MIXTE. Comment en arrive-t-on à lancer sa marque de baskets vegan et écoresponsables ?
MATS ROMBAUT. Je crois que j’ai toujours eu envie de me lancer dans ma propre aventure. J’ai commencé par des études de business, histoire d’assurer mes arrières. Il faut dire qu’à l’époque, en Belgique, le métier de créateur de mode n’était pas un but concret auquel on pouvait aspirer, car il y avait très peu d’exemples. Ensuite, j’ai étudié la création en Espagne avant de venir à Paris. J’ai commencé en stage chez Lanvin, aux accessoires homme. En parallèle, la protection de l’environnement est devenue une préoccupation essentielle pour moi, et j’ai cherché à m’informer le plus possible, surtout en regardant des documentaires sur internet. En voyant l’impact de l’élevage et de l’agriculture animale sur la planète, j’ai très vite pris la décision de devenir végétarien, puis de basculer vers un régime vegan. Je travaillais à l’époque chez Damir Doma, où j’étais chargé de la production des produits et des accessoires : j’étais donc confronté quotidiennement aux commandes de cuir ou de fourrure. C’était très difficile pour moi de concilier mon travail et mes convictions. Je ne pouvais pas continuer, j’ai donc décidé de me lancer seul dans une entreprise qui respecte à la fois mes valeurs et ma vision créative.
M. On connaît les difficultés auxquelles font face les jeunes créateurs. Vous vous êtes rajouté de multiples contraintes par rapport à l’éthique, mais aussi à un marché qui ne dispose peut-être pas des matières ou des connaissances adaptées aux attentes des consommateurs…
M. R. Quand je repense aux premières années de la marque, je me demande vraiment comment j’ai fait pour ne pas devenir fou ! J’avais tellement peu de moyens, je prenais ma propre voiture pour partir en Allemagne récolter l’écorce qui me servait de matière première. Je faisais le traitement moi-même, puis je dormais dans la grange avant de tout charger dans le coffre et de repartir en voiture pour l’Italie chez mes artisans, car je n’avais pas de quoi payer un FedEx. Ces tout premiers modèles, réalisés simplement en écorce cousue de fil PETG, se désagrégeaient naturellement après quelques mois d’utilisation. J’avais prévenu les acheteurs, mais c’est difficile de proposer un produit à 600 euros avec une durée de vie aussi courte… J’ai très vite compris que ce modèle financier ne pouvait pas fonctionner !
M. Vous avez dû faire des compromis ?
M. R. Aujourd’hui, je fais plusieurs consultings qui me permettent de gagner ma vie en dehors de la marque. Je peux enfin employer une équipe, alors qu’avant je travaillais uniquement avec des stagiaires certes formidables, mais qui partaient au bout de six mois. J’ai basculé la production des modèles depuis l’Italie vers le Portugal, pour des raisons de coûts. Et je travaille avec des matières comme l’EVA (éthylène vinyle acétate), même si je cherche toujours à trouver des solutions plus écologiques, mon rêve étant de réaliser des modèles totalement biodégradables, sans aucun impact environnemental. C’est avant tout une demande des acheteurs : si je fais le même modèle en cuir d’ananas et en EVA, les boutiques comme les clients choisiront la version en EVA… M. La caution vegan et écologique n’est donc pas suffisamment attractive pour vos acheteurs ? M. R. Je reçois énormément de messages de soutien et de feedback positifs, mais souvent de la part de personnes qui n’ont pas les moyens de s’acheter des baskets à 280 euros. Pourtant, nous avons réussi à baisser nos prix pour passer d’une offre luxe à un créneau plus accessible. Mais cela reste trop cher pour des gens qui sont réceptifs aux messages du bio et du vegan. J’avoue être un peu déçu par une certaine élite. Selon moi, le luxe vegan et écoresponsable a la capacité de devenir une nouvelle marque de statut. C’est une façon pour les gens qui ont les moyens d’exprimer leurs convictions : regardez, on agit pour la planète ! Cela peut créer une émulation. Pour l’instant, on n’y est pas encore, mais les choses peuvent évoluer très vite. Il suffit de voir la vitesse à laquelle la fourrure est passée d’un symbole de richesse à une matière quasi indésirable. J’espère voir arriver rapidement des changements positifs. Kering et LVMH disent s’y mettre, mais est-ce simplement du greenwashing ?
M. Rombaut connaît pourtant actuellement un certain succès dans les médias et surtout via les réseaux sociaux.
M. R. Pour qu’une marque puisse réellement décoller, il faut que beaucoup d’éléments s’alignent : le produit, mais aussi la communication… Pendant longtemps, j’étais tellement submergé de travail que je n’avais pas le temps de me consacrer à tout ça. Aujourd’hui, la sauce commence enfin à prendre, on travaille avec des célébrités. Mais les influenceurs, à l’instar de Bella Hadid dernièrement, s’intéressent avant tout à l’esthétique de la chaussure, pas au message social de la marque. Je dois m’y faire, malheureusement.
M. Toujours des compromis…
M. R. Le message est parfois difficile à communiquer. On m’a demandé à plusieurs reprises si les modèles étaient disponibles en cuir animal. Si j’avais accepté de le travailler, la marque aurait beaucoup plus de succès aujourd’hui.
M. D’où les claquettes “salade” que vous avez imaginées pour l’été prochain, comme une sorte de reminder visuel de votre conviction vegan ?
M. R. Évidemment qu’elles évoquent cet idéal et une esthétique vegan ! Au départ, pour communiquer sur la marque, j’avais même réalisé des modèles éphémères entièrement en fruits et légumes. Mais c’est aussi une façon pour moi d’exprimer un ras-le-bol face à l’industrie de la mode et son obsession actuelle pour les “ugly shoes”. C’est pareil avec la basket-santiag, qui est devenue un modèle phare chez nous. Au départ, c’est venu de l’envie de créer la chaussure la plus moche possible, en associant deux styles autrefois tabous. La claquette salade, c’est aussi un commentaire sur un univers où un truc aussi laid que la chaussure de piscine ou la Crocs peut devenir tendance, pour peu qu’elle soit référencée sur les podiums. Et puis, dans un monde comme le nôtre où plus personne ne prend le temps de lire, il faut parfois trouver un message visuel fort qui interpelle et explique instantanément qui nous sommes. C’est souvent quand je me lâche et que je m’amuse en cherchant le truc le plus improbable que je trouve ces modèles qui deviennent ensuite iconiques. Depuis que je ne suis plus seul à gérer ma marque, j’ai enfin à nouveau le temps de m’amuser. Ça m’avait manqué.