Prada SS26

Entre la collection menswear SS26 de Prada, le discours de l’acteur Karim Leklou aux César et les statements de Jul, Pedro Pascal et Willy Chavarria, la notion de gentillesse masculine commence à s’imposer tranquillement dans la pop culture. Au point que les hommes soient de plus en plus nombreux à l’assumer et à l’incarner. Décryptage d’un changement sociétal naissant qui nous confirme que, quand on est trop bon, on n’est jamais trop con.

Après une “vilain era” où il était de bon ton d’avoir l’air méchant, aussi bien sur les podiums de mode que sur la scène géopolitique, il semblerait qu’une force contraire vienne contrecarrer le mal : la gentillesse. Au mois de juin dernier, lors de la Fashion Week de Milan, Prada présentait sa collection Homme printemps-été 2026. Des chants d’oiseaux, des bruits de vagues, des tapis moelleux en forme de fleurs, des couleurs douces et des mots-clés livrés par le duo Miuccia Prada et Raf Simons pour résumer cette collection : “Calme, gentil, doux,” selon Miuccia Prada. Et Raf Simons de compléter : “Parfois, il est bon de réfléchir et d’être un peu plus calme”. Plus concrètement, dans cette collection, les vêtements, les shorts bouffants façon bloomer (qui font échos à la candeur de l’enfance), les teintes douces – du rose pâle, du bleu ciel, du vert menthe à l’eau et du jaune soleil, s’affranchissent des codes structurés du luxe en se tournant plutôt vers le sensoriel, la spontanéité et la douceur. Pas étonnant que la collection elle-même se nomme “A change of tone”, puisqu’on semble effectivement assister un peu partout à un changement de ton, motivé par une volonté de se radoucir et de mieux se conduire.

Final du défilé Prasa SS26
Clamer sa gentillesse

 

Cette année, le cinéma français a aussi été trusté par les gentils, à commencer par le discours de Karim Leklou à la cérémonie des César. Monté sur scène pour recevoir le prix du Meilleur Acteur pour son rôle dans “Le roman de Jim”, l’acteur déclarait : “Je reviens vers vous messieurs Larrieux (réalisateurs du film, ndlr), et je vous remercie d’avoir fait cet éloge de la gentillesse. Je crois que c’est une qualité qu’on ne met jamais assez en avant. (…) À tous les gentils !” Quelques semaines plus tard, Vincent Dedienne, invité dans l’émission Youtube de Mcfly et Carlito, ouvrait à son tour le débat sur le fait que dire à quelqu’un qu’il est gentil est un compliment : “Je sens que ça va à nouveau être la mode des gens vraiment gentils”, a affirmé le comédien en évoquant notamment le discours de Karim Leklou aux César.

L’autre gentil du moment que tout le monde adule côté cinéma, c’est Pedro Pascal. Outre son talent, son physique et son sens du style, l’acteur s’est fait une renommée internationale ces derniers mois grâce à ses prises de positions radicales en soutien à la cause féministe et à la communauté LBGTQIA+ (comment oublier le moment où il a arboré son t-shirt pro-trans “Protect the dolls” créé par label Conner Yves ?). C’est simple, pour un bon nombre de fans, il serait la gentillesse incarnée. Une impression confirmée par sa sœur transgenre, Lux, au micro de The Hollywood Reporter lors des Platino Awards à Madrid, en avril dernier. “J’ai toujours su qu’il était une superstar. C’est drôle parce que les gens me demandent s’il est aussi gentil qu’on le pense. La réponse est oui !”.

Pedro Pascal et son t-shirt “Protect the dolls”

Une prise de parole qui fait écho à celle du réalisateur norvégien Halfdan Ullmann Tøndel lors du Biarritz Film Festival – Nouvelles Vagues 2025 organisé en juin dernier. Président du jury, le cinéaste avait tenu à remercier, lors de son discours de clôture, les autres membres du jury en relevant leurs nombreuses qualités humaines et particulièrement “leur gentillesse, vertu trop souvent négligée de nos jours”. CQFD.

Retrouver du sens

 

Aujourd’hui, dans notre société, le mot gentil est devenu une qualité presque totalement dénigrée, au point d’avoir subi un glissement sémantique dans plusieurs langues, allant du français à l’anglais. Rappelez-vous, en 2002, cette scène dans le film “Eternal Sunshine Of The Spotless Mind” de Michel Gondry, où Clementine (jouée par Kate Winslet) envoye balader Joel (Jim Carrey) après qu’il la complimente en lui disant qu’elle a l’air de quelqu’un de gentil (“nice” en anglais). Chose qu’elle réfute d’emblée en l’engueulant d’un “Don’t you know any other adjectives ? I don’t need nice !” (Tu ne connais pas d’autres adjectifs ? Je ne veux pas de gentil”).

Être gentil, ce serait donc encore être naïf, pour ne pas dire bête (“trop bon, trop con”, ça vous parle ?). Pourtant, il suffit de s’intéresser à l’étymologie du terme pour comprendre son sens premier. C’est ce qu’a fait dans une vidéo Sébastien Grimaud (ou L’Étymocurieux), connu pour proposer de la vulgarisation linguistique et des anecdotes étymologiques sur les réseaux. Le créateur de contenu nous y apprend que gentil est issu de la racine “gentilis” en Latin qui signifie “noble, bien né” avant de désigner quelqu’un d’aimable, de courtois, d’attentionné. Une façon pour le jeune homme, qui déplore que l’adjectif soit devenu plutôt synonyme de faiblesse, de lui rendre ainsi ses lettres de noblesse et de valoriser ses premières significations.

