L’écrivain Michel Houellebecq est perpétuellement en voyage. Le plus souvent sur la piste d’un nouveau roman, il parcourt sac au dos et carte en main les territoires de France ou d’ailleurs, qu’il immortalise avec son appareil photo. Un véritable Globe-trotter en quête de survie et du sens caché du monde.

On le décrit souvent comme un ermite, reculé du monde pour mieux le comprendre, le décrire, l’analyser. Et pourtant, s’il y a une chose dont Michel Houellebecq ne se sépare jamais, c’est son sac à dos. Qu’il s’agisse d’aller au café d’en bas ou jusqu’en Thaïlande, en Irlande ou ailleurs, la silhouette est la même : celle du marcheur, archétype du routard popularisé par les guides du même nom, ou d’un baroudeur un peu spécial. On retrouve cette idée de voyage tournant parfois à l’errance, aussi bien dans ses romans et autres textes que dans ses photos. Parcourant le monde, il nous éclaire ici sur sa façon de voyager et de capturer moments, lieux et sensations. Aventurier du quotidien Il est souvent difficile de dissocier l’écrivain et son œuvre. C’est encore plus le cas chez Michel Houellebecq qui a toujours aimé semer le doute, prénommant parfois ses personnages comme lui et se présentant comme le prototype de l’homme blanc occidental moyen.

Un point surtout est quasiment commun à tous les personnages houellebecquiens et à leur auteur, c’est la thématique du voyage, de la “bifurcation” comme aime à le dire Houellebecq lui-même. Cette bifurcation, cette envie de partir, de prendre la route pour des destinations plus ou moins définies, fait partie des fondamentaux de l’univers houellebecquien. Dans son œuvre aussi bien que dans sa propre vie, il faut se déplacer, partir, chercher ailleurs pour trouver un sens à l’existence, ou, dans tous les cas, tenter de trouver du sens. Ainsi l’apparence, le style vestimentaire de Michel Houellebecq, qui a maintes fois été discuté, disséqué, est en fait celui d’un voyageur, d’un touriste bien équipé voire d’un aventurier du quotidien, d’un véritable baroudeur (“barouder : voyager à la découverte du monde, vivre plusieurs expériences sociales, de travail…”, dixit Wikipedia). Tout d’abord, la parka, à l’origine une Marlboro Classics (chargée de tout l’univers d’aventure développé par la marque à l’époque : cow-boy et grands espaces), que Michel Houellebecq affectionne “pour une raison simple : c’est le nombre de poches et d’endroits pour ranger des choses. Peu de parkas sont aussi bien faites. Mais aujourd’hui, il est très difficile de trouver encore des modèles Marlboro Classics. Je le déplore…” Il y a ensuite les chaussures, sans grandes qualités esthétiques mais très fonctionnelles, et surtout le sac à dos, symbole de celui qui part à l’aventure.

Une réminiscence également des années d’école, des études. Le fait de porter quasiment en permanence ce sac à dos signifie beaucoup de choses. Tout d’abord, la curiosité face au monde. Le fait de pouvoir transporter avec soi des instruments et outils qui serviront à prélever des informations, que ce soit un dépliant touristique, un livre, une carte quelconque. Il s’agit aussi d’avoir en permanence sous la main carnets, stylos, appareils photo et autres accessoires pour capturer ce qui se passe alentour. Il y a bien là une esthétique du sac à dos, qui est une façon d’envisager son rapport au réel, au monde. Une idée de collecter, d’enregistrer les lieux, les êtres, les mots, les détails qui font et organisent la topologie des espaces qui nous entourent, que ce soit une gare, un appartement ou bien les rayonnages d’un supermarché. Chez Michel Houellebecq, l’aventure commence dès le seuil de la porte. Elle démarre même souvent avant…

France #002 (2016)

