Mats Rombaut à côté de son atelier, dans le quartier de goncourt près de République

Dans la jungle urbaine, on remarque ses créations pour leur esthétique très particulière. Parmi la horde de sneakers, celles qui portent le logo Rombaut satisfont aussi bien l’appétit stylistique que la conscience morale, un doublé encore bien trop rare dans un univers mode qui clame pourtant ses versets green à tout-va.

Mats Rombaut, le fondateur et créateur desdites baskets est un jeune Belge hautement sympathique aux convictions affirmées. Il a lancé en 2013 sa marque entièrement vegan et majoritairement écoresponsable, tournée vers la création de chaussures atypiques. Si on a pu remarquer récemment des Rombaut aux pieds de hipsters parisiens comme sur Bella Hadid, le créateur lui-même avoue la difficulté de transmettre son message fondateur, qui fait pourtant de ses modèles une exception. Rencontre 100 % végétale, mais sans langue de bois.

MIXTE. Comment en arrive-t-on à lancer sa marque de baskets vegan et écoresponsables ? 

MATS ROMBAUT. Je crois que j’ai toujours eu envie de me lancer dans ma propre aventure. J’ai commencé par des études de business, histoire d’assurer mes arrières. Il faut dire qu’à l’époque, en Belgique, le métier de créateur de mode n’était pas un but concret auquel on pouvait aspirer, car il y avait très peu d’exemples. Ensuite, j’ai étudié la création en Espagne avant de venir à Paris. J’ai commencé en stage chez Lanvin, aux accessoires homme. En parallèle, la protection de l’environnement est devenue une préoccupation essentielle pour moi, et j’ai cherché à m’informer le plus possible, surtout en regardant des documentaires sur internet. En voyant l’impact de l’élevage et de l’agriculture animale sur la planète, j’ai très vite pris la décision de devenir végétarien, puis de basculer vers un régime vegan. Je travaillais à l’époque chez Damir Doma, où j’étais chargé de la production des produits et des accessoires : j’étais donc confronté quotidiennement aux commandes de cuir ou de fourrure. C’était très difficile pour moi de concilier mon travail et mes convictions. Je ne pouvais pas continuer, j’ai donc décidé de me lancer seul dans une entreprise qui respecte à la fois mes valeurs et ma vision créative.

M. On connaît les difficultés auxquelles font face les jeunes créateurs. Vous vous êtes rajouté de multiples contraintes par rapport à l’éthique, mais aussi à un marché qui ne dispose peut-être pas des matières ou des connaissances adaptées aux attentes des consommateurs… 

M. R. Quand je repense aux premières années de la marque, je me demande vraiment comment j’ai fait pour ne pas devenir fou ! J’avais tellement peu de moyens, je prenais ma propre voiture pour partir en Allemagne récolter l’écorce qui me servait de matière première. Je faisais le traitement moi-même, puis je dormais dans la grange avant de tout charger dans le coffre et de repartir en voiture pour l’Italie chez mes artisans, car je n’avais pas de quoi payer un FedEx. Ces tout premiers modèles, réalisés simplement en écorce cousue de fil PETG, se désagrégeaient naturellement après quelques mois d’utilisation. J’avais prévenu les acheteurs, mais c’est difficile de proposer un produit à 600 euros avec une durée de vie aussi courte… J’ai très vite compris que ce modèle financier ne pouvait pas fonctionner !

