passé et engagent des travaux sur la conservation des archives. Ce mouvement tend depuis dix ans à se systématiser.” Et pour cause, les rétrospectives gagnent du terrain, attirant toujours plus de curieux : 700 000 visiteurs pour Christian Dior Designer of Dreams – une histoire de la maison Dior, de 1947 à nos jours. “La plupart des rétrospectives de maisons de couture en France mettent encore en scène un temps linéaire, remarque Marco Pecorari, directeur du master Fashion Studies à la Parsons School Paris. Le matériel promotionnel est un lieu crucial où les histoires ont été écrites et réécrites. En ce sens, il est possible de tracer une trajectoire du milieu du xviiie siècle à nos jours afin de refléter un discours sur l’histoire de l’industrie de la mode par elle-même.” Touché !
L’exemple emblématique de cette tactique reste sans doute l’exposition The Historical Fashion. Fashion and art in the 1980, organisée par Harold Koda et Richard Martin au Costume Institute en 1990. À l’époque, les deux conservateurs mettaient en place un projet qui explorait les intersections entre mode et art et qui interrogeait déjà le concept de temps et de répétition, notamment avec l’exemple de La Chemise à la reine, tableau d’Élisabeth Vigée Le Brun réalisé en 1783 sur lequel Marie-Antoinette arborait l’équivalent d’une nuisette pour l’époque, suscitant une controverse du même ressort historique que le corset aux seins coniques de Madonna créé par Jean Paul Gaultier pour la tournée de l’artiste, Blond Ambition Tour, en 1990. Une preuve de plus, s’il en fallait, que dans le monde de la mode les dialogues entre les époques se mettent en scène et viennent nourrir un historicisme qui lui est propre.