Kourtney Roy. Marilyn Wig,
série La Touriste, 2019-2020.
Avec l’aimable autorisation de l’artiste.
Galerie Les filles du calvaire.

De Nan Goldin à Saint Laurent, en passant par Brandon Gercara, Maraya Ferrao ou David Armstrong, les Rencontres d’Arles 2025, qui viennent de débuter ce 7 juillet, célèbre les artistes qui brouillent les pistes, bousculent les genres et réécrivent les récits. Entre camions mutants, mythes revisités et paillettes militantes, cette édition nous prouve une chose : l’art est plus que jamais un outil de résistance.

1. Yves Saint Laurent et la photographie, à la Mécanique Générale
Irving Penn. Yves Saint Laurent, Paris, 1957. Avec l’aimable autorisation de The Irving Penn Foundation / Fondation Pierre Bergé – Yves Saint Laurent.
Peter Knapp. ELLE, septembre 1965. Robes de cocktail de la collection haute couture automne-hiver 1965 dite « hommage à Piet Mondrian ». Avec l’aimable autorisation d’Yves Saint Laurent / Jeanne Lanvin-Castillo / Peter Knapp.

Attention : name dropping en vue. Si Yves Saint Laurent laisse derrière lui un nom et des créations devenues iconiques, les images du couturier sont elles aussi rentrées dans la légende. On se souvient de sa silhouette, nue, immortalisée devant l’objectif de Jeanloup Sieff, ou de son visage juvénile photographié par le maestro Irving Penn. Plus de 80 tirages sont exposés aujourd’hui, où la silhouette YSL se décline sous toutes les coutures et l’œil amusé d’Helmut Newton, Annie Leibovitz ou encore William Klein. Mais derrière l’esthétique se dévoile un lien profond entre un designer pour qui l’image comptait autant que la coupe, et des partenaires créatifs qu’il choisit pour sublimer ses créations. En tissant l’histoire d’une maison par ses photographies, l’exposition interroge ce que signifie « mettre en image » une identité. À l’heure où la mode s’écrit en pixels, ce retour aux origines visuelles d’un mythe rappelle à quel point Saint Laurent avait saisi le pouvoir évocateur d’un flash.

2. Futurs Ancestraux, scène contemporaine brésilienne, à l’église des Trinitaires
Rafa Bqueer. Image tirée du film Themônias, 2021. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Institut Moreira Salles.
Mayara Ferrão. Le Mariage, extrait de L’Album de l’oubli, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Et si l’on pouvait (re)imaginer son passé afin de mieux appréhender son destin ? Entre histoire fantasmée, utopie et uchronie, Futurs Ancestraux propose un dialogue qui se compose de technologies numériques, de récits anciens et dimaginaires futuristes. Ce parcours collectif plonge les visiteur·euses dans une quête : celle d’un Brésil uni, qui ne prend plus pour cible les communautés afro-brésiliennes, indigènes et LGBTQIA+. Au sein de cette curation, Maraya Ferrao occupe une place singulière. Artiste multidisciplinaire originaire d’Amérique latine, elle explore la rencontre entre récits oraux autochtones et esthétiques immersives. Ici, l’usage de l’IA sert un projet poético-politique, créant des images fictives mais profondément ancrées dans un désir de réécriture historique. Le Mariage nous dévoile une union fictive entre deux femmes noires, fragments d’une mémoire reconstruite. Conçue par l’algorithme mais nourrie de mémoire collective, l’image est remise en circulation comme témoin possible d’un passé autrement effacé. Qu’il est bon de savoir brouiller les pistes.

3. Louise Mutrel, Only you can complete me, au Jardin d’été
Louise Mutrel. Gundam, rassemblement dekotora, Fukui, Japon, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Louise Mutrel. Light Show, rassemblement dekotora, Aichi, Japon, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

Souvenez-vous de vos soirées à zoner devant Confessions Intimes, en train d’halluciner devant Jacky, fan de tuning, et ses customisations automobiles qui étaient à deux doigts de vous provoquer une crise d’épilepsie. La photographe Louise Mutrel nous prouve, dans cette exposition, que le Nord-Pas-de-Calais n’a pas l’apanage du bon goût, puisqu’elle nous invite à faire escale du côté du Japon, là où l’expression « beau comme un camion » prend tout son sens. On y découvre les Dekotora, des camions japonais décorés qui n’ont pas peur du mélange des genres et des couleurs. L’artiste née en 1992 ne photographie pas les Dekotora pour leur folklore, mais pour ce qu’ils racontent d’un rapport au monde : la fierté d’une esthétique libre, non académique et joyeusement bordélique. On y croise des figures sacrées comme celles des Niô, les gardiens des temples shintoïstes, à la sauce Transformers. On ne le répètera jamais assez : les routier.es sont sympa!