M. Vous avez dû faire des compromis ? 

M. R. Aujourd’hui, je fais plusieurs consultings qui me permettent de gagner ma vie en dehors de la marque. Je peux enfin employer une équipe, alors qu’avant je travaillais uniquement avec des stagiaires certes formidables, mais qui partaient au bout de six mois. J’ai basculé la production des modèles depuis l’Italie vers le Portugal, pour des raisons de coûts. Et je travaille avec des matières comme l’EVA (éthylène vinyle acétate), même si je cherche toujours à trouver des solutions plus écologiques, mon rêve étant de réaliser des modèles totalement biodégradables, sans aucun impact environnemental. C’est avant tout une demande des acheteurs : si je fais le même modèle en cuir d’ananas et en EVA, les boutiques comme les clients choisiront la version en EVA… M. La caution vegan et écologique n’est donc pas suffisamment attractive pour vos acheteurs ? M. R. Je reçois énormément de messages de soutien et de feedback positifs, mais souvent de la part de personnes qui n’ont pas les moyens de s’acheter des baskets à 280 euros. Pourtant, nous avons réussi à baisser nos prix pour passer d’une offre luxe à un créneau plus accessible. Mais cela reste trop cher pour des gens qui sont réceptifs aux messages du bio et du vegan. J’avoue être un peu déçu par une certaine élite. Selon moi, le luxe vegan et écoresponsable a la capacité de devenir une nouvelle marque de statut. C’est une façon pour les gens qui ont les moyens d’exprimer leurs convictions : regardez, on agit pour la planète ! Cela peut créer une émulation. Pour l’instant, on n’y est pas encore, mais les choses peuvent évoluer très vite. Il suffit de voir la vitesse à laquelle la fourrure est passée d’un symbole de richesse à une matière quasi indésirable. J’espère voir arriver rapidement des changements positifs. Kering et LVMH disent s’y mettre, mais est-ce simplement du greenwashing ?

M. Rombaut connaît pourtant actuellement un certain succès dans les médias et surtout via les réseaux sociaux. 

M. R. Pour qu’une marque puisse réellement décoller, il faut que beaucoup d’éléments s’alignent : le produit, mais aussi la communication… Pendant longtemps, j’étais tellement submergé de travail que je n’avais pas le temps de me consacrer à tout ça. Aujourd’hui, la sauce commence enfin à prendre, on travaille avec des célébrités. Mais les influenceurs, à l’instar de Bella Hadid dernièrement, s’intéressent avant tout à l’esthétique de la chaussure, pas au message social de la marque. Je dois m’y faire, malheureusement.

M. Toujours des compromis…

M. R. Le message est parfois difficile à communiquer. On m’a demandé à plusieurs reprises si les modèles étaient disponibles en cuir animal. Si j’avais accepté de le travailler, la marque aurait beaucoup plus de succès aujourd’hui.

M. D’où les claquettes “salade” que vous avez imaginées pour l’été prochain, comme une sorte de reminder visuel de votre conviction vegan ? 

M. R. Évidemment qu’elles évoquent cet idéal et une esthétique vegan ! Au départ, pour communiquer sur la marque, j’avais même réalisé des modèles éphémères entièrement en fruits et légumes. Mais c’est aussi une façon pour moi d’exprimer un ras-le-bol face à l’industrie de la mode et son obsession actuelle pour les “ugly shoes”. C’est pareil avec la basket-santiag, qui est devenue un modèle phare chez nous. Au départ, c’est venu de l’envie de créer la chaussure la plus moche possible, en associant deux styles autrefois tabous. La claquette salade, c’est aussi un commentaire sur un univers où un truc aussi laid que la chaussure de piscine ou la Crocs peut devenir tendance, pour peu qu’elle soit référencée sur les podiums. Et puis, dans un monde comme le nôtre où plus personne ne prend le temps de lire, il faut parfois trouver un message visuel fort qui interpelle et explique instantanément qui nous sommes. C’est souvent quand je me lâche et que je m’amuse en cherchant le truc le plus improbable que je trouve ces modèles qui deviennent ensuite iconiques. Depuis que je ne suis plus seul à gérer ma marque, j’ai enfin à nouveau le temps de m’amuser. Ça m’avait manqué.

M. Votre communication – sur les réseaux et ailleurs – utilise également des éléments très visuels, impactants, comme les images issues de votre colla- boration récente avec l’artiste Frederik Heyman montrant des membres de votre équipe dans des situations sexuellement connotées. 

M. R. C’est une esthétique qui m’attire, et qui attire aussi le regard des autres. Là encore, c’était l’occasion de m’amuser et de souffler un peu. Le fun est une chose essentielle pour moi comme pour mon activité, que j’avais laissée de côté depuis longtemps.

