Il est loin le temps où la mode s’insurgeait contre la guerre en Ukraine au point d’annuler certains de ses défilés. Il est encore plus loin le temps où la mode s’interrogeait sur son rythme effréné et sur son impact dans un monde en proie aux caprices de Miss Rona. Aujourd’hui, on a clairement l’impression de (re)voir une mode à l’ancienne. Une mode pré-covid, pré-guerre, pré-George Floyd, qui fait comme si tout était normal. Une mode dans la surenchère et dans le “toujours plus”. La preuve avec cette fashion week parisienne Fall-Winter 2023/2024 qui a vu un nombre record de défilés (66) et de présentations (44) se déroulait dans la capitale. Et ce sans compter les after-shows et les événements en marge du calendrier officiel. On ne pourra donc pas dire que cette semaine n’a pas été riche. Mais on se demande encore, alors qu’on sort à peine de cette crise de boulimie, où est passée la quête de sens qui anime pourtant d’habitude depuis quelques saisons une bonne partie des designers et des marques. Étrangement, c’est comme si ce foisonnement voulait en découdre avec les préoccupations sociétales actuelles. Alors qu’on nous parle d’effondrement écologique, de changement climatique, de pénurie de ressources, d’inflation, d’accroissement des inégalités et de la fin de l’abondance, la mode a décidé de faire une méga-teuf opulente de son côté, alignant shows sur shows ; pendant que, ironie du sort, une bonne partie de la France défilait elle aussi, non pas pour vendre des vêtements, mais pour sauvegarder son droit à partir à la retraite sans avoir à trimer deux ans de plus.
Résultat, dans ce contexte social lourd et tendu, les marques n’ont peut-être pas eu d’autre choix que de faire ce qu’elles font de mieux : c’est-à-dire faire de la sape en affirmant leur créativité et leur savoir-faire respectifs comme l’ont montré par exemple Louis Vuitton, Chanel, Dior, Miu Miu, Hermès ou encore Issey Miyake. Curieusement, certaines maisons ont elles proposé des silhouettes majoritairement fantasques et flamboyantes (Balmain, Valentino, Paco Rabanne, Loewe, Nina Ricci, Alexander McQueen…) avec des fleurs, des plumes, du glitter et/ou des couleurs vives. Tout compte fait, peut-être était-ce là une volonté de leur part de continuer à nous faire rêver en nous offrant une échappatoire au contexte actuel délétère ? On veut bien leur donner le bénéfice du doute. Après tout, certaines maisons ont proposé des shows émouvants offrant de véritables moments suspendus (les jeux de lumière et de vapeur chez Courrèges, le calme et la volupté digne d’un opéra chez Y/Project, la théâtralité et le sens de la mise en scène chez Dries van Noten).
Ce qui ne nous a pourtant pas empêché de voir déferler ici et là un mood plus dark, notamment avec tout un tas de silhouettes noires tout droit sorties d’une série de funérailles annoncées (coucou Balenciaga, Dior, Givenchy) ou de silhouettes surjouant les volumes et la dysmorphie comme si nos corps devaient se protéger et se préparer au pire (Saint Laurent, Rick Owens, Uma Wang, Weinsanto, Heliot Emil…). Mais à part ces quelques déclarations timides, on ne retient pas vraiment de parti pris spécifique ni de discours engageant, excepté peut-être Xuly.Bët et sa robe t-shirt “Justice pour Adama”, Courrèges et sa critique de notre addiction aux écrans de smartphone et les quelques marques se jouant de la censure du téton féminin dans l’espace public. La vibe principale était donc claire : faire le show coûte que coûte, comme une dernière danse avant la fin du monde, avec l’audace d’y croire. L’audace de faire rêver et de nous mettre des paillettes plein la tronche. Et ce même si le nombre de mannequins plus-size s’est encore compté sur les doigts de la main. Et ce même si aucune top modèle majeure de cette génération n’a foulé le catwalk (hello, où sont passées les Bella, les Gigi et les Kendall ?). Et ce enfin, même si le front row a été trusté par la Real Housewife Lisa Rinna et le tout nouveau et improbable (pour ne pas dire irrelevant) couple formé par Tyga et Avril Lavigne. Que voulez-vous, on a les stars qu’on mérite.
Le fun de Chanel
Cette saison, Chanel (tout en restant Chanel avec ses ensembles en tweed, ses variations de noir et blanc, ses vestes cardigans, ses sacs à chaine) s’est autorisé une virée un peu plus fun en ajoutant ici et là et des camélias blancs en 3D sur bons nombres de pièces. On remarque aussi l’ajout d’empiècements de fourrure et de plumes blanches un peu partout qui donnent un vrai coup de frais à la dernière collection de la maison française. Sans oublier le camélia rouge géant du set. Bref, Virginie Viard s’amuse et ça fait du bien.
Le geek-chic débraillé de Miu Miu
Avec Miu Miu, Muccia Prada continue d’explorer son âme d’ado cool, branchée et désinvolte. Du genre qui se balade les cheveux débraillés et en petite culotte ou qui remonte ses collants par-dessus son top. Histoire de nous dire que la Miu Miu girl ne fait rien comme tout le monde. Chez beaucoup d’autres marques, ça pourrait déraper mais avec Muccia, c’est à chaque fois une vraie leçon de style et de nonchalance esthétique maîtrisée au plus au point. Avec goût et juste ce qu’il faut de subversion, elle réinvente le geek-chic. NB : l’homme Miu Miu qui a fait son apparition en force. Let’s go.
Le rétro assumé de Dior
Cette saison, au menu des héroïnes Dior, Maria Grazia Chiuri a pioché dans le rétro : Catherine Dior (la sœur de Christian), Édith Piaf et Juliette Gréco, des femmes inspirantes et indépendantes. Côté vêtements, les tailles marquées, les jupes évasées ou encore les gants font référence à la fast life des années 50, période d’euphorie et d’émancipation de la femme (coucou le kink féministe). Bref, un nouveau new look pour une nouvelle vie.
Le style français selon Louis Vuitton
“C’est quoi le style à la française ?”. Voilà la problématique que Nicolas Ghesquière a posé avant de se lancer dans cette nouvelle collection tout en géométrie et références culturelles plus ou moins obvious. Des accessoires tricolores, une malle en forme d’immeuble Haussmannien ou plus subtilement, cette palette de gris bitume font tous référence au Paris carte postale, revisité façon Vuitton avec des coupes impeccables. Excuse my french.