Défilé SS24 ALAINPAUL

Après un premier défilé printemps-été 2024 très remarqué, Alain Paul, ancien résident de l’Opéra École Nationale de Danse de Marseille et son mari Luis Philippe, imaginent une seconde collection avec la même idée conductrice, celle de faire danser la mode.

Quand on leur demande ce qu’ils ont fait le week-end dernier, ils répondent qu’ils étaient à l’Opéra, pour admirer le ballet “Petite mort” du chorégraphe Jiri Kylian. Un pure bijou nous soufflent-t-ils. Passionnés par la scène, ils y sont d’ailleurs montés à de nombreuses reprises. En tant qu’artiste performeur d’abord et récemment, en septembre dernier, en tant que designer pour le salut de leur premier défilé. Car après tout, de danseur à créateur étoile, il n’y a qu’un pas. Ou plutôt deux. Car c’est bien sous la forme d’un duo, que le tout nouveau label ALAINPAUL se fait peu à peu une place sur la scène de la mode parisienne. Impulsés par l’envie irrépressible de mettre le vêtement en mouvement, Alain & Luis s’attellent à le chorégraphier sous toutes ses formes. Il faut dire que l’émotion est au cœur de leur travail et que chaque silhouette est pensée comme un spectacle. La faute à leurs muses, grandes figures de la danse moderne et pionnières dans leurs approches, Pina Bausch, Martha Graham, ou encore Merce Cunningham, ou encore à leurs mentors, Virgil Abloh, Demna Gvasalia et Sarah Andelman qui ont accueilli, au fil des années, leurs idées au sein de leurs studios créatifs respectifs. Pour lever le rideau sur les prémices de leur succès, Mixte les a rencontrés à quelques jours de leur second défilé afin d’échanger sur l’importance du mouvement et de la pensée libre. Ballet must go on.

Mixte. Vous soufflez plus de 20 bougies de travail cumulées dans le milieu de la mode et pourtant, vous venez de créer votre label. Ça fait quoi d’être les plus “vieux” des jeunes créateurs ?

LUIS. Disons que l’on a pris notre temps. Celui de décortiquer le métier pour petit à petit donner forme et nourrir le rêve de créer, nous aussi, quelque chose. On est de nature patiente, alors, on a attendu le moment propice pour le concrétiser.

ALAIN. Ça fait un peu vieux sage (rires) mais ces dix dernières années ont été effervescentes et riches en apprentissage. On a eu la chance de vivre des expériences passionnantes et multiples auprès de designers et de créateurs tels que Virgil Abloh, Demna Gvasalia ou encore Colette et Sarah Andelman qui nous ont conduites à la création de notre Maison.

Alain Paul et Luis Philippe, le duo derrière ALAINPAUL.

Mixte. Vêtements, Balenciaga, Louis Vuitton mais aussi Colette, Alaïa ou encore Sacaï, vous avez collaboré avec de prestigieuses maisons avant de créer ALAINPAUL. Quelles habitudes et méthodes créatives avez-vous conservé de vos précédentes expériences ?
LUIS. Lors de mon arrivée à Paris, il y a 11 ans, j’ai eu la chance de croiser Colette et Sarah Andelman. À l’époque, j’étais fasciné par leur approche très différente de la mode. Alors, quand j’ai été embauché en tant que Store Manager et Visual Merchandiser chez Colette, ça a été une super école. Ça m’a permis de saisir la dynamique d’une boutique mais aussi de comprendre les attentes et les envies des clients tout en aiguisant ma vision sur l’industrie. J’ai par la suite intégré différentes maisons où j’ai côtoyé des commerciaux et des acheteurs passionnés par leur métier qui m’ont beaucoup transmis. Ces expériences sont encore aujourd’hui une source d’inspiration inépuisable.

ALAIN. De mon côté, j’ai eu le privilège d’apprendre auprès de personnes brillantes de l’industrie. Je dirais que j’en garde l’habitude de créer une partition, un tempo aux collections. Comme on est une équipe très réduite, il est important de bien se structurer. Alors, en général, je commence par réaliser de nombreuses maquettes, des recherches vintages, des investigations iconographiques. Puis vient le moment des essayages pendant lesquels je m’amuse beaucoup et c’est là que je crée la silhouette. J’aime construire une garde-robe complète : tailleur, denim, maille, jersey, robe, cuir… J’ai aussi maintenu des habitudes calendaires relatives à mes expériences précédentes, avec des dates précises pour les essayages et les lancements de prototypes.

