Samuel de Saboia dans son atelier. © @wall404

Le peintre, musicien et créateur autodidacte brésilien revendique un art libre et habité, nourri de spiritualité, de mémoire collective et d’héritages personnels. Un parcours à la croisée des disciplines et des identités qu’il n’a pas fini de nous révéler.

Un sourire, du soleil, et la plage d’Ipanema : tel est le trio gagnant qui s’offre à nos yeux lorsque Samuel de Saboia répond à notre appel vidéo avec un accent brésilien des plus charmants. Le tutoiement est rapide, l’énergie est bien présente, et le jeune homme de 27 ans ne se montre pas avare en confidences. Il nous avoue rejoindre bientôt son petit ami à Paris, après une escale à Bruxelles, puis en Italie, avant de refaire un tour du côté de Recife, au Brésil, sa ville natale. Loin de nous l’idée de lui coller une étiquette de “citoyen du monde”, l’artiste préfère l’expression “nomade” lorsqu’il s’agit de décrire son mode de vie : simple et efficace. “Je n’arrive pas à me projeter durablement nulle part dans le monde. Rester au bord de la plage, comme aujourd’hui à Rio, ça me va deux semaines, puis j’ai à nouveau un désir d’évasion, parce que j’ai l’impression de ne plus avoir assez de choses à raconter ni à voir. Le lieu, pour moi, ce n’est pas qu’un décor : ce sont aussi les gens qui m’entourent. Mes amis me donnent une forme de repère, une conscience de là où je suis et de ce que je ressens. J’en ai besoin, car à force de travailler et d’enchaîner les projets, je pourrais risquer de me perdre.”

SOMEWHERE BETWEEN A SEED AND A SONG, 2024.

METAPHYSICAL POETRY, 2024.

Artiste sincère

 

Impossible pour nous de le perdre de vue depuis notre première rencontre, en 2021, lors de la présentation de ses peintures à l’espace parisien 3537. En moins de quatre ans, Samuel de Saboia a renforcé sa présence artistique de Mexico à Bruxelles, jusqu’à charmer les curateurs du musée d’Art du comté de Los Angeles, le Lacma, où sa toile Self Generated Magic Organic Freedom fut présentée cette année au sein de l’exposition “Imaginer les diasporas noires : art et poétique du XXIe siècle”. Des œuvres habitées, inspirées de sa vie, ses ami·e·s, ses amours, ses emmerdes : “Si je vis quelque chose de douloureux, mon art me permet de le métamorphoser en quelque chose de beau, nous confie-t-il. C’est très lié à l’expérience noire dans le monde.” Des œuvres sincères, dans lesquelles les émotions jaillissent à tout va et qui n’ont pas peur d’allier une certaine jovialité à une profonde mélancolie.

ANCIENT FUTURE, 2024.

TO WHOEVER GIVES ME THE MOON, 2024.

Ce qui surprend, lorsqu’on rencontre Samuel de Saboia, c’est son étonnante franchise. Alors que bien des artistes se jouent d’une fausse modestie souvent palpable, le Brésilien préfère l’honnêteté en s’interdisant toute langue de bois. Il a du succès et il le sait, sans rougir ni attendre qu’on lui jette des fleurs. Pourtant, rien ne le prédestinait, sur le papier, à avoir cette vie que certain·e·s qualifieraient de rêvée. Lui qui a connu le racisme, la violence de la société, ainsi que la mort de ses proches – notamment celle de l’un de ses meilleur·e·s ami·e·s survenue au moment où il terminait la préparation de son exposition “Metaphysical Poetry”, présentée à la galerie bruxelloise Maruani Mercier, à l’été 2024. “Ça a été un moment très fort et très marquant dans ma vie. Une des douleurs les plus intenses que j’ai vécues ces dernières années et qui m’a profondément bouleversé. C’était comme si j’étais forcé de tracer une carte émotionnelle, une sorte de géographie intérieure, pour comprendre où j’en étais spirituellement.” Samuel de Saboia retourne alors au Brésil durant la fête de Yemanjá, l’une des divinités les plus vénérées dans le pays représentant l’océan et la maternité, et qui occupe une place centrale dans les religions afro-brésiliennes telles que le candomblé et l’umbanda. “C’était une véritable recherche spirituelle, sociale et presque sensorielle, poursuit-il. Une tentative de me reconnecter à un ami disparu, à l’amitié, aux émotions, et à une énergie qu’on ne peut plus toucher, mais qui existe encore.”

