À gauche : Veste, Pull, Chemise et pantalon, Personnels. À droite : Veste, chemise et pantalon, Personnels. Étui de téléphone « Le Pliage » en cuir, Longchamp.

Inspirée par les iconiques sacs à main de la maison Longchamp, la photographe Fiona Torre a réalisée “It’s in the bag”, une série mode mettant en scène des valeurs de transmission et d’héritage entre générations. Cette dernière a été accompagnée d’une nouvelle écrite par la journaliste et autrice Tara Lennart qui a pris la plume et laissé libre cours à son imagination portée par le “pliage”.

“Tu n’as pas peur de tomber sur un secret de famille et de partir pour quinze ans d’analyse ?”

Je regarde la boîte en fer que Maliha et moi venons de trouver dans la chambre d’amis, calée sous des cartons de livres étiquetés avec soin. Ma mère nous a demandé de profiter de notre séjour pour arracher le papier peint qui tombe en lambeaux dans cette pièce. Vu que je suis incapable d’avancer sur mon projet en cours, autant me rendre utile.

Ma femme me regarde avec un air mi-amusé mi-sérieux, une légère lueur inquiète dans le pétillement de son regard par-dessus son verre de vin. Elle est lovée sur le canapé en cuir un peu défoncé, les jambes ramenées sous elle. J’aime bien quand elle se tient comme une ingénue de série américaine.
“Si, toujours. Quand ma grand-mère est morte, ça m’avait fait bizarre de découvrir sa correspondance adultère, cachée dans une pile de Paris Match des années 80, j’avoue.”

La boîte est banale, en métal, assez grande. Un Polaroid apparaît en premier quand je l’ouvre, une photo aux couleurs passées, comme souvent sur les instantanés quand ils vieillissent. On y voit ma tante Tatiana appuyée à la porte-fenêtre de la maison, une cigarette à la main et les yeux perdus dans le vague. Elle porte sa chemise à carreaux préférée, usée jusqu’à la trame, retroussée sur les avant-bras.

“Tu lui ressembles sur cette photo”.

Ma tante me manque. Depuis plusieurs années, elle vit dans le cercle polaire pour suivre l’évolution du mode de vie de certaines tribus autochtones, la manière concrète dont le libéralisme détruit leurs traditions en un temps record.

J’ai toujours pensé qu’une rupture fracassante était à l’origine de sa semi-disparition du monde moderne, il y a une dizaine d’années. Quand j’étais enfant, elle partait souvent plusieurs mois en Europe du Nord, au Canada, en Mongolie, en Russie, pour son travail entre anthropologie et photographie. Mais elle revenait toujours, les bagages chargés de cadeaux et plusieurs projets d’écriture à mener au calme de la maison familiale qu’elle habitait au bord de la mer. Or, à 55 ans, elle avait annoncé qu’elle partait “pour une durée indéterminée”, et nous écrirait, bien sûr, téléphonerait quand elle le pourrait, bref ne disparaissait pas, mais voulait mener ce projet à bien “tant qu’il en était encore temps”.

Je ne me rappelle pas avoir entendu un mot, dans cette conversation, sur celle qui était supposée partager sa vie à ce moment, d’où ma suspicion de séparation brutale. À l’époque, je voyais peu ma tante. Je me croyais follement libre avec ma vie d’étudiante en cinéma. Je m’étourdissais d’alcool et de nuits blanches, je m’engluais dans des aventures poisseuses et m’imaginais subversive. Je n’avais pas compris que la véritable subversion se trouvait dans des actions plus originales que vomir dans un caniveau et étreindre des corps qu’on oublierait quelques jours plus tard.

AXELLE: Robe en coton, Sabots en cuir velours, Sac sceau « Cuir de Russie » en cuir, Longchamp. / RAYKUN: Top, pantalon et bottes, Personnels. / MARCIA: Sac « Pliage Filet » en coton et cuir, Longchamp. Chemise, jupe, sabots et bijoux, Personnels. / MALIBO: Veste et pantalon, Personnels. / Étui de téléphone « Le Pliage » en cuir, Longchamp. / LEELOU : Pantalon en denim et sac « Le Pliage Paris – Saint Tropez » en osier, Longchamp. Haut, Personnel.

Maliha sort un paquet de cigarettes de son sac à main myrtille, l’un des premiers cadeaux que je lui ai faits au début de notre relation, il y a cinq ans. Il se patine, s’use, se transforme lentement sans jamais s’abîmer. Un peu comme nous.

Comme pour conjurer mon appréhension, je retourne la boîte, qui déverse un mélange d’enveloppes, de papiers, de cartes, de petits objets divers, stylos, paquets de cigarettes vides, capsules de bière, briquets, probablement des objets symboliques ou souvenirs de voyages. Ça a l’odeur de mon adolescence, celle que je retrouvais à chaque fois que je passais la porte d’entrée de cette maison. Mélange de tabac froid, d’encens, de parfum boisé, de vieux cuir, de produits pour développer les photos.

“Attends, il y a un truc coincé, regarde.”

Maliha me prend la boîte des mains et déplie ce qui semble être un petit sac à dos noir, de la même marque que le sien, remarque-t-elle en souriant, dont les anses s’étaient prises dans les rebords. Je me rappelle avoir souvent vu Tatiana le porter sur une seule épaule.

