Ces dernières saisons, la mode semble avoir pris son abonnement annuel au cirque Pinder, en témoignent les récentes collections de Moschino, Y/Project, Bode, Schiaparelli ou Dior. Acrobates surexcités, clowns tristes, arlequins flippants, freaks en tout genre : et si l’univers du cirque était une façon pour le monde de la mode de se regarder enfin dans la glace ?

À la dernière fashion week de Milan, Moschino a une nouvelle fois prôné le too much et l’esthétique camp en rendant un vibrant hommage à Pablo Picasso. En réinterprétant les oeuvres les plus emblématiques du peintre au travers de ses tenues (vestes de matador, robe habillée de l’oeuvre cubiste “La Guitare”, look de mariée parsemé de colombes), Jeremy Scott a aussi fait un clin d’oeil au cirque notamment avec la silhouette de l’arlequin portée par Bella Hadid. En arrivant sur le podium avec sa combinaison à imprimé losanges, Bella Hadid est venue confirmer la tendance grandissante de l’univers du cirque dans la mode, reprise il y a quelques mois déjà par Marc Jacobs lors de son défilé printemps-été 2019 ou Maria Grazia Chiuri lors de son défilé Haute Couture printemps-été 2019 chez Dior présenté sous une tente rappelant les lieux de performance pour acrobates et autres contorsionnistes.

Moschino SS20

Il suffit d’y regarder d’un peu plus près pour comprendre pourquoi les créateurs semblent ressentir un lien de parenté si fort avec l’univers du cirque. À l’image d’une représentation sous chapiteau, un défilé est lui aussi un show visuel précis et réglé à la minute qui grouille de performers (mannequins, techniciens, coiffeurs, maquilleurs…), comme une sorte d’arène en ébullition qui accueille un public ayant besoin d’être toujours de plus en plus diverti.

Marc Jacobs SS19

Comme le cirque, la mode est faite pour nous distraire mais elle reste avant tout sérieuse et appliquée, à l’image de Glenn Martens, créateur de Y/Project qui lors de son dernier défilé menswear a notamment présenté un vêtement mi-robe mi-legging extrêmement bien coupé aux rayures colorées rappelant celles d’un chapiteau. Portée par Beaudine Jael Drevel, la pièce dégageait quelque chose de fun et de décalé d’abord de par sa confection mais aussi de par la démarche légèrement chaloupée de la mannequin qui déambulait au milieu de l’Oratoire du Louvre sur un remix de L’amour est un oiseau rebelle de l’opéra-comique Carmen de Georges Bizet. Du fun, certes, mais avec de sérieuses références et un savoir-faire établi.

Y/Project SS20

Comme le cirque, la mode est tumultueuse, frivole, joyeuse mais aussi inquiétante et parfois effrayante de par sa déconnexion avec le monde réel, à l’image de Cara Delevingne qui a participé cette année au Gala du Met habillée comme un arlequin ultra-bariolé, avec tout ce que cela comporte de démesure. Comme le cirque, la mode subit des critiques et doit se remettre en question. D’un côté, on voudrait arrêter d’utiliser des tigres et lions en cage, de l’autre on voudrait arrêter la fourrure et le cuir…

Comme le cirque, la mode est destinée aux masses. Et à l’inverse de l’Opéra ou du Ballet, elle reste populaire et parle à tout le monde. Car, comme n’importe quel spectateur qui la regarde, elle peut elle aussi connaître ses moments de faiblesses et ses pétages de plomb. Comment alors ne pas faire le rapprochement avec la sortie prochaine du film Joker de Todd Philipps, où Joaquin Phoenix incarne Arthur Fleck, comédien raté et clown triste en plein burn-out qui n’arrive plus à amuser la galerie tant la pression du spectacle de la vie est forte et continue ? En décembre 2017, Dries van Noten, interrogé par le Business of Fashion lors de la conférence VOICES au Soho Farmhouse, rappelait déjà à quel point il avait vu trop de bonnes personnes se perdre dans le “fashion circus”… En attendant, the show must go on.