M. On le voit dans vos visuels, la discipline (sous toutes ses formes, mais surtout à travers les sports – escrime, lutte, gymnastique) fait partie intégrante de votre quotidien… 

M. R. Si j’étais plus discipliné, peut-être que j’arriverais à aller plus souvent à la salle de sport, justement ! Mais j’ai toujours été quelqu’un de très motivé, je me donne des buts concrets à atteindre. Par exemple ? Être vendu chez Dover Street Market et Opening Ceremony.

M. On sent que vous avez bien pensé votre carrière : peut-être est-ce le fait d’avoir étudié d’abord l’économie et le business avant de lancer votre projet. Pensez-vous que les jeunes créateurs d’aujourd’hui sont mieux préparés que leurs prédécesseurs ? M. R. Bien sûr qu’on a un contact plus proche avec la réalité. Mais l’univers de la mode lui-même a changé radicalement. Je me souviens de l’époque où je travaillais chez Lanvin, il y a une dizaine d’années : Alber (Elbaz, ndlr) avait la capacité de changer la mode avec chacune de ses collections. Cela n’existe plus aujourd’hui. Même une maison relativement discrète comme Damir Doma nécessitait une grande équipe et d’importants financements. Avec Vetements, Demna (Gvasalia, ndlr) a été le premier à créer une marque qui avait la capacité de faire bouger les choses, justement parce qu’il avait observé de l’intérieur le fonctionnement de grandes maisons et qu’il en avait tiré les bonnes leçons. Aujourd’hui, il est possible de lancer et de diriger une marque depuis son salon tout en ayant un impact global. Les rouages internes de la mode sont devenus plus transparents, grâce au Net et à des acteurs comme Business of Fashion. Autrefois, accéder au backstage sur un défilé relevait du graal. Aujourd’hui, il suffit de se connecter à Instagram pour voir tout ce qui s’y passe. 

M. Vous avez récemment collaboré avec la créatrice atypique Dilara Findikoglu, basée à Londres. Est-ce qu’il existe une sorte de fraternité entre indépendants ? 

M. R. Nous comprenons la difficulté à maintenir une esthétique particulière, mais nous en apprécions la liberté. Lorsqu’on travaille pour une grande marque, il y a tellement de niveaux de décision, de réunions… Impossible de défendre son point de vue dans une telle structure.

M. Un combat au quotidien ? 

M. R. Je suis toujours effaré lorsque je vais à un festival ou un rassemblement soi-disant engagé : les gens portent des Converse en pensant qu’ils ont fait un choix de chaussure éthique. Or Converse est une marque globale immense. Comme Nike ou Adidas, elle peut tout se permettre en termes de design mais aussi de communication. Ils travaillent avec des micro-influenceurs pour mettre en avant une histoire autour de plastiques recyclés qui ne représentent peut-être que 1 % de leur production. Les personnes très engagées savent que la bataille est permanente. Je suis très admiratif du travail de Cyrill Gutsch, de Parley for the Oceans, et de son action contre le plastique dans les océans. Mais il admettait lui-même, lors du dernier salon Première Vision, que les découvertes négatives continuent : de nouveaux tissus recyclés peuvent toujours émettre des micro-particules de plastique au lavage. Même la cellulose laisserait une trace dans les fonds marins. La science des nouvelles matières est encore très imparfaite.

M. Quels sont vos défis et vos préoc-cupations pour le futur ? 

M. R. J’aimerais me consacrer à une création totalement vegan et responsable, mais je sais que cela aura un impact sur mon chiffre d’affaires. Dans la vie de tous les jours, je suis revenu à un régime végétarien car c’est beaucoup trop compliqué d’être vegan quand on a un emploi du temps très chargé et qu’on voyage beaucoup. Je me dis que l’important pour moi, c’est de me battre pour avoir une marque totalement responsable, aux produits entièrement biodégradables : en termes de symboles et d’impact, et d’un point de vue global, c’est plus fort que s’il m’arrive parfois de manger un œuf…

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