MIXTE Quand as-tu commencé à écrire pour le magazine ?
LOÏC PRIGENT À l’époque de Marie Colmant (rédactrice en chef adjointe de Mixte entre 1997 et 1998, ndlr), c’est elle qui m’avait fait venir.
M. Qu’est-ce que Mixte incarnait pour toi ? Qu’a-t-il représenté dans ta carrière ?
L.P. J’aimais bien que ce soit extrêmement léché sans être bourgeois, parce que les choses sophistiquées étaient assez bourgeoises à l’époque. Il y avait un côté “tête chercheuse” mais tenue ; tu n’avais pas l’impression de lire un magazine fait par des gens qui se mettaient la tête à l’envers. Mixte revendiquait déjà un côté masculin / féminin, au moment où il n’y avait pas de masculin, justement, et décloisonnait les genres sans mauvaise hiérarchie, sans faire un truc mondain. J’ai le souvenir d’accroches qui se voulaient commerciales, mais le magazine faisait ça sans se soucier de ce qui est commercial ou non. J’ai de bons souvenirs à Mixte, avec Marie en mode mitraillette, proposant mille idées à la seconde.
M. Comment décrirais-tu la presse d’il y a vingt ans ?
L.P. L’Eldorado, c’était la presse anglaise. Elle avait une force évocatrice incroyable avec un truc très immédiat où tu avais l’impression de lire le temps présent, d’avoir les doigts dans la bonne prise… Ça m’impressionnait beaucoup. À Paris, il y avait un vrai décalage. Heureusement qu’il y avait Laurent Bon et Arielle Saracco que j’ai rencontrés à la rédaction du magazine 20 ANS le jour de mes 20 ans. J’étais venu déposer le fanzine que je faisais avec Gildas Loaëc (créateur de la maison Kitsuné, ndlr). C’est lui qui avait trouvé le titre, Têtu.
M. Qu’est-ce qui te faisait rêver dans la presse ?
L.P. Le papier… tout. Le côté assez américain avec les photos de stars de cinéma. La mise en scène, le temps suspendu. J’ai acheté très tôt beaucoup de magazines, et j’ai aussi été très marqué par Libération racontant la place Tian’anmen en avril-mai-juin 1989, avec des papiers qui saisissaient les événements au quotidien et des photos très puissantes que j’avais collectionnées. Je pense que le service photo de l’époque à Libé était constitué de vrais artistes.
M. Quelles questions te traversaient l’esprit ?
L.P. Avec Gildas, on venait de Bretagne, on avait vu des gens autour de nous dans un contexte assez triste, donc on avait vraiment décidé de faire l’inverse, de proposer quelque chose d’optimiste, de positif, d’hédoniste.
M. Tu trouvais l’époque un peu terne ?
L.P. Je ne sais pas si c’était l’époque en général, mais autour de nous on voyait des gens très sombres qui s’habillaient en noir. Il y avait des moments à la fois hyperoptimistes comme la chute du mur de Berlin, mais tout se rétamait la gueule tout de suite après : Tian’anmen et pouf, la chute du mur et pouf… La Russie, youpi, et pouf, tout s’est écrabouillé la gueule. Tous les moments d’optimisme étaient comme des courants d’air. Tu ne pouvais pas baiser, c’était sombre…
M. Où vivais-tu à cette époque ?
L.P. À Brest, pour les études. Mes parents ne voulaient pas que je m’installe à Paris, alors je me débrouillais pour squatter chez différents potes, ma copine Cécile ou Nathalie qui avaient leurs portes très ouvertes. Des filles vraiment cool.
M. Tu faisais quoi comme études ?
L.P. Lettres modernes, donc vraiment rien.
M. Et à Paris, tu traînais dans quel quartier ?
L.P. Dans le 10e, à Goncourt. C’était un choc culturel pour moi qui venais de Bretagne. Je n’avais jamais mangé de curry.
M. Comment as-tu découvert l’univers de la mode ?
L.P. De la même manière dont j’ai découvert tout le reste : le restaurant chinois, la musique… C’est pas compliqué : la mode à Paris, c’est comme la Seine, tu la trouves vite. Quand tu es dans une soirée, il y a toujours deux mecs qui bossent dans ce milieu. L’idée de m’y intéresser m’est venue naturellement. Je me souviens avoir vraiment insisté auprès de Mademoiselle Agnès pour qu’on aille suivre les défilés. C’est le moment où je me suis dit : ça, ça va être drôle.
M. Comment vous êtes-vous rencontrés ?
L.P. En 96, quand Canal + nous a mis en contact. J’étais programmateur et je me suis retrouvé à squatter son bureau. On a créé la team comme ça, de façon organique.
M. Comment travaillez-vous ensemble ?
L.P. On bosse en tandem et on prépare tout très à l’avance. On ne prend pas l’auto-tamponneuse pour foncer, on a préparé notre trajectoire. C’est elle qui se met le plus en danger, c’est elle qui va au défilé Lanvin en hurlant : “Je n’ai plus rien à me mettre parce que Alber est parti !” et qui se met à pleurer. Il faut avoir une sacrée audace pour le faire devant les équipes de Lanvin. Elle sait qu’elle est assise devant le Vogue américain, et il faut se les prendre, les rires et les regards. C’est une grande actrice : on répète, elle connaît le texte à l’intonation près, puis il y a une part d’improvisation parce qu’elle sait en sortir de bonnes !