Je sens à travers le tissu qu’il n’est pas vide. Je le retourne, lui aussi, et plusieurs papiers en tombent, des notes, des photos, des flyers et des cartes.
Cartes de membres d’associations, flyers d’événements politiques, tracts de manifs. Pour les droits des LGBT, des migrant·e·s, des femmes, pour la dépénalisation du cannabis, contre les dérives fascistes des gouvernements en place à cette époque, le racisme, les inégalités.

Je ne reconnais pas les gens qui figurent sur les photos. Je ne sais pas si ils et elles ont été sollicité·e·s par ma tante à la sauvage dans la rue, ou s’il s’agit de clichés de week-end entre ami·e·s. Il n’y a ni dates ni prénoms au dos, rien qui permette d’identifier ces personnes, indéfinies dans leur âge, leur origine sociale, leur genre, leurs intérêts.

Une feuille, pliée en deux et couverte de l’écriture chaotique de ma tante, me donne des indices : “mixité, périphérie, singularité, intemporalité, genderless, urbain, objet, icône”. Plusieurs ratures et gribouillis, aussi, des “posé ou naturel ?” “gens ou ami·e·s ?” “signe de reconnaissance ?” “partir de l’objet pour aboutir à la trajectoire”, “quelle définition de l’identité : l’époque ? La mode ?”

A gauche : Manteau en cuir velours et sac « Le Pliage » en cuir, Longchamp. Top, pantalon et collier, Personnels. / A droite : Veste en cuir et Baskets en toile de coton, Longchamp. Top et pantalon, Personnels.
A gauche : Veste, pull, jupe et bottes, Personnelles. Sac « Le Pliage » en cuir, Longchamp. / A droite : Top, pantalon et bottes, Personnelles. / Sac « Pliage Filet » en coton et cuir, Longchamp.
Veste, pantalon, baskets, Personnels. Étui de téléphone « Le Pliage » en cuir, Longchamp.
Robe en crêpe et sac « Le Pliage » en cuir, Longchamp. Sous-pull, Personnel.

Sur plusieurs photos, un élément se dégage des silhouettes intemporelles comme un fil rouge : des sacs. Petits, grands, à l’épaule, en bandoulière, indistinctement sur les hommes et les femmes, mais toujours de la même marque. Comme si c’était eux, le déclic, le détail que l’on remarque après avoir fait défiler plusieurs clichés.

“Tu ne savais pas à quel point ta tante s’investissait dans les luttes ?
— Elle n’en parle jamais ! J’ignorais qu’elle soutenait Act-Up depuis l’adolescence.
— Vous avez l’air de beaucoup communiquer, dans cette famille…
— Oh, ça va ! On n’est pas obligé·e·s de tout se dire, non plus. Tatiana s’est toujours contentée de ce petit sourire en coin quand je lui parlais de militantisme.
— Tu vois, tu tiens plus d’elle que tu ne le penses… Et les photos, c’est quoi ? Montre.”

Il est trois heures du matin et je viens d’envoyer un mail à ma tante pour m’excuser d’avoir fouiné et lui demander l’autorisation de lui piquer le concept de l’objet iconique comme fil conducteur. L’idée de terminer le projet flotte dans un coin de ma tête depuis que j’ai remis les images dans le sac et refermé la boîte.

“Quoi que tu fasses, ça ne pouvait pas attendre demain matin ?”

Je lève les yeux de mon écran sur Maliha, que je n’ai pas entendu descendre les escaliers. Je remonte me coucher. Mon téléphone vibre au moment où je me glisse sous les draps. Ma tante, qui met souvent trois mois à répondre à un mail de prise de nouvelles, m’envoie un message WhatsApp aussi concis que précis.

“Je n’ai jamais eu le temps de réaliser ce projet, fonce ! L’angle cinématographique ou documentaire sera très parlant. Je voulais l’appeler ‘It’s in the bag’ ou ‘L’affaire est dans le sac’, #questcequejesuisdrole. Appuie-toi sur mes notes. Embrasse ta mère. Je ne fais pas plus long, je pars au Groenland demain. Et aussi : garde mon sac, il t’ira très bien. Certaines choses traversent les époques : les objets iconiques et les colères. N’est-ce pas ?”

Chemise, Pull et pantalon, Personnels. Sac « Pliage Filet » en coton et cuir, Longchamp.
Sac « Le Pliage » en cuir, Longchamp. Brassière, pantalon collier et boucle d’oreille, Personnels.
Chemise et Pull, Personnels. Sac « Le Pliage Torchon » en coton, Longchamp.
Sac « Le Pliage » en cuir, Longchamp. Brassière, pantalon collier et boucle d’oreille, Personnels.
Pantalon en denim et sac « Le Pliage Paris – Saint Tropez » en osier, Longchamp. Haut, Personnel.

Mannequins : Axelle Doue, Marcia Fanni, Ryukun Imanishi @ Rock Men, Leelou Laridan @ Img, Molibo Sow @ Rock Men.
Coiffure : Nicolas Philippon @ Call My Agent. Assistante Coiffeur : Gwendoline Joncour @ Call My Agent.
Maquillage : Ania Grzeszczuk @ Open Space. Assistante Maquilleuse : Larisse Kouamen @ Open Space.
Assistant Photographe : Pete Hawk. Assistante Styliste : Aliyah Semillano.