AU MILIEU DU MONDE

Ainsi, il faut dire que dès sa naissance, Michel Houellebecq a des prédispositions pour le large et les voyages au long cours puisqu’il voit le jour sur l’île de la Réunion. Et même s’il n’y vit que très peu de temps, il y restera attaché et y retournera de temps en temps, y faisant même l’acquisition d’un pied à terre. Enfant, délaissé par sa mère, le petit Michel part en Afrique du Nord où il est élevé par ses grands-parents. Quelques années passent et il finit par rejoindre l’Hexagone : “C’est la France que j’ai le mieux connue dans ma vie. J’ai plutôt habité en banlieue, dans des zones autour du parc Eurodisney (nom d’origine avant de devenir Disneyland Paris, ndlr). C’est là que j’ai vécu mon adolescence, en zones périurbaines […] Des zones mélangées, avec de vagues traces de campagne où restaient un ou deux champs par-ci, par-là. […] C’est vrai que ce sont des zones où les moyens de transport sont très présents. Enfin, comment dire, quand on achète une maison dans un endroit comme ça, on vous parle assez vite de la proximité de l’autoroute ou de la proximité d’une voie ferrée, l’idée est de réussir à aller à Paris. Il n’y a pas de travail sur place, pouvoir se déplacer est vital”.

Ces différentes topologies, Michel Houellebecq les porte en lui, et elles viennent s’additionner pour venir étoffer son univers littéraire et personnel. Ce n’est pas par hasard qu’il en vient à inscrire ces mots sur plusieurs de ses livres : “Au milieu du monde” (Lanzarote, 2000, et Plateforme, 2001). Comme s’il ne fallait jamais oublier cette idée, ce concept : se mouvoir, se frayer un chemin au milieu du monde. Pour archiver ces différents endroits, ces différentes parties du monde, Michel Houellebecq pratique régulièrement la photographie, et ce, depuis qu’il a 16 ans. La photo occupe un espace important dans son rapport au monde. Elle permet aussi de documenter l’auteur pour un projet d’écriture. En effet, Houellebecq explique qu’il se sert des photographies prises çà et là, qui lui servent alors de repérages lorsqu’il va écrire son roman. Un procédé qui fait penser au story-board dans la pratique cinématographique : “J’ai toujours pris des photos pour écrire des livres. Pour Les Particules élémentaires, j’avais tout un dossier, que j’ai finalement jeté, avec les clichés des lieux où se déroulent les scènes. Ce sont toujours des photos que je prends moi-même. Elles se rapportent à chaque lieu, chaque scène citée dans le livre. Ça m’aide à visualiser telle ou telle scène. Je procède à des tirages sur papier que je colle sur le mur en face de moi […] Pour Soumission, par exemple, j’ai fait des photos de Censier, de la mosquée, etc. J’ai besoin de ça pour écrire. Ce n’est pas tant pour décrire les lieux que pour sentir les espaces dans lesquels les personnages évoluent, pour mieux se projeter dans leur état d’esprit… C’est assez rare que je prenne une photo de repérage qui soit réussie, ou alors c’est par hasard. Elles ont seulement un but documentaire”.

Ainsi avant le passage à l’écriture, l’auteur s’immisce aussi bien dans des lieux, des pays que dans des communautés séparées du monde et de la réalité tels que nous les connaissons. Dans son deuxième roman, Les Particules élémentaires, on suit l’aventure de deux demi-frères dont l’un, Michel, est chercheur, tandis que le second, Bruno, découvre une nouvelle façon de vivre en fréquentant une sorte de campement new age post-soixante-huitard appelé Le Lieu du changement. Avant d’écrire le roman, Houellebecq a ainsi passé du temps dans ce groupe de personnes, prenant notes et photos pour pouvoir retranscrire des idées et anecdotes dans son roman. Car pour lui, se sentir au milieu du monde c’est aussi trouver ou envisager des lignes de fuite, des pistes menant parfois vers l’inconnu. On retrouve cette idée de communauté dans La Possibilité d’une île, avec une secte promettant l’éternité. Les voyages peuvent aussi être cosmiques. C’est une idée que Houellebecq développe depuis longtemps et qu’il expliquait déjà en 1992 dans un texte intitulé Approches du désarroi : “Chaque individu est en mesure de produire lui-même une sorte de révolution froide, en se plaçant pour un instant en dehors du flux informatif publicitaire. C’est très facile à faire ; il n’a même jamais été aussi simple qu’aujourd’hui de se placer, par rapport au monde, dans une position esthétique : il suffit de faire un pas de côté. Et ce pas lui-même, en dernière instance, est inutile. Il n’y a qu’à marquer un temps d’arrêt ; éteindre la radio, débrancher la télévision ; ne plus rien acheter, ne plus rien désirer acquérir. Il suffit de ne plus participer, de ne plus savoir, de suspendre temporairement toute activité mentale et, littéralement, de s’immobiliser quelques secondes”. Aller au milieu du monde, puis s’arrêter un instant. Une éternité.

