Manteau croisé en drap de laine et cachemire, écharpe en fourrure, Pantalon large en toile de laine et mohair, Sneaker « dior b30 » en matière technique et mesh, Dior Men.

Danseur et chorégraphe en pleine ascension, Nicolas Huchard impose fièrement depuis quelques années son identité noire et queer dans le monde de la danse, de la musique et de la mode. Histoire de faire bouger les choses. Au sens propre comme au figuré.

Mars 2020. Quelques jours avant que le monde entier ne passe en mode pandémie/confinement, la foule se presse au Grand Rex, à Paris, pour voir l’un des derniers concerts de la tournée Madame X de Madonna. Levée de jambe, grand écart, pont inversé : si le public crie à chaque pas de danse que fait la Madone avec sa troupe, c’est sans doute et d’abord grâce au danseur Nicolas Huchard qui, avec l’aide de la chorégraphe Megan Lawson, a cosigné le show, le tout en performant lui-même à chacune des 91 représentations de la tournée. Werk ! Le genre d’expérience artistique qui en impose dans le milieu, surtout quand on est à peine âgé de 31 ans comme Nicolas. Mais, au-delà de l’accomplissement personnel et du succès professionnel, le danseur garde avant tout de cette aventure longue de plusieurs mois un souvenir ému. Car, au sein des différents tableaux du show, Madonna célèbre l’actuelle culture lusophone comme le fado (danse et chant portugais par excellence) et le batuque (danse traditionnelle du Cap-Vert). Une fierté pour Nicolas, d’origine cap-verdienne : “C’est assez dingue… Madonna qui pratique la même danse que ma grand-mère !” se remémore-t-il avec émerveillement. Car, dans sa famille, plus qu’un hobby, la danse est un moyen de communiquer. Et c’est, dès son enfance, sur des notes de salsa et de musique africaine que Nicolas Huchard effectue ses premiers mouvements. Il faut néanmoins attendre le milieu de son adolescence pour qu’il envisage sérieusement d’en faire une carrière professionnelle. Loin du parcours conventionnel des danseurs classiques et contemporains, l’itinéraire du chorégraphe au charme solaire et au sourire ravageur est à son image, libre et affranchi.

Bien des années avant de faire bouger les plus grands noms de la scène mode et musicale française et internationale, Nicolas Huchard s’inscrit à l’école du cirque d’Étréchy (Essonne), sur les conseils avisés de son institutrice de CP qui remarque que le jeune garçon débordant d’énergie ne peut s’empêcher de danser. C’est seulement un an plus tard qu’il fait l’expérience de sa première scène et de la peur au ventre qui va généralement avec. “J’étais terrorisé, confie le danseur. J’ai ressenti le trac pour la première fois et, plus tard, je me suis rendu compte que ce trac-là pouvait m’emmener très loin.” Avant de rejoindre, à l’âge de 16 ans, l’Académie internationale de la danse à Paris grâce à l’obtention d’une bourse, Nicolas s’initie d’abord, dès le début de l’adolescence, à la pratique du karaté. Si aujourd’hui, il explique puiser l’inspiration pour ses looks dans l’extravagance et l’élégance de la période disco et celle de l’Égypte antique teintée d’afro-futurisme, à l’époque c’est son attrait pour le kimono – manifestation précoce de son intérêt pour la mode – qui le guide vers l’apprentissage des arts martiaux, où le corps bien ancré au sol s’exprime à travers des mouvements puissants tout en retenue. Un parcours étonnant et déterminant dans l’élaboration de son style : “Je trouve la gestuelle du karaté très intéressante et inspirante, et je me suis rendu compte que l’intention, la concentration et la coordination sont identiques à celles que je mets dans la danse. L’énergie qui se dégage de cet art martial, mais aussi le rapport que j’ai au sol et à l’air ainsi qu’à mon corps, a été très formateur pour ma pratique de la danse”, raconte-t-il. Tandis qu’il cite KÀ du Cirque du Soleil comme référence ultime – spectacle éblouissant présenté à Las Vegas autour des arts martiaux, au cours duquel la scène tourne à 360 degrés puis à la verticale –, on comprend à quel point ces deux disciplines l’ont influencé.

