M. Vos dix années de carrière musicale vous ont-elles fatiguée ?
C. J. En effet. Et pour être honnête, l’industrie musicale actuelle n’a rien à voir avec celle d’il y a dix ans lorsque je suis arrivée. C’était le creux de la vague, mais j’ai eu la chance de faire un album à succès, on en a vendu 200 000 exemplaires. Quatre ans plus tard, pour mon deuxième album, la situation avait déjà beaucoup changé, et quatre ans après il y a encore plus de contraintes qui impactent la musique. Par exemple, mon album compte douze pistes alors qu’il y a dix chansons. Mais j’ai été obligée de couper les morceaux parce qu’ils étaient trop longs pour exister sur les playlists de streaming. On crée donc en fonction de la plateforme qui va relayer son projet. C’est violent. On ne dicte pas à un peintre les couleurs de son tableau en fonction de la teinte du mur sur lequel il sera accroché !
M. Mais en tant qu’actrice, on vous impose également une direction ?
C. J. En ce moment, je tourne dans La Nuit venue, le premier film de Frédéric Farrucci, dans lequel je joue une stripteaseuse. Avec Frédéric, on ne cesse de débattre. Il est extraordinaire, il part du principe que s’il n’arrive pas à me convaincre, c’est qu’au final son idée n’est pas si bonne. Pour les costumes, par exemple, nous avons débattu jusqu’au tournage : mon personnage est une stripteaseuse qui se fait du fric, il n’y a donc pas de raison qu’elle porte les fringues que moi j’achète chez Zara.
M. Est-il plus facile d’argumenter avec un jeune réalisateur comme Frédéric Farrucci qu’avec un Yvan Attal ?
C. J. Avec Yvan, il y avait moins à défendre, déjà parce que le personnage du Brio était beaucoup moins éloigné de moi que la stripteaseuse de La Nuit venue. Et puis, comme Yvan est comédien, il montre ce qu’il veut sans s’en rendre compte. Ce que j’aime dans le rôle que m’offre Frédéric, c’est qu’il m’emmène là où je ne suis encore jamais allée : mon personnage est une punaise, elle est très mystérieuse, sombre, intrigante, alors que jusqu’à maintenant j’ai toujours joué des rôles de femmes fortes, lumineuses, vivantes. C’est très chouette d’avoir des réalisateurs qui proposent quelque chose de différent de ce que vous avez fait avant, qui vous poussent. C’est ludique et ça me fait travailler davantage. De toute façon, s’il y a des arguments, on peut toujours discuter. Par exemple, quand j’ai parlé de Lost à ma maison de disques, elle m’a fait remarquer que je voulais sortir un album qui témoigne de la société française alors qu’il ne comportait aucune chanson en français… Elle avait raison et je l’ai entendue.
M. Parce qu’à l’origine, votre album Lost était uniquement en anglais ?
C. J. Au départ, ce n’était pas un projet, mais juste des chansons que nous enregistrions comme ça avec Laurent Bardainne (le leader du groupe de rock Poni Hoax, ndlr). Puis j’ai récupéré le bébé, j’y ai mis le sens que j’ai voulu, j’ai réarrangé, écrit de nouvelles chansons. Évidemment, devenu un album dans lequel je prends la place d’un témoin de la France, il ne pouvait pas être chanté qu’en anglais. S’y sont donc greffés le français, puis l’arabe, parce que ça faisait sens avec ce que je racontais et les influences musicales de l’album. Mais je parle mieux l’anglais que l’arabe, pour lequel j’ai demandé de l’aide à ma mère et à mes tantes.