France #017 (2016)

FRANCE, CARTE ET TERRITOIRE

C’est en voyageant, encore, et en allant vivre en Irlande, que, paradoxalement, Michel Houellebecq s’est rendu compte qu’il aimait vraiment la France, en la traversant en voiture. “Oui, je connais à peu près tout du territoire français. Je voyage beaucoup depuis que j’ai acheté un appartement en Espagne. Je m’y suis toujours rendu en voiture. Depuis l’Irlande, à l’époque où j’y vivais, jusqu’au Sud de l’Espagne. Et il existe plein de parcours pour y aller. Donc je n’ai pas tellement de lacunes, à part la Bretagne que je connais moins bien, et l’Alsace où je ne suis jamais allé. Je dois avouer que j’aime conduire. Je me sens bien en voiture. C’est quand on s’arrête que les problèmes commencent. Chaque fois que j’ai fait une traversée, cela m’a pris environ une semaine. Moi, c’est en grande partie le chemin qui m’intéresse. C’est à ce moment-là que je me suis rendu compte que j’aimais la France. Avant de partir, je planifie tout, sauf le détail des départementales ; j’ai tout de même des options en réserve, par rapport à mon état de fatigue ou au temps qu’il fait. Et j’emporte avec moi plusieurs appareils photo, numériques principalement mais argentiques également.” Lors de ces traversées, Michel Houellebecq se nourrit du territoire. Ce qui lui permet d’écrire le roman qui, enfin, lui apporte la consécration du Prix Goncourt, en 2010 pour La Carte et le Territoire, qu’il convoitait déjà en 1998 avec Les Particules élémentaires.

C’est aussi lors de ces nombreux itinéraires que Houellebecq prend son temps pour prendre d’autres photos que celles destinées au mur devant lequel il va écrire. Il immortalise aussi des images qui deviendront des œuvres à plusieurs reprises, notamment lors d’une grande exposition intitulée Rester Vivant, en 2016, au Palais de Tokyo à Paris. Ces images reflètent une certaine vision du monde de l’auteur, une sorte de passion pour les paysages et leur beauté, avec peu d’êtres humains et de visages. À ce sujet, il s’explique : “Je vais encore me faire des ennemis, mais je partage en gros le point de vue exprimé par Jed dans La Carte et le Territoire. Pour représenter les humains, je pense que la peinture convient mieux que la photo. La bonne méthode, c’est vraiment la peinture. Je ne sais pas expliquer pourquoi, pas plus que Jed dans le livre, d’ailleurs. C’est une intuition qu’il a. J’y ai beaucoup réfléchi, mais je n’ai toujours pas de réponse. […] Je ne crois pas que la vérité d’un être humain puisse être résumée avec une photographie. Je me souviens, ça m’avait frappé, au musée Toulouse-Lautrec à Albi, il y a une peinture, dont je ne me rappelle plus le nom ; manifestement il a représenté un personnage dont l’attitude du corps et l’expression du visage s’opposent. Il a traduit deux moments, pas un seul… C’est quelque chose que peut faire la peinture, mais pas la photo. Il y a sûrement d’autres raisons, mais celle-là m’avait frappé, c’était évident”.

Mission #001 (2016)