LUIS. Finalement, on a conservé au sein de notre « petite » maison, la structure d’une grande.

Backstages du défilé ALAINPAUL printemps-été 2024 © Erick Faulkner.

M. Votre première collection “La Première” a défilé sur une scène de théâtre, celle du Châtelet. Pourquoi ce choix ?
ALAIN. Plus jeune, j’ai été danseur au sein de l’Opéra École Nationale de Danse de Marseille alors c’est un lieu que je connais bien.

LUIS. Avant même de concevoir sa collection, Alain savait qu’il voulait faire son premier défilé sur une scène. Un peu comme si, symboliquement, il y revenait.

ALAIN. Je trouve qu’il y réside toujours quelque chose de magique. Et puis, avant de me lancer dans la mode, mon rêve était d’être chorégraphe.

M. Cela explique ton goût pour la mise en scène.
ALAIN. Tout à fait. J’aime concevoir mes collections de la même manière qu’une chorégraphie. J’étudie l’enchaînement des looks, les pauses, les répétitions, les groupes, les silhouettes qui se mélangent pour transporter le public dans une émotion. Gérer l’intensité du moment en jouant avec le styling, la musique et la lumière est passionnant pour moi. Je crois que cette inclinaison pour la mise en scène découle de mon adolescence. J’ai passé des années à créer des spectacles, des films et des improvisations avec mes amis danseurs, donc c’est assez instinctif pour moi.

Backstages du défilé ALAINPAUL printemps-été 2024 © Erick Faulkner.

M. Répétition, mouvement, costume, représentation… Ça en fait des points communs entre la danse et la mode.
LUIS. C’est vrai que ces domaines partagent une connexion particulière avec l’émotion. Ils doivent tous deux être intentionnels et découler d’un savoir-faire méticuleux.

ALAIN. Complètement ! Et pourtant, avec la danse, il y aura toujours une certaine variation. La même pièce peut être interprétée d’innombrables fois, elle ne sera jamais identique. Chaque représentation reste dans l’instant, avec son public et sa distribution. Il existera toujours des nuances invisibles au sein de différentes performances de la même pièce. Et j’aime intégrer cette spontanéité dans mes collections.

M. En parlant d’interprétation multiple, est-ce que tu te retrouves dans la tendance du balletcore qui a explosé en 2023 ?
ALAIN. Pas vraiment. Je n’aime pas trop l’idée de tendance en règle générale. En ce qui me concerne, j’aime quand c’est authentique. Cette approche au vestiaire de la danseuse et du danseur, je l’étudie depuis très longtemps. C’est la façon dont j’ai grandi dans ce monde-là qui influence principalement ma manière de travailler et mon processus créatif. La discipline, la rigueur, la posture, l’effort, sont au cœur de la danse. Ces principes ont façonné ma démarche en tant que designer. Je n’aborde pas le monde du ballet comme un thème – c’est toute une philosophie pour ALAINPAUL.

Backstages du défilé ALAINPAUL printemps-été 2024 © Erick Faulkner.

M. Une première appelle souvent à de multiples autres représentations. Comment appréhendez-vous le deuxième acte que représente cette seconde Fashion Week ?
LUIS. On est tous les deux très excités. Alain est plongé dans une phase de créativité débordante, tandis que de mon côté, je prépare l’ensemble de la communication. Notre atelier est en effervescence, ça court de partout, on a l’impression d’être dans les coulisses de l’avant-première d’un spectacle (rires).

ALAIN. J’ai abordé cette deuxième collection comme une extension de la première, mais cette fois-ci dans le contexte de l’hiver. J’aime quand les collections se complètent et peuvent être portées ensemble. À mon sens, cela est plus équitable et peut être même responsable dans la conjoncture actuelle, où nous sommes confrontés à une surabondance de tout.
La mode évolue à un rythme effréné et ne prend parfois pas le temps de concrétiser certaines idées ni d’approfondir une réflexion.