Jean-pierre Blanc, gare de Lyon, Paris

Bientôt le 34e Festival International de mode, de photographie et d’accessoires de mode. Depuis 1986, Hyères et sa villa Noailles abritent un tremplin qui fonctionne… Rencontre avec son initiateur autodidacte, figure habituée à s’effacer pour mettre en avant le talent des autres.

Cet autodidacte a réussi le pari fou de créer à Hyères le plus grand festival de la mode en France. Inlassable militant de la création et mentor de toute une génération d’artistes, il a également instauré en 2006 le Design Parade à Hyères pour partager la création contemporaine avec le public et les professionnels, mais aussi la Design Parade Toulon qui se consacre à l’architecture d’intérieur. A quelques jours de l’ouverture du Festival international de mode, de photographie et d’accessoires de mode, portrait de Jean-Pierre Blanc. 

Passion mode

Jean-Pierre Blanc a le charme discret de ceux qui n’ont plus rien à prouver. Fin avril, c’est tout Paris et plus encore, qui “descend” dans le Sud, à la villa Noailles, pour assister à la célébration de jeunes talents de la mode et de la photo. Anthony Vaccarello (Saint Laurent), Julien Dossena (Paco Rabanne), Sébastien Meunier (Ann Demeulemeester), Felipe Oliveira Baptista (ex-Lacoste), tous lauréats à Hyères et tous DA de grandes maisons. Dernière réjouissance en date, fin août 2018, Nina Ricci a nommé les Néerlandais Rushemy Botter et Lisi Herrebrugh à la direction artistique, quatre mois seulement après leur victoire au Grand prix du jury mode. Baptisée “Fish or fight”, leur collection upcyclée engagée en faveur de la protection des océans a été plébiscitée. Une bonne nouvelle pour la jeunesse. “Ce festival soutient les jeunes, ce n’est pas de la com’. Il faut y mettre tout son cœur et toute son énergie. Parfois, on aurait tous envie d’arrêter de faire ce truc. Mais c’est une passion, un sacerdoce.”

“Ce truc”, comme Jean-Pierre Blanc l’appelle souvent, c’est l’affaire d’une vie. Rien ne prédestinait ce gosse des Salins, fils de restaurateurs, à devenir le grand protecteur de la mode française. Né à Hyères en 1964, dans une famille provençale généreuse et ouverte, Jean-Pierre Blanc n’a jamais vraiment baigné dans l’univers de la création. “Pourtant, si on cherche, il doit bien y avoir quelque chose qui pourrait expliquer cette passion. Ce que je peux vous dire, c’est que quand j’étais petit, j’aimais beaucoup habiller des poupées, mon grand-père disait : ‘Ah, toi tu vas être couturier’ ! Ma mère se faisait confectionner des robes sur mesure et je l’ai souvent accompagnée lors des essayages. Elle avait six sœurs très belles et très bien habillées.”

« Le droit chemin »

En 1986, lorsqu’il lance la première édition du festival dans son Hyères natal, alors baptisé Salon des stylistes, Jean-Pierre Blanc a seulement 22 ans. Avec une bande de copains, il écrit à toutes les maisons de mode pour leur demander de venir les soutenir. Certains, dans le milieu, jouent le jeu, comme Françoise Chassagnac, responsable des magasins Victoire. “À l’époque, avec Jack Lang au ministère de la Culture, on pensait que tout était possible.” C’est comme ça, “au culot”, que le premier défilé est organisé dans une église désaffectée. “Un défilé qui commençait le matin et se terminait… le soir, ça durait toute la journée. Des moments inoubliables.” Jack Lang est resté une figure qui le guide, l’inspire. “J’ai eu l’occasion de le lui dire : tout ce que j’ai fait, je l’ai fait parce qu’il était ministre, il a donné un sens à la vie culturelle de notre pays. S’il aimait Azzedine Alaïa et Jean-Paul Goude, il le disait. Aujourd’hui, on ne sait plus ce que les politiques aiment !” Jean-Paul Goude est une autre de ses sources d’inspiration. “Il m’a beaucoup marqué. Il y a deux séismes dans la mode : son défilé La Marseillaise en 1989 pour le bicentenaire de la Révolution française et la cérémonie d’ouverture des JO d’Albertville en 1992 avec le spectacle conçu par Philippe Découflé. Qu’est-ce qu’on a fait depuis dans la mode ?” Dès ses débuts, le festival porte une idée : se révolter contre “l’injustice de la profession de la mode où il fallait être ‘fils de’ ou ‘copain de’ pour espérer avoir un rendez-vous”. Un leitmotiv qui permet de rester dans les rails. “Quand je sens qu’on s’éloigne de cet état d’esprit, je me rappelle que c’est pour ça qu’on a créé le festival, pas pour faire de la communication. J’ai toujours plaisir à le dire, ça me remet dans le droit chemin.”