VOYAGES EN MONTGOLFIÈRE ET RÊVES DE VOLS

Michel Houellebecq aime l’idée de pouvoir voyager dans les airs, de survoler les lieux, de se déplacer comme l’on dit souvent “à vol d’oiseau”. On retrouve ce fantasme dans nombre de ses photographies, prises à une hauteur particulière. Pour y parvenir, il a décidé d’utiliser un moyen désuet mais efficace, la montgolfière, pour l’une de ses séries, intitulée Avallon Suburbs. Il se rappelle : “C’était donc à Avallon, dans l’Yonne. Dans La Carte et le Territoire, je cite favorablement le château de Vault-de-Lugny, un hôtel de charme, à côté. Il s’y joue une scène clef entre Jed et Olga. Cela a fait très plaisir au propriétaire qui m’a invité. Comme activité, il y avait le tour de montgolfière”. Malgré sa peur et une certaine appréhension, Houellebecq décide de faire ce tour de montgolfière, “C’est très bien la montgolfière, même si c’est pénible pour moi car j’ai le vertige ; on peut choisir la hauteur à laquelle on veut être. Et on fait du sur-place pour prendre des photos, alors qu’en avion, on ne peut pas. Si j’avais le temps et pas trop de vertige, je ferais bien le tour de la France en montgolfière ! Mais pourquoi choisir de prendre des photos à cette hauteur ? “Je pense que ça correspond à mes rêves. Je rêve très souvent que je vole, et c’est toujours à peu près à cette hauteur-là […] Je m’élève par petits battements, et arrivé à une certaine hauteur, je me stabilise et puis j’avance… C’est progressif et je n’ai pas peur de tomber, je contrôle la situation.” Cette envie d’élévation donne un esprit singulier aux photographies de Michel Houellebecq, que l’on sent bien dans France #002 avec un supermarché Leader Price perdu dans la nature. Là aussi, le point de vue est en hauteur. “C’est vrai que j’ai beaucoup pris de photos avec un angle qui doit être entre 30 et 45 degrés. Pas un point de vue frontal, mais pas non plus un point de vue de type photo aérienne… Là, j’étais en haut d’une colline à Saint-Flour, en Auvergne. J’ai suivi la visite touristique proposée par les autorités locales et je me suis retrouvé à cet endroit. Il y a tout un fléchage pour visiter Saint-Flour, dont ce panorama. En fait, je peux dire que ma méthode de travail est de faire confiance aux institutions. Quand je visite une région, je prends toujours les routes soulignées en vert dans le guide Michelin, c’est supposé être beau et en général ça l’est. Quand une municipalité me propose un parcours touristique, je m’y conforme. Je suis un bon touriste, en fait. J’ai très rarement été déçu par les cartes Michelin. Elles continuent de me faire rêver. De même que je lis toujours des livres papier, pour préparer mes itinéraires, je préfère les cartes… J’ai commencé à faire des photos intitulées France lorsque je me suis mis à écrire La Carte et le Territoire… Pour la première fois, je me suis intéressé aux paysages, aux paysages français plus précisément. Auparavant, j’avais été fasciné par ceux de Lanzarote, jusqu’à en faire un livre.”

France #023 (2016)

Lanzarote, paru en 2000, est un coffret de deux livres : l’un est composé exclusivement de clichés de l’île des Canaries et l’autre est un texte de fiction. Une exception dans l’œuvre de Michel Houellebecq. Poète globe-trotter en mission Depuis son apparition sur l’échiquier littéraire, Michel Houellebecq n’a cessé de conquérir de nouveaux territoires, et il a fait sienne cette “extension du domaine de la lutte” commencée au milieu des années 90. Aujourd’hui célèbre en France, mais aussi en Allemagne, en Autriche, en Italie ou en Espagne, l’écrivain voyage sans cesse, recevant des prix dans de nombreux pays, allant jusqu’en Argentine, invité à plusieurs reprises par le gouvernement séduit autant par l’œuvre que par son auteur. Houellebecq est également retourné aux États-Unis présenter ses photos (à la galerie Venus Over Manhattan, en juin 2017). Sans oublier la Thaïlande ou l’Espagne et ses plages naturistes… Globe-trotter, il semble à la recherche du sens caché du monde, au-delà d’une simple ambition commerciale. En le côtoyant, on s’aperçoit assez vite que la seule chose que lui procurent le succès et l’argent qui va avec, c’est la liberté. Une liberté de penser, bien sûr, souvent à contre-courant de l’univers publicitaire que l’on essaie par tous les moyens de nous vendre, de ne nous imposer. Mais aussi une liberté de se mouvoir, de se déplacer à chaque instant, pour avoir cette sensation de rester le plus vivant possible. Et si Houellebecq a si souvent employé ce titre, Rester Vivant, ce n’est pas un hasard. Ce fut tout d’abord l’un de ses premiers écrits (Rester Vivant : méthode, paru en 1991 aux éditions La Différence), puis de sa grande exposition au Palais de Tokyo (Rester Vivant/To Stay Alive, 2016) et encore d’un film documentaire (Rester Vivant – Méthode, réalisé par Erik Lieshout et Reinier Van Brummelen, sorti en France en 2018).

