Nous sommes fin juin. C’est le début de l’été, du beau temps et de la fête. Paris, qui sort tout juste de la fête de la musique et de la Pride, vient de clôturer sa fashion week masculine printemps-été 2024 le dimanche 25 juin (avec en bonus le dispensable défilé see now buy now de Jacquemus organisé le lendemain à Versailles). Le cirque des défilés de mode a alors droit à seulement quelques jours de repos avant de repartir de plus belle avec la semaine de la couture automne-hiver 2023 prévue dès le lundi 3 juillet ; sans oublier les deux défilés hors calendrier que sont celui de Celine et celui d’Alaïa prévus tous les deux au même horaire le dimanche 2 juillet au soir (fashion escandalo).
Mais dès le 27 juin, l’insouciance estivale redescend brutalement. Vers 8h15, Nahel Merzouk, âgé de 17 ans, franco-algérien, est tué par un policier aux abords de la place Nelson-Mandela, à Nanterre, pour un refus d’obtempérer suite à un contrôle. La vidéo de l’exécution est dévoilée sur les réseaux sociaux et déclenche alors une vague d’indignation, suivie pendant près de cinq jours d’un chaos social marqué par une série de violences et d’émeutes qui ne cherchent finalement qu’à exprimer une colère grandissante et dénoncer une énième violence policière teintée de racisme. Une ”bavure”, comme certain·e·s aiment la nommer, qui a cette fois-ci conduit au meurtre d’un jeune mineur abattu de sang-froid par la police parce qu’arabe et banlieusard. Et qui a ravivé avec elle l’éternel débat qui gangrène la société française sur les violences policières et le racisme structurel de ses institutions politiques.
L’émoi et l’effroi sont tels que le samedi 2 juillet, à la surprise générale, Hedi Slimane, directeur artistique de Celine, décide d’annuler, via un poste sur son compte instagram, son défilé prévu le lendemain soir. Dans son poste, il explique : ”un défilé de mode dans Paris, alors que la France et sa capitale sont ainsi endeuillés et meurtris semble, de mon seul point de vue, inconsidéré et totalement déplacé”.
Une prise de position forte, Ô combien nécessaire et respectable qui a été suivie par Nicolas di Felice. En effet, le directeur artistique de Courrèges, qui devait organiser le 2 juillet au soir la deuxième édition de sa “Summer Courrèges Party” a préféré annuler l’événement en postant une story Instagram annonçant l’annulation, tout en mentionnant la “tragédie” que traversait le pays à ce moment-là. S’il s’agissait de décisions liées avant tout à une question de sécurité en lien avec lesdits évènements, il était aussi question pour les deux créateurs de signifier leur empathie et leur désarroi face à la gravité sociale et politique de la situation.
On aurait pu croire que ces deux décisions et déclarations allaient inspirer d’autres marques de mode à agir et/ou à s’exprimer mais il n’en a rien été. Certes, on comprend la difficulté de devoir annuler un événement comme un défilé dont le coût humain, matériel et financier est colossal. Mais il semble que seule la mode ait eu droit, en quelque sorte, à ce traitement de faveur. Car pendant que l’industrie continuait de présenter ses collections et de faire ses after-shows, c’est bien la France toute entière qui était privée de ses événements socio-culturels : annulation de la Pride marseillaise, annulation des concerts de Mylène Farmer au Stade de France à Saint-Denis, annulation du festival Fnac live à Paris, sans oublier la mise en place d’un couvre-feu dans certaines municipalités ainsi que l’arrêt des transports en commun après 21h. Seule Balenciaga semble avoir suivi le mouvement en décidant d’annuler elle aussi sa soirée prévue après son défilé Haute Couture automne-hiver 2023.
Mais au-delà des annulations d’événements, qu’en est-il réellement de la prise de position des marques de mode concernant la mort de Nahel et plus largement les violences policières et le racisme en France ? Difficile de le savoir quand aucune d’entre elles ne s’est véritablement exprimée sur le sujet. Et difficile de ne pas faire une comparaison triste et amère avec une autre affaire : celle du meurtre de George Floyd qui, il y a exactement trois ans, avait vu, suite à l’ampleur de l’indignation, toutes les marques de mode de la planète (que ce soit des équipementiers sportifs ou de grandes maisons historiques françaises) prendre position sur le sujet, en dénonçant ”clairement” le racisme et les violences policières présents dans nos sociétés. En postant un petit carré noir sur leur instagram (à l’image de Chanel, Dior, Fendi, Balenciaga etc qui justement défilent à la semaine de la couture), elles s’étaient aussi engager à financer des associations qui se battent contre le racisme et les violences policières.