Une introspection nommée désir
La grande orgie générale aura-t-elle lieu, comme l’illustre Suitsupply et l’appelle de ses vœux le répondeur de Vice ? Après #MeToo, avec le cul encore dans la pandémie, la plupart des gens ont eu le temps d’y réfléchir à deux fois, en tout cas. Les confinements ont favorisé une forme d’introspection sexuelle et ont souligné qu’on pouvait à la fois être en manque, et ressentir une possible lassitude de la course pour pécho via applis aux rencards et coups d’un soir, et de l’injonction à être en couple pour donner l’image de la réussite. C’est ce que raconte bien l’autrice Judith Duportail, dans son ouvrage Dating Fatigue. Amours et solitudes dans les années (20)20 (paru en mai 2021 aux éditions de l’Observatoire).
Sortie de la course à la rencontre, voire de l’hyperconsommation, beaucoup de personnes ont pu se sentir reposées, se demander ce qu’elles désiraient et qui elles étaient vraiment, en dehors du gros de la socialisation. C’est le cas par exemple de l’artiste Yanis, autrefois connu·e sous le pseudonyme de Sliimy, qui vient de faire son coming-out non-binaire :
« Je m’étais toujours posé·e beaucoup de questions sur mon identité de genre et les refoulais perpétuellement. La pandémie m’a forcé et permis de prendre le temps, le soin, de tenter d’y répondre. J’avais trop couru après une forme de validation sexuelle, vouloir plaire à un certain type de mecs. Je me suis rendu·e compte que je faisais ça moins pour moi que pour correspondre à une catégorie, un stéréotype. Alors j’ai traversé une période d’abstinence qui m’a fait beaucoup de bien, en fait ! Et j’ai pu découvrir qui j’étais quand j’arrêtais de me conformer aux injonctions sociales. En tant qu’artiste, je réfléchis beaucoup à ma façon de me mettre en scène, ce que j’incarne publiquement. Mais là, j’ai pu faire ce chemin de façon beaucoup plus intime pendant que le monde était presque à l’arrêt. C’en était presque réparateur, thérapeutique. »
Cette introspection permettant des prises de conscience à la fois individuelles et collectives autour des sexualités, des genres, du consentement a été favorisée par le fait que la pandémie est survenu après #MeToo et #MeTooTrans. C’est peut-être aussi grâce à cet enchaînement que la libération de la parole et surtout de l’écoute de #MeTooInceste et #MeTooGay, notamment, a pu advenir. Une façon de remettre les choses à plat, déjouer les tabous, et mieux prendre conscience de son corps, ses désirs, afin de permettre une révolution sexuelle davantage à l’écoute de l’intérieur plutôt que seulement tournée vers l’extérieur.
Sex education
C’est ce qu’a remarqué Domitille, psychologue sociale de formation, qui a co-fondé avec Mathilde Neuville en février 2018 une association de lutte contre les violences sexistes et sexuelles en milieu festif : « #MeToo a vraiment été un élément déclencheur pour la création de Consentis. On trouvait qu’il manquait de sensibilisation et d’action contre les violences sexuelles, a fortiori en milieu festif. Alors on a fait beaucoup de prévention en clubs et festivals, puis la pandémie a brutalement fermé ce genre de lieux. Mais la fête s’est transformée et déplacée, notamment en soirées appart’ entre personnes qui se connaissent. Le dating aussi s’est adapté, puisqu’on ne pouvait plus se rencontrer dans un bar ou un café, alors on invitait directement chez soi. Or les statistiques montrent bien que les auteurs de violences sexuelles sont généralement des personnes que connaissent la victime. »
Consentis s’est donc adapté et a même beaucoup gagné en popularité par son travail d’éducation sexuelle qui prenait en compte la pandémie, l’évolution du dating et de la fête. Ce n’est pas parce que cette dernière s’avérait parfois clandestine qu’elle en devenait forcément inconsciente. Au contraire, en free parties comme en partouze, les conversations se délient autour du consentement, des fantasmes et des kinks. Et forment le terreau pour une libération sexuelle moins cishétéronormative, plus décomplexée, davantage éduquée sur l’importance du consentement et ce que peuvent être la pansexualité et le polyamour.
Si les festivals, bars, boîtes et sexclubs réouvrent prudemment, après avoir été précarisé par la pandémie, ça ne fait que renforcer l’envie pour s’y rencontrer en pleine conscience de ce que cela peut impliquer. Entre personnes qui se connaissent mieux elles-mêmes et assoiffées de contact. Danser ensemble, se frôler, se draguer, se galocher, et pourquoi pas coucher le premier soir puisque la pandémie nous a rappelé combien la vie est courte et imprévisible. Être quasi privés du monde de la nuit où tous les amants sont grisés de désir nous a également rappelé combien cet écosystème s’avère aussi fragile que précieux. La distribution des aides publiques a d’ailleurs souligné une forme de double-standard : le gouvernement a débloqué 81 millions d’euros pour l’Opéra de Paris, contre seulement 5 millions pour les 400 festivals français. La vie nocturne ne dépend même pas du ministère de la Culture, mais de celui de l’Intérieur, signe de l’approche répressive de ces espaces et leurs enjeux qu’on peut avoir hâte de retrouver pour mieux y jouir de tendresse.
Le plan à trois aura-t-il lieu ?
Une étude de l’Institut français d’opinion publique réalisée fin juin 2021 a d’ailleurs interrogé un millier de célibataires sur leurs envies. Et révèle ainsi qu’un tiers d’entre eux (37%) «devrait être “plus ouvert” sexuellement qu’à l’accoutumée, et ceci dans une proportion beaucoup plus forte chez la gent masculine (46%) que féminine (27%) mais aussi beaucoup plus grande chez les jeunes de 15 à 35 ans (44%) que chez les personnes âgées de 50 ans et plus (22%)».
Cette enquête de l’IFOP souligne également qu’un quart des Français seront « plus qu’à l’accoutumée » disposés à avoir des rapports sexuels sans être amoureux, un quart à plus facilement « céder aux avances de quelqu’un », et 20% affirment qu’ils seront plus souples dans leurs critères de choix de partenaires sexuels. On aurait donc tendance à avoir envie de sexe plus facilement, mais la fête du slip n’empêche pas que 86% des célibataires interrogés recherchent une relation stable et monogame plutôt que de multiplier les partenaires sexuels (14%). Signe qu’on a peut-être également appris à arrêter d’opposer de façon binaire les plaisirs de la chair et stabilité émotionnelle (cette dernière ne rime d’ailleurs pas forcément avec monogamie et exclusivité, faut-il le rappeler).
Finalement, la pandémie a sûrement contribué à bien plus qu’une éducation et libération sexuelles, d’affirmation de genre, et l’avènement d’une culture du consentement, d’après l’artiste non-binaire Yanis : « Ce temps de pause a permis que nous saute aux yeux le fait qu’on vive une époque charnière où les #MeToo, la pandémie, mais aussi #BlackLivesMatter, #StopAsianHate et les marches pour le climat imposent une forme d’urgence à changer toutes ces dynamiques qui sont en fait liées entre elles. » Alors, si collectivement on a réussi à presque arrêter le monde pour lutter contre le virus, peut-être qu’après ce summer of (self) love 2021 on aura réuni toutes les conditions pour que que cette révolution de l’intime et du désir donnent enfin naissance à des sexualités plus libres, plus égalitaires et plus mixtes, quelle qu’elles soient.