THE FEELING OF FREE FALLING, 2024.

Une transparence des émotions qui fait de ses œuvres un témoignage non seulement culturel, mais aussi social et politique : “Mes peintures s’inspirent de ce que je vis et de mon expérience. Celle d’un homme noir, indigène, jeune et homosexuel, dans un monde qui est dur, intense, et parfois violent. Je ne fais pas ça dans une logique purement représentative, ou pour simplement cocher des cases. Ce n’est pas juste pour ‘montrer’ des identités de façon esthétique et vide. J’ai profondément envie de faire tout ce que j’ai à faire, et je veux que ce soit grand. Que ça prenne de la place. Parce que c’est aussi comme ça que je vois ma vie : je ne veux pas juste des petites opportunités, des espaces minuscules où je pourrais exister sans déranger, où je pourrais rester tranquille dans mon coin.” Ce n’est donc pas un hasard si ses toiles arborent un format XXL, pouvant atteindre 3 à 4 mètres : “Mon désir est aussi celui-là : occuper un espace à la hauteur de mon imagination.” Et cette dernière, débordante, ne se prive jamais de sortir des cadres.

THE RITE OF SPRING (BEGINNING OF LOVE), 2024.

THE RIGH TO EVOLVE AND REVOLT, 2024.

Black performance

 

Après avoir collaboré à divers projets avec Comme des Garçons, Samuel de Saboia vient de dévoiler une collection à Paris avec le label de mode brésilien P.Andrade, tout en sortant un premier album de rock entièrement autoproduit. C’est fin 2022 qu’il choisit de se lancer dans la musique. Un nouveau projet qui lui tient à cœur et pour lequel il n’hésite pas à vendre quelques toiles afin de le financer : “J’ai monté un groupe avec des amis de longue date – je les connais depuis que j’ai 10 ans. On s’est réunis en studio afin d’enregistrer un album que je produis entièrement de manière indépendante.” On a beau être jeune, brillant et avoir du succès, cela n’empêche pas de ressentir un bon vieux syndrome de l’imposteur lorsqu’il s’agit de se lancer dans l’inconnu : “Au début, j’avais peur que ce que j’ai accompli dans le monde de l’art ne soit pas reconnu ou respecté dans la musique. Même si j’ai baigné régulièrement dans un univers musical depuis mon enfant, au travers de scènes ouvertes, de DJ sets et de jam-sessions, je me disais : ‘Est-ce que les gens vont accepter ? Ou est-ce qu’ils vont juste me voir comme un bolos qui essaie de chanter ?’ Mais en réalité, dès que j’ai commencé, cela a été super libérateur.”

Une libération qui le voit déjà présélectionné parmi les nommés des prochains Latin Grammy Awards (le 13 novembre, à Las Vegas). De la musique à la peinture, l’artiste s’imagine à travers ses arts comme un conteur d’histoires, lui qui aime tant lire celles des autres, du White Album de Joan Didion à A Little Devil in America : In Praise of Black Performance, du poète et essayiste Hanif Abdurraqib (qui prend l’exemple de Joséphine Baker pour célébrer ce que la Black performance a de puissant à travers le monde). De quoi, peut-être, lui donner envie de s’essayer, un jour, à une autre forme d’expression : la littérature. “Je pense que si j’étais écrivain, je ferais plutôt du thriller ou du mystère. Parce qu’en vrai, je ne veux jamais tout livrer d’un coup. Je préfère que le sens se révèle petit à petit.” Rendez-vous dans cinq ans.