Espagne #012 (2016)

Une des phrases les plus importantes de cette méthode est simple, mais essentielle pour lui : “Un poète mort n’écrit plus. D’où l’importance de rester vivant”. C’est cette pensée, profondément ancrée chez Michel Houellebecq, qui l’a empêché, explique-t-il, de se suicider. C’est en cela que le voyage, qu’il soit réel ou intérieur, est une des conditions sine qua non de la survie de son auteur. Le mystère de la vie et de la création tient en cette croyance. Mais au-delà de celle-ci, quel est finalement le but de cette quête sans fin ? De cette aventure littéraire et artistique ? “J’ai une mission. Je ne sais pas vraiment comment l’expliquer, mais j’ai une mission et je dois l’accomplir. Voilà pourquoi je continue, et que je continuerai aussi longtemps que possible.” Rester Vivant – Méthode, le film, avec Michel Houellebecq et Iggy Pop, disponible en DVD. Michel Houellebecq est toujours à l’affiche de Thalasso, réalisé par Guillaume Nicloux, aux côtés de Gérard Depardieu.On le décrit souvent comme un ermite, reculé du monde pour mieux le comprendre, le décrire, l’analyser. Et pourtant, s’il y a une chose dont Michel Houellebecq ne se sépare jamais, c’est son sac à dos. Qu’il s’agisse d’aller au café d’en bas ou jusqu’en Thaïlande, en Irlande ou ailleurs, la silhouette est la même : celle du marcheur, archétype du routard popularisé par les guides du même nom, ou d’un baroudeur un peu spécial. On retrouve cette idée de voyage tournant parfois à l’errance, aussi bien dans ses romans et autres textes que dans ses photos. Parcourant le monde, il nous éclaire ici sur sa façon de voyager et de capturer moments, lieux et sensations. Aventurier du quotidien Il est souvent difficile de dissocier l’écrivain et son œuvre. C’est encore plus le cas chez Michel Houellebecq qui a toujours aimé semer le doute, prénommant parfois ses personnages comme lui et se présentant comme le prototype de l’homme blanc occidental moyen. Un point surtout est quasiment commun à tous les personnages houellebecquiens et à leur auteur, c’est la thématique du voyage, de la “bifurcation” comme aime à le dire Houellebecq lui-même. Cette bifurcation, cette envie de partir, de prendre la route pour des destinations plus ou moins définies, fait partie des fondamentaux de l’univers houellebecquien.

Dans son œuvre aussi bien que dans sa propre vie, il faut se déplacer, partir, chercher ailleurs pour trouver un sens à l’existence, ou, dans tous les cas, tenter de trouver du sens. Ainsi l’apparence, le style vestimentaire de Michel Houellebecq, qui a maintes fois été discuté, disséqué, est en fait celui d’un voyageur, d’un touriste bien équipé voire d’un aventurier du quotidien, d’un véritable baroudeur (“barouder : voyager à la découverte du monde, vivre plusieurs expériences sociales, de travail…”, dixit Wikipedia). Tout d’abord, la parka, à l’origine une Marlboro Classics (chargée de tout l’univers d’aventure développé par la marque à l’époque : cow-boy et grands espaces), que Michel Houellebecq affectionne “pour une raison simple : c’est le nombre de poches et d’endroits pour ranger des choses. Peu de parkas sont aussi bien faites. Mais aujourd’hui, il est très difficile de trouver encore des modèles Marlboro Classics. Je le déplore…” Il y a ensuite les chaussures, sans grandes qualités esthétiques mais très fonctionnelles, et surtout le sac à dos, symbole de celui qui part à l’aventure. Une réminiscence également des années d’école, des études. Le fait de porter quasiment en permanence ce sac à dos signifie beaucoup de choses. Tout d’abord, la curiosité face au monde. Le fait de pouvoir transporter avec soi des instruments et outils qui serviront à prélever des informations, que ce soit un dépliant touristique, un livre, une carte quelconque. Il s’agit aussi d’avoir en permanence sous la main carnets, stylos, appareils photo et autres accessoires pour capturer ce qui se passe alentour. Il y a bien là une esthétique du sac à dos, qui est une façon d’envisager son rapport au réel, au monde. Une idée de collecter, d’enregistrer les lieux, les êtres, les mots, les détails qui font et organisent la topologie des espaces qui nous entourent, que ce soit une gare, un appartement ou bien les rayonnages d’un supermarché. Chez Michel Houellebecq, l’aventure commence dès le seuil de la porte. Elle démarre même souvent avant…

Tourisme #003 (2016)