Ancellm SS26

La Rakuten Fashion Week Tokyo célébrait ses 20 ans cette saison. Un anniversaire dont l’effervescence a été amplifiée par l’annonce du Prix LVMH 2025 remis au créateur japonais Soshi Otsuki. Entre audace, virages esthétiques et propositions tranchées, Mixte revient sur 5 défilés qui se sont imposés comme les moments forts de cette édition.

1. Ancellm : “Designing the Beauty of Aging”
Ancellm SS26

La première journée de la Fashion Week s’est achevée sous le vertigineux Shinjuku Sumitomo Building, où Ancellm, la jeune marque fondée en 2021 par Kazuya Yamachika, présentait son tout premier défilé devant près de 1 000 spectateurs. Connue pour sa manière unique de “designer l’usure”, en appliquant aux vêtements un processus de vieillissement travaillé, la maison a livré 40 silhouettes aux volumes amples et aux matières patinées : tailleurs en lin oversize aux ourlets bruts, chemises froissées, vestes workwear délavées, tricots effilochés… La palette, de bruns terreux à des bleus passés, en passant par le moutarde et le blanc sali, accentuait cette impression d’un vestiaire habité par le temps. Et ce soir-là, l’homme selon Yamachika semblait tout droit sorti d’une version contemporaine du film Les Moissons du ciel (1978) de Terrence Malick. “Concevoir l’usure comme un art, magnifier les vêtements par la main de l’artisan, révéler la beauté unique qui se déploie au fil du temps”: telle est la consigne d’Ancellm. Plus qu’une narration, c’est le pouvoir d’évocation des matières et de leurs textures qui imposait ici sa poésie.

2. Au supermarché avec Pillings
Pillings SS26

Ryota Murakami a présenté une collection intitulée “My Basket”, clin d’œil à une chaîne de supermarchés japonais du même nom, incarnant à la fois la banalité et l’intimité du quotidien. Pour le créateur, l’ordinaire devient matière à poésie : chemises chiffonnées, cardigans effilochés, pantalons à pinces froissés comme sortis de la machine, lingeries maladroitement superposées. Tout semble un peu décalé, un peu gauche, mais d’une justesse bouleversante. Les mannequins, visages fermés, cheveux humides comme après la pluie, avançaient au son d’un piano mélancolique. L’image n’était pas celle d’un glamour éclatant, mais celle d’une beauté fragile, presque domestique. Murakami, shortlisté au LVMH Prize 2025, poursuit son exploration d’un vestiaire fait de petites dissonances sublimées, transformant la trivialité en élégance.

3. Fetico : L’érotisme à l’équerre
Fetico SS26

Invitée du programme “By R” (le dispositif de soutien de Rakuten), FETICO célébrait ses cinq ans avec un défilé à la hauteur de sa réputation : celle de la marque la plus sensuelle du Japon. Intitulée “The Depth of Her”, la collection d’Emi Funayama était inspirée par Rebecca Horn et Irina Ionesco, deux artistes qui ont exploré les marges du corps féminin. Emi Funayama livrait un dialogue sensible entre séduction et fragilité. De la dominatrice des quartiers rouges à la fugitive amish voilée, la collection proposait une cartographie de désirs sans jamais basculer dans le costume. Car la force de FETICO est là : rendre le sexuel portable, l’exubérant accessible, l’érotisme réaliste. Mais derrière la charge érotique des silhouettes, on percevait surtout l’impeccabilité des coupes et la précision du savoir-faire. Funayama a le sens des proportions, de l’ajustement et de la finition : ses vêtements séduisent autant par la technique que par l’imaginaire qu’ils convoquent. Ici, le désir n’est pas laissé au hasard : il est construit, sculpté, parfaitement ourlé.

4. La rage contenue de Chika Kisada
Chika Kisada SS26

Cinquième jour de la Fashion Week, rendez-vous dans la fraîcheur d’un sous-sol de Daikanyama. Chika Kisada dévoilait “Trace”, une collection autour de l’“idéal corporel” et de la mémoire du mouvement. Fidèle à son ADN né de la friction entre ballet et énergie punk, la créatrice livrait cette fois une tension sourde, contenue, prête à exploser mais retenue avec élégance. Les silhouettes portaient la marque de cette lutte intérieure : collants superposés, chemises déconstruites, jupes effilochées comme des souvenirs en lambeaux. En highlight, la collaboration avec l’artiste Hikari Hayashi : un T-shirt manifeste “Why be racist, sexist, homophobic or transphobic when you could just be quiet?” transformé en voile fragile. L’explosion est contenue, le discours assumé.

5. Le virage de VIVIANO
Viviano SS26

Connu pour ses robes colorées, son romantisme opulent, sa candeur et sa pointe de facétie, Viviano semblait avoir poussé son style à son paroxysme la saison dernière avec la collection “Colpo di Fulmine”. Cette saison, la marque surprend par un virage radical : “Neo Romanticism” abandonne l’exubérance chromatique au profit d’une palette réduite, exclusivement noire et blanche. Ce dépouillement révèle l’essentiel : la coupe et les détails. Robes hautes en dentelle, voiles dramatiques, manteau noir brodé de roses blanches, vestes en moiré… Les silhouettes se font à la fois gothiques et sensuelles. Inspiré par la couture des années 1920–1960 (Balenciaga, Dior, Schiaparelli) et par des réminiscences rétro-sport 70s, Viviano troque la démesure solaire pour un glamour nocturne, dense et visuellement puissant. Un pari risqué mais maîtrisé, qui inscrit la maison dans une nouvelle phase de maturité.

Bonus : les prix du public

Yoshiokubo, spin master
Avec Yoshio Kubo, on s’attend toujours à une surprise et à être déstabilisé. Cette saison, ce créateur roi de l’entertainment a fusionné défilé et performance de breakdance, transformant le Shibuya Hikarie Hall A en véritable arène. Présenté par le commentateur KENTARAW, l’événement mettait en scène un battle entre deux crews locaux de renom : XII After Ours, mené par Shigekix, et FOUND NATION, multi-titrés mondiaux. L’expérience immersive brouillait la frontière entre mode et spectacle vivant. Difficile parfois de savoir où poser les yeux, tant les danseurs impressionnaient par leur virtuosité. Mais c’est justement dans cette intensité que la collection trouvait son sens : les vêtements, portés par les breakers eux-mêmes, accompagnaient chaque spin, chaque salto, sans jamais entraver le mouvement. Ampleurs, fronces, motifs signatures : la coupe devenait ici un véritable outil de performance, au-delà de l’apparat. Une démonstration de force qui rappelait qu’au cœur de la démarche de Kubo, il y a toujours cette volonté de lier le vêtement à la vie en mouvement.

FDMTL SS26

FDMTL’s Blue notes
Pour ses vingt ans, FDMTL confirme son statut de maître de l’indigo japonais. Fondée en 2005 par Gaku Tsuyoshi, la marque s’est construite sur une idée simple mais exigeante : créer des vêtements auxquels on s’attache davantage à mesure qu’on les porte. Refusant tout compromis, Tsuyoshi développe depuis deux décennies un vestiaire où le denim, le patchwork et l’art du vieillissement deviennent langage. Sa nouvelle collection, intitulée “Echo of []”, revient aux fondamentaux : déconstruire puis recomposer les patrons de vestes et de pantalons pour faire naître des formes inédites. Vingt années passées à perfectionner un langage textile unique, et à prouver que l’indigo n’est pas une couleur, mais une histoire en mouvement. La présentation s’est doublée d’un concert live du groupe Ichikoro, transformant le défilé en performance immersive.