4. Nan Goldin, Le Syndrome de Stendhal, à l’église Sainte-Blaise
Nan Goldin. Jeune amour, 2024. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Gagosian.

Vous n’avez pas eu le temps de visiter le Louvre, le Metropolitan Museum of Art, la Galerie Borghèse ou encore la Gemäldegalerie ? La légende vivante de la photographie Nan Goldin vous convie à une séance de rattrapage d’histoire de l’art dans une masterclass visuelle de haute volée. Inspirée par le syndrome de Stendhal (aka le fait d’être en PLS devant une œuvre d’art tellement sa beauté bouscule notre pensée), l’artiste se joue des codes et des époques en confrontant des œuvres d’hier et d’aujourd’hui, tout en divaguant sur les mythes mythologiques tels que Galatée, Orphée ou Hermaphrodite. Elle photographie des tableaux et sculptures de l’art d’autrefois pour mieux les confronter à des scènes de la vie quotidienne, entre étreintes amoureuses et bain revigorant. De quoi nous prouver qu’à 71 ans passés, la native de Washington est loin d’avoir raccroché la pelloche.

5. Brandon Gercara : Du magma dans l’océan, à la Maison des Peintres
Brandon Gercara, Lip sync de la pensée, capture vidéo, 2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste.

La création pour répondre aux oppressions : tel est le mantra de l’artiste réunionnais·e non binaire Brandon Gercara. Iel bouscule les cadres et les normes avec une exposition-manifeste aussi flamboyante que nécessaire. Iel en profite pour nous initier à l’art kwir, créolisation militante de « queer », et invention de son propre chef. Déployé à travers un univers hybride, mêlant photographies et vidéos, ce projet présenté à la Maison des Peintres se transforme en espace d’émancipation et de mémoire vive. Paillettes, mots tranchants, chants, fragments de corps et symboles créoles composent cette œuvre hybride et sensible, où l’intime devient politique. Brandon Gercara y convoque les récits de sa communauté, les luttes LGBTQIA+ et les héritages postcoloniaux, notamment ceux liés à son île natale. Dans cet espace de réinvention, l’art devient outil de réparation… et de résistance.

6. Kourtney Roy, La Touriste, à l’ancien collège Mistral
Kourtney Roy. I Heart You, série La Touriste, 2019-2020. Avec l’aimable autorisation de l’artiste / Galerie Les filles du calvaire.

À mi-chemin entre un film de la dolce vita, un clip de Sabrina Carpenter et une pub Gucci era Carine Roitfeld/Tom Ford/porno chic, l’œuvre de Kourtney Roy nous surprend par sa mélancolie estivale et son sex-appeal assumé. Dans cette série photographique, l’artiste canadienne (qui se met en scène dans chaque image) joue sur les faux-semblants, et les faux ongles. Les décors trop parfaits et les postures figées questionnent notre rapport aux vacances et à tendance à les performer. Qu’elle enlace un amour d’été ou qu’elle boive un verre de cocktail à la paille, l’artiste campe des personnages de vacancière figée dans des situations à la fois absurdes et inquiétantes. Chaque image semble à la fois familière et décalée, comme une carte postale qu’on n’aurait jamais voulu envoyer. La Touriste ne parle pas seulement de voyage, mais surtout de performance sociale. Que cherche-t-on à montrer en vacances si ce n’est à nous prouver à nous-mêmes que l’on vit notre best life ? Comme dirait notre chère amie la voix : Méfiez-vous des apparences.

7. David Armstrong, rétrospective, à la Tour, Parc des Ateliers
David Armstrong. Johnny, Provincetown, fin des années 1970. Avec l’aimable autorisation d’Estate of David Armstrong.

Souvent érotique, mais jamais vulgaire, l’œuvre de David Armstrong n’a cessé d’influencer les magazines de mode sur près de quatre décennies. Cette rétrospective, présentée au cœur de la tour LUMA, explore le regard singulier d’un artiste qui a su saisir la fragilité des corps et la beauté fugace des instants. À travers ce parcours, c’est toute une génération que l’on contemple : celle des amours libres, des identités mouvantes et des présences éphémères. Les misfits et autres rejetons de l’Amérique (dont Cookie Mueller, égérie du New York underground) se voient sublimés par l’œil de ce proche de Nan Goldin, qui trouva aussi un écho avec la vision artistique d’Hedi Slimane. Disparu en 2014 à l’âge de soixante ans, cette exposition nous prouve que, parfois, c’était quand même mieux avant !

Les Rencontres d’Arles 2025, du 7 juillet au 5 octobre 2025. Plus d’infos ici.