En 1991, coup d’éclat, John Galliano accepte de venir défiler spécialement à Hyères. “On a commencé en 1986 et cinq ans après, John Galliano qui vient de faire ce défilé époustouflant à Paris chez les Rothschild, accepte, grâce à Sylvie Grumbach, d’être président du jury d’un festival… qui n’existe pas ! Car il n’existait pas encore. Je ne sais pas quelle étoile il y a derrière tout ça, mais il y en a une.” En 1992, la chance lui sourit de nouveau. Helmut Lang, Jean Colonna, Martine Sitbon, Marc Ascoli, Jean Touitou et Martin Margiela (“qui se laisse photographier”) sont réunis dans le même jury. “1993 : autre tremblement de terre. Viktor & Rolf, deux garçons qu’on a repêchés de la sélection, font un défilé éblouissant, émouvant, intelligent et raflent tout. Les mannequins avaient les yeux bandés et marchaient au rythme d’une bande-son qui disait ‘attention piétons, piétons traversez’, la signalétique sonore des passages cloutés pour les aveugles.” Un de ses plus beaux souvenirs.

Une villa progressiste

En 1996, le festival s’installe dans la Villa Noailles construite par l’architecte Robert Mallet-Stevens entre 1924 et 1932. En 1997, il s’ouvre à la photographie, avec la naissance d’un prix spécial. C’est aussi à ce moment-là que l’association pour la Villa Noailles, présidée par Didier Grumbach et Andrée Putman voit le jour. C’est important de protéger le festival de la montée du Front National. “Le FN n’aime pas les gens progressistes, on a toujours été une cible particulière pour eux.” Aujourd’hui directeur de la Villa Noailles, devenue centre d’art, de design et d’architecture, Jean-Pierre Blanc perpétue la tradition d’ouverture et de mécénat initiée par le couple Noailles. Pour leur rendre hommage, il est d’ailleurs à l’origine d’un ouvrage paru en 2018 qui revient sur l’histoire de ce couple de mécènes qui fréquentait Salvador Dalí, André Breton, Man Ray et bien d’autres artistes. “Un ministère de la Culture, avant l’heure.” Les Noailles, c’était surtout un état d’esprit. “Ils soutenaient les artistes et organisaient des soirées pour le simple plaisir de s’amuser, pour l’érudition, pour les rencontres et ça, ça n’a pas de prix. Je crois qu’aujourd’hui, il faut – sans être donneur de leçons – plus de proximité, de discussions. Revenir à des basiques de la vie : se soutenir, s’écouter, se parler. Tout ce qui va dans le sens d’une autarcie intellectuelle est dommageable. Il faut convaincre les enfants de déscotcher de leur téléphone, on est 24h/24 verrouillé à nos écrans en imaginant que la terre tourne là-dedans. Il faut qu’on soit nombreux à éveiller les esprits. La vie c’est la nature, la beauté des paysages, des artistes… C’est dans les périodes noires qu’on a plus que jamais besoin d’artistes, d’enthousiasme et d’envie.”

« On a un rôle social »

Autour de lui ? “Un noyau dur, des gens qui ne sont plus là mais toujours là.” Pendant sept ans, le festival n’a été organisé qu’avec des fonds publics qui provenaient de la ville et du département du Var. L’État et la région sont venus plus tard, les fonds privés sont arrivés à la huitième édition. Et en 2014, Chanel est devenue partenaire du festival. “Depuis que je travaille, on me dit qu’il n’y a pas de moyens. C’est faux. Il faut sortir du carcan de l’administration. Aujourd’hui, on a peur de tout, on vous explique grosso modo que si vous vous lancez dans quelque chose, il va vous arriver des ennuis… Le parapluie est ouvert 365 jours par an.” Sa réussite, Jean-Pierre Blanc la doit aussi à ses talents de persuasion, de “communicant” – même s’il n’aime pas l’expression. Qui peut lui résister ? Il a déjà convaincu les plus grands noms de la mode de présider le jury : Paco Rabanne, Yohji Yamamoto, Karl Lagerfeld, Azzedine Alaïa, Christian Lacroix, Dries van Noten… “Il y en a qui ne sont jamais venus et ne viendront jamais.” On ne lui fera pas l’affront de lui demander qui. Et puis, qu’importe ! Le côté “star” c’est bien, mais la vocation du festival, c’est le social. “Tout ce que nous organisons est gratuit, le festival mais aussi les ateliers pour les enfants qui se tiennent toute l’année. On a un rôle social. J’ai toujours pensé que le service public avait un sens très fort : il faut qu’on soit dans des logiques comme cela. On a une chance inouïe de vivre en France.”

Travailleur infatigable, Jean-Pierre Blanc est également professeur invité à la HEAD, à Genève, un rôle qu’il prend très à cœur. “Je suis un autodidacte, je n’ai aucune formation, j’ai appris sur le tas, avec le temps. Ce dont je suis sûr, c’est que ce sont les gens que j’aime et souvent des artistes, qui me touchent plus que les autres. J’ai compris que c’était le sens de ma vie. Faire partager ça avec générosité, sans sombrer dans la béatitude.” Il rejoint ainsi André Malraux, une autre de ses “figures tutélaires” pour qui l’art est avant tout une recherche d’émotions. N’était-ce pas lui d’ailleurs qui disait : “L’art, c’est le plus court chemin de l’homme à l’homme” ?

Festival International de mode, de photographie et d’accessoires de mode, du 25 au 29 avril à Hyères