Cardigan “cd diamond” en mohair et laine technique brossés, Collier en laiton finition argentée et perles de résine, Pantalon large en sergé de laine, Sac-ceinture “Saddle” en python Dior Men, Boucle d’oreille personnelle.

Désormais artiste reconnu et influent – en témoignent ses multiples projets, ses différents passages à la télévision ou encore ses 37 000 abonnés sur Instagram – Nicolas Huchard met désormais à profit sa notoriété pour revendiquer pleinement son statut d’artiste noir et queer. Au cours de cette période charnière du passage de l’enfance à l’âge adulte, alors qu’il embrasse finalement et pleinement sa passion pour la danse, il se heurte – parfois avec violence – à la discrimination. Très tôt, il fait face au racisme, à l’homophobie, aux préjugés et, forcément, aux questionnements qui en découlent. D’abord quand, enfant, subjugué par Grace Jones, femme virile par excellence qui questionne le genre, il commence à s’interroger sur sa propre masculinité. Ensuite quand, adolescent, au collège, les regards et remarques de ses camarades lui font ressentir un sentiment de honte à l’idée de vouloir pratiquer la danse alors que les autres garçons jouent au football. Encore une fois quand, abreuvé de pop culture télévisuelle comme tous les kids des 90’s, il constate que, dans les films et les séries, l’acteur noir incarne la plupart du temps un voleur ou un criminel. Mais c’est au sein même de ce qui aurait dû être pour lui un safe space qu’il subit une énième discrimination, sonnant ainsi le glas des espérances et de l’innocence. Lors d’un cours de danse classique, son professeur lui assène qu’il ne pourra jamais être un danseur classique. La raison ? Ses fesses qui sont trop bombées ! Autrement dit, son corps qui est trop noir pour une institution trop blanche… Autant de prises de conscience qui ont encouragé Nicolas à développer largement son activisme et l’incitent encore aujourd’hui à devenir un modèle de représentation pour les futures générations : “Quand tu es victime de discrimination en tout genre, tu as envie de tout faire pour changer les choses. Et en tant qu’artiste, j’ai le privilège de pouvoir porter et exprimer mes idées. J’ai avancé dans ma carrière, travaillé avec beaucoup d’artistes, aujourd’hui, je veux aller plus loin et utiliser ma visibilité. Les homosexuels et les Noirs sont encore injustement mal vus et je veux devenir un de ces modèles positifs auxquels des jeunes peuvent s’identifier et qui donnent espoir”, confesse le danseur et chorégraphe.

Quand on regarde de plus près la carrière de Nicolas Huchard, on constate non seulement que le trentenaire a souvent côtoyé des artistes engagés sur les questions liées au racisme, au genre et au féminisme, mais qu’il les a souvent accompagnés dans leur évolution. À partir de 2014, il est en effet l’un des quatre danseurs de Christine and the Queens, chanteuse qui questionne régulièrement son propre genre, sur la tournée de l’album Chaleur Humaine. Durant trois ans, il danse aux côtés de l’icône de la pop française avec des mouvements très libres croisant influences contemporaines, voguing et hip hop, déconstruisant ainsi les codes viriles établis des chorégraphies pop. En 2018, la chanteuse belge Angèle, deux avant son coming-out, le sollicite pour le clip délicat et sensible Jalousie, au sein duquel il est le seul homme d’un quatuor vêtu de robes Rouje, puis pour la tournée de son premier album Brol. L’année suivante, c’est la rappeuse belge Shay – protégée de Booba, parmi les seules femmes à évoluer dans cet univers très masculin – qui fait appel à lui pour son clip Jolie. Puis il signe les mouvements d’Yseult, pour la vidéo Rien à prouver, dans un décor brut où elle impose enfin son statut de diva noire et plantureuse. Enfin, en juin dernier, il retrouve la chanteuse française et le rappeur Ichon, pour le clip du titre déjà culte Mélange, à l’ambiance moite et sensuelle. Une liste non exhaustive de collaborations avec des artistes qui, chacun.e à leur façon, s’émancipent du male gaze, ce regard d’homme hétérosexuel qui objective la femme, et se réapproprient leur image et le pouvoir sur leur corps. “Le fait que ces artistes désirent travailler avec moi reste encore une énigme. Je pense que je les inspire, qu’ils apprécient ce que je fais et ce que je représente et qu’ils veulent se l’approprier sur leurs projets”, note-t-il. Et son impact se ressent désormais au-delà de l’industrie de la musique ou de la danse, jusque dans le monde de la mode.

