Parfum Céline par Hedi Slimane

Avec la sortie de la toute première collection de haute-parfumerie d’Hedi Slimane pour la maison Celine, le parfum se refait littéralement un nom. Explications.

“Dans Paris“, “Bois Dormant”, “La Peau Nue”, “Eau de Californie”, “Parade”, “Saint-Germain-Des-Prés“… Derrière ces noms dignes de titres de films Rohmeriens diffusés sur Arte un mardi à 3h40, se cache en fait une nouvelle vague de onze parfums signés Hedi Slimane pour Celine Haute Parfumerie. Onze fragrances qu’on pourrait envisager comme autant de films d’auteur puisqu’ils sont censés raconter une histoire. L’histoire d’Hedi pardi ! « Chaque parfum repose sur la mémoire affective, sur le souvenir, ou la narration (…). Par leur nom, leur composition, ces parfums concentrent les réminiscences d’un moment, d’un lieu ou d’êtres chers au couturier » raconte la marque dans son communiqué de presse.

Pour être un peu plus clair, c’est comme si Hedi Slimane nous avait ouvert les pages de son journal olfactif et qu’il avait décidé, lui qui ne s’exprime jamais trop, de partager les odeurs entêtantes qui parsèment sa vie. Pas étonnant donc qu’on y retrouve les parfums “Reptile“, “Black Tie“ et “Nightclubbing“ qui évoquent la nuit (logique), une silhouette de rock star, des smokings portés à même la peau ou des soirées aux Bains-Douches.

Pour l’ “Eau de Californie”, “Dans Paris“ ou “Saint-Germain-Des-Prés”, Slimane a voulu mettre dans un flacon l’idée qu’on peut se faire de citadins chics et charismatiques. Puis évidemment, il y aussi les souvenirs de jeunesse, de spleen et d’idéal à l’image de « Rimbaud » qui ne sortira que début 2020 (probablement le temps qu’on se vide un peu les narines avant de replonger dedans).

STORY SMELLING

Des souvenirs donc, des ambiances, des photos, des chapitres de vie du créateur – revenu de Los Angeles pour s’installer à Paris – ont été le point d’orgue de cette collection (très) inspirée, nourrie de références rock et de nostalgie 70’ si chères au créateur, le tout avec sa vision artistique affûtée.

Le directeur artistique y a mis tellement du sien qu’on peut le reconnaître dans les moindre détails : des flacons aux silhouettes architecturées, des matières sublimes, des sillages nuancés de sa « patine poudrée » (sa signature olfactive teintée d’iris et de muscs qui avait fait le succès, il y a 15 ans chez Dior, des eaux Bois D’Argent et Dior Homme). Pour beaucoup avant-gardiste ou pour certains provocateur, Hedi Slimane a eu l’intelligence et l’audace d’aller envoyer ballader tous les codes de la parfumerie actuelle en baptisant ses parfums avec des noms qui ne définissent ni le genre, ni le temps, ni une mode. Des noms d’une simplicité si évidente que l’on se demande pourquoi une marque ne les a pas déjà utilisés.

Parfum Céline par Hedi Slimane

IN THE NAME OF LOVE

Créer un nom de parfum, ça demande certes de trouver une bonne idée, encore faut-il qu’elle n’ait pas été déposée. Autant dire que c’est quasi mission impossible quand on voit tous les domaines qui ont déjà été exploré par l’univers du pschitt. Depuis toujours, les noms de parfums ont pris le pli d’évoquer des matières premières (fleurs, bois etc) ou des qualificatifs (joyeux, poudré, tendre etc). Dans les années 20, c’est la mode des instants suspendus (Vol de nuit, En avion, Voyage à Paris….) ou nocturnes (L’Heure Bleue, Nuit de Chine, Soir de Paris…). Bien sûr, le genre a aussi été exploité à sa manière (pour une femme/un homme, Elle/lui, Miss/ Madame/ Monsieur etc) sans parler du phénomène de l’eau (Eau Noire, Eau Impériale, Eau de Gloire, Eau Duelle, ou du quartier du Triangle d’Or Parisien (24 Fbg St Honoré, Avenue Montaigne, Champs Elysées, Rive Gauche) ainsi que des champs lexicaux de l’amour, de la séduction ou de la magie. And so what ?

SYNTAXES LITTÉRAIRES

Dès 2000, c’est la parfumerie de niche qui change la donne avec des noms et des jus inédits, non-genrés, no-limit, libérés des contraintes marketing mais nourris de références littéraires. On dirait des titres de films. La marque Etat Libre d’Orange revendique une totale liberté d’expression avec “Rien” (qui sent le propre), “Sécrétions Magnifiques“ (coït olfactif de peau en sueur et semence séminale) ou “Hermann À Mes Côtés Me Paraissait Une Ombre“ (né d’un poème gothique de Victor Hugo). Serge Lutens utilise lui, un langage sybillin et un registre goth peu usité en parfumerie: “Cannibale”, “Nuit de Cellophane”, “Dent de Lait” (qui sent le lait, le sang et l’encens ndlr) ou le dernier opus “La couche du Diable”, un oud fumé et chaud comme la braise de l’enfer. Rien que ça.

PARFUMS LIFESTYLE

Finalement, même si on pensait les naming de parfum à bout de souffle, force est de constater que le flacon finit toujours par se remplir par magie comme la Sainte-Ampoule. Et aujourd’hui, ce miracle est possible grâce au champ lexical de l’empowerment (“Libre” de YSL et “Idole” de Lancome, blockbusters de la rentrée) mais surtout du voyage et des contemplations, telle la collection les jardins de Hermès (“Sur le Nil”, “En Méditerrannée”, “Après la Mousson”, “Sur la Lagune”) ou la collection de Parfums Louis Vuitton (“Matière Noire”, “Dans la peau”, “Attrape-Rêve”, “Le jour se lève” et le tout dernier “Coeur Battant ”, une poire infusée de fleurs blanches).

D’autres enfin ont eu la bonne idée de surfer sur l’idée d’instantané (« Fun Things Happen After Sunset » de Kilian, un cocktail Sex on the beach bu à la paille végétale) ou sur le registre émotionnel comme « Mémoire d’une odeur » de Gucci. Un minéral aromatique qui « transcende les idées préconçues concernant le genre et explore le pouvoir de la mémoire » pour Alessandro Michele. Le créateur explique : « Un parfum a ceci de particulier qu’il peut nous transporter dans une autre époque ou un autre lieu sans même que nous ayons besoin d’ouvrir les yeux ». Bref, les parfums ont vu juste une fois de plus car même si certains ne peuvent plus les sentir, ils finissent toujours par être diffusés.

Parfum Céline par Hedi Slimane