Car quelques siècles plus tôt, le terme n’était pas encore un gros mot et était même définit comme la “qualité humaine la plus enviée” par Jean-Jacques Rousseau qui la qualifiait également de “meilleur indicateur de bien-être et de plaisir d’exister”. Un parti pris que tente aussi de réhabiliter aujourd’hui la philosophe française Laurence Devillairs, qui vient de sortir l’entretien “Éloge de la gentillesse” sur Brut. Dans cette interview filmée, la femme de lettres revient sur cette notion et avoue avoir changé totalement de perception après avoir, pendant des années, “cru qu’être gentil était une faiblesse, que ce n’était pas classe et que ce n’était pas comme ça qu’il fallait se faire respecter”, citant l’exemple de son père chef d’entreprise qu’elle considérait “trop gentil”. Dans la vidéo, elle aborde aussi l’apparition dans notre langage de la notion de “vrai gentil”, censée contrecarrer celle du simple “gentil”, vue comme un défaut. Dans le film “Le Père Noël est une ordure”, on entend d’ailleurs le personnage de Pierre Mortez (joué par Thierry Lhermitte), déclarait “Je n’aime pas dire du mal des gens mais effectivement, elle est gentille.”

Redéfinir les masculinités

 

Alors la gentillesse serait-elle simplement malmenée par sa connotation ? Suffirait-il d’une simple nuance de vocabulaire pour mieux la diffuser ? C’est la théorie de Laurent Bègue-Shankland, professeur de psychologie sociale à l’Université Grenoble-Alpes qui intervenait en février dans l’émission “Grand bien vous fasse” sur France Inter. L’épisode, qui avait pour thème “Pourquoi le mal nous fascine”, interrogeait notamment la figure du Joker (ancien vrai gentil devenu méchant car moqué, abusé, abandonné et délaissé) et soulevait cette question sémantique en proposant cette réflexion : “personne ne tire sur la bienveillance, le mot gentil n’est peut-être plus à la mode.” C’est notamment ce qu’a entrepris Anne Dufourmantelle, philosophe et psychanalyste, avec le mot douceur dans son essai “La puissance de la douceur” : “La douceur a fait pacte avec la vérité ; elle est une éthique redoutable. Elle ne peut se trahir, sauf à être falsifiée. La menace de mort même ne peut la contrer. La douceur est politique. Elle ne plie pas, n’accorde aucun délai, aucune excuse. Elle est un verbe : on fait acte de douceur. Elle s’accorde au présent et inquiète toutes les possibilités de l’humain. De l’animalité, elle garde l’instinct, de l’enfance l’énigme, de la prière l’apaisement, de la nature, l’imprévisibilité, de la lumière, la lumière.”

Le “Joker” (Joaquin Phoenix), ancien gentil devenu méchant malgré lui.

Et si la gentillesse est effectivement politique, plus récemment, François Lelord, psychotérapeute a écrit un essai sous forme de tuto, nourri d’exemples relativement pragmatiques, “Soyez gentils, mais pas trop” (éditions Odile Jacob). “J’ai voulu écrire ce livre pour aider chacun et chacune d’entre vous qui, face à l’adversité du monde, êtes parfois trop gentils, trop généreux, trop conciliants.”, justifie l’auteur qui commence son ouvrage en rappelant que la gentillesse est connue en psychologie sous le nom “d’agréabilité” et qu’elle est l’une des cinq dimensions de la personnalité, décrite dans le modèle du Big Five. Ce repère permet l’étude théorique pour établir des profils psychologiques notamment utilisés dans les campagnes politiques. La notion d’agréabilité y est complétée par l’ouverture, la conscience, le névrotisme et l’extraversion. Sans plonger dans le manichéisme ni le monde des Bisounours, ne serait-il pas temps d’assumer pleinement sa gentillesse, à l’image de Jul notamment ?

Le rappeur, dont la popularité après tant de stades remplis cette année n’est plus à prouver — et auteur de centaines de titres parmi lesquels un s’intitule “Gentillesse” (“Ça joue avec ma gentillesse / Et moi, j’suis là, j’dis rien”) —, semble être l’étendard de cette nouvelle masculinité qui embrasse la bonté. Depuis ses débuts, il brandit aussi cette qualité comme une vertu respectable, voire irrévérencieuse, dans un milieu qui n’en n’est pourtant pas le terreau idéal. “J’aime bien faire du bien aux gens qui me veulent du mal” avait-il déclaré à Mouloud Achour dans Clique. De l’autre côté de l’atlantique, c’est le designer queer Willy Chavarria, connu pour détourner au travers de sa mode les clichés de la masculinité viriliste des Chicanos, qui a récemment fait l’éloge du pouvoir de la gentillesse dans une interview pour le magazine Vman. “Tout ce qu’on fait, devrait être basé sur la gentillesse”, a-t-il déclaré. Un statement d’autant plus important à l’heure où, comme le rappelle le magazine, la Gen-Z considère qu’être un “méchant connard” c’est vraiment pas cool. Messieurs, si vous pensez encore que la gentillesse est un truc de faible et/ou un vilain défaut, vous êtes vraiment à côté de la plaque.

Final du défilé Willy Chavarria FW25