M. Quel.le.s ont été tes role models, tes inspirations ?
C.-E. G.-M. À l’époque, je n’en avais pas vraiment… Je ne savais pas à qui me référer au début de ma transition, car début 2015, la seule personne trans dont on entendait parler c’était Laverne Cox. On n’en était qu’aux prémices de cette fierté qu’on porte désormais sur les réseaux sociaux ! J’étais juste émerveillée par le fait que, trois ans après le début de ma transition, je passe de “moche”, selon les standards de beauté biaisés du patriarcat, à suffisamment bien pour devenir mannequin ! C’était impensable pour moi, pourtant c’est devenu une réalité.
Concernant les figures qui m’inspirent, je citerai forcément des role models trans à qui je pourrais m’identifier : Janet Mock et tout le casting fantastique de la série Pose, par exemple. En France, je pense aux meneuses de revues des années 1960-1970, Bambi et Coccinelle, également à des femmes noires comme Naomi Campbell et Grace Jones, et aussi à Tilda Swinton ou au mannequin Kristen McMenamy qui ont un visage de ouf. Aujourd’hui, je suis contente qu’il y ait un grand groupe de personnes transfem visibles qui puisse servir de base pour donner de la force aux jeunes trans ; elles peuvent s’y identifier, elles créent des opportunités, elles ont de l’espoir, de l’ambition, elles sont prêtes à se battre, elles ont la force pour le faire.
M. Quels challenges et défis propres à la France rencontres-tu au quotidien ?
C.-E. G.-M. Les challenges que je rencontre sont assez obvious en France ! Mais pas que pour moi, pour toutes les filles qui sortent du cadre fermé de la mode française. Je fais un 38-40, j’ai 31 ans, j’ouvre beaucoup ma bouche, je suis trans, racisée, dans une dynamique body positive et dite de “revenge body”, je parle publiquement de mes TCA, de ma dépression chronique, des difficultés à transitionner dans une société et un pays transphobes, je dénonce le patriarcat et le comportement problématique des hommes… Tout ça, ce sont, tant bien que mal, des facteurs qui font que mon profil n’est pas une page lisse et facile à aligner avec l’image de toutes les marques. Être une mannequin qui pense, ce n’est pas une bonne plus-value dans ce métier (rires). Je ne me laisse pas faire, je fais toujours ce que je veux !
M. La France donne une mauvaise image d’elle, selon toi ?
C.-E. G.-M. Je dirais que Paris n’est pas du tout la capitale de la mode, mais la capitale des traditions de la mode. Toutes ces vieilles maisons qui font les mêmes choses depuis des décennies, ces marques émergentes par des hommes cisgenre et queer (aussi peu bienveillants qu’ils veulent nous le faire croire) ou ces créatrices qui se veulent aller vers l’abolition des standards en continuant de produire des vêtements pour un seul type de femme ! Je pense que mon profil a bien “trop d’intersections”. Du coup, j’ai tendance à regarder vers les États-Unis, qui, contrairement à la France, sont friands de success stories : là-bas, il y a cette tendance à rechercher et à découvrir des profils qui partent de rien et qui, d’un coup, évoluent, changent de classe sociale, et qu’on veut voir réussir. Je ne crois pas que ce soit la vision aristocratique de notre cher pays (rires).