Pull en maille de cachemire brossé, Lunettes de soleil “diorider s1u”en métal aluminium Dior Men.
Parka en cuir retourné vintage, Boucle d’oreille “cd icon” en laiton finition dorée et jaspe, Collier et bague “cd icon” en laiton finition argentée et résine Dior Men.

En 2018, Nicolas impose son énergie communicative alors qu’il assiste la chorégraphe Marion Motin sur le Fashion freak show de Jean Paul Gaultier, un spectacle unique en son genre qui associe performance, danse, mode et chant avec comme fil conducteur le travail de l’immense créateur. En mars dernier, c’est Bruno Sialelli, le jeune directeur artistique de la maison Lanvin, qui le sollicite en tant que movement director, pour sa collection Automne-Hiver 2021, présentée à travers une vidéo pop et maximaliste, véritable hommage à la culture MTV. Alors que résonne l’iconique tube “Rich Girl” de Gwen Stefani et Eve, dans des suites somptueuses du Shangri-La Hôtel Paris, une bande de cool kids ultra-blindés et aux looks ultra-glamour évoquant les Années folles s’éclatent dans une ambiance festive, voire décadente. S’il n’apparaît pas dans le clip, Nicolas Huchard a guidé, à la manière d’un metteur en scène, les mannequins dans leurs mouvements et poses pour qu’il.elle.s puissent bouger et s’exprimer tout au long du clip de façon naturelle. “J’aime beaucoup cette idée de changer de peau, de voir les gens se transformer et comment un vêtement peut modifier notre personnalité, notre façon de bouger, de parler. À chaque fois, il faut trouver la bonne gestuelle associée au vêtement”, explique-t-il. Plus récemment, dans un minifilm du créateur espagnol Arturo Obergero, il propose une mise en scène théâtrale, qui rappelle la pièce Café Müller de Pina Bausch, autour de mouvements dramatiques, qui exalte une collection Printemps-Été 2022 androgyne inspirée par le flamenco. Mais son œuvre la plus impactante, Nicolas Huchard l’a dévoilée sur la plateforme Nowness, en juin dernier, à l’occasion du Pride Month, à travers une vidéo puissante aux allures de manifeste. Durant 3 minutes 30, seule sur une plage, la communauté noire queer française enchaîne avec fougue des mouvements de danses contemporaines, africaines et voguing, au rythme d’un poème et d’une musique composés par Mykki Blanco, artiste et militante pour les droits LGBTQIA+. S’il interpelle par sa justesse et sa beauté, le film Tajabone, coréalisé avec Raphaël Chatelain, est surtout pensé pour déranger. “Je suis entouré par des gens que je trouve beaux intérieurement et extérieurement et que je ne vois pas assez souvent dans mon feed d’actualité et dans la vie. J’avais envie de les mettre en avant dans une vidéo capable de toucher tout le monde et que tout le monde puisse comprendre. C’est vrai que j’avais envie de choquer. Montrer des corps un peu dénudés dans une certaine posture… Et je sais que certaines personnes ont été mal à l’aise. Et c’est ça qui me plaît.” Une prise de position qui, loin d’être provocatrice, s’impose comme essentielle, tant les mentalités tardent à évoluer. Heureusement, Nicolas est bel et bien là pour mouvementer tout ça.

Manteau croisé en drap de laine et cachemire, Pantalon large en toile de laine et mohair, Sneaker “dior b30” en matière technique et mesh, écharpe en fourrure Dior Men.