Depuis quatre ans, le collectif d’artistes et activistes LGBTQIA+ Institute of Queer  Ecology propose, à travers diverses oeuvres, expositions, et installations de transformer notre société en un safe space mondial.

Comme un acte de résistance face à la victoire de Trump en 2016, l’IQECO est né sur Internet de la volonté du sculpteur et cinéaste américain Lee Pivnik, nous démontrant au passage que les réseaux sociaux ne servent pas qu’à lancer des challenges chelous et à vendre sa vieille paire de Converse, mais peuvent aussi permettre de fonder une communauté digitale pour imaginer un futur durable. Guidé par les théories queers, féministes et la pensée décoloniale, refusant de vivre dans une société où la peur prédomine, un collectif d’activistes internationaux incluant aussi bien des artistes, des poète.sse.s, des écrivain.e.s que des chercheur.euse.s, décide alors d’inventer son utopie où tout être vivant, humain et non-humain, tient une place essentielle : “Je n’arrivais plus à créer à cause du contexte politique et de la crise environnementale : c’était trop ! nous explique Lee, à l’origine de ce mouvement. J’en ai parlé autour de moi et j’ai relié les problèmes environnementaux à mon identité queer. J’ai pris conscience de l’influence que les autres espèces ont eue sur la construction de mon identité. J’avais toujours pensé que la nature s’opposait à la culture, cela m’a choqué d’admettre que je ne les avais jamais envisagées comme une symbiose. J’ai donc créé cette communauté artistique de queer ecology pour sensibiliser à cette cause en proposant des curations d’expositions, des productions d’œuvres d’art et des projets culturels.”

Et qui dit communauté dit signe distinctif : les adhérent.e.s de l’Iqeco portent tou.te.s une combi couleur lavande créée par Lee et l’artiste Félix Baudry. “C’est un hommage camp aux combinaisons de la Nasa, mais au lieu d’avoir un patch avec une fusée, sur les nôtres trônent une branche d’arbre et un phasme qui symbolisent le mimétisme employé comme stratégie d’évolution. Mais nos tenues sont avant tout un acte militant avec un rappel du triangle rose que les nazis firent porter aux homosexuel.les dans les camps de concentration. Nous arborons fièrement trois triangles que l’on appelle ‘new tomorrow’, ils forment ensemble un paysage représentant un coucher de soleil sur la mer.” La couleur lavande n’a d’ailleurs pas été choisie au hasard ; elle rappelle la “menace mauve” qu’a subie la communauté gay aux USA en 1950 lorsque le gouvernement jugea les homosexuel.le.s susceptibles de porter atteinte à la sécurité nationale et décida de les évincer de ses services, orchestrant une véritable chasse aux sorcières appelée “lavender scare”, en référence à l’expression “lavender lads” employée à l’époque par le sénateur républicain Everett Dirksen pour désigner les hommes gays. Le logo de l’institut complète cette panoplie militante en étant cousu au niveau du cœur de la personne qui la porte : “Il représente une pierre posée comme un œuf et entourée d’autres pierres. Il fait référence à Roy & Silo, le couple de pingouins gays du zoo de Central Park, qui, voulant imiter les autres animaux, ont construit un nid en y plaçant une pierre en guise d’œuf. Touché par ce geste, le gardien du zoo a remplacé la pierre par un véritable œuf, et les deux pingouins mâles ont élevé ensemble leur bébé. Ce logo rappelle donc avec humour que rien n’est impossible”.

Les adhérent.e.s d’IQECO, artistes et activistes, œuvrent pour défaire les hiérarchies dangereusement destructrices.

En 2019, l’institut inaugure à Los Angeles Common Survival, sa première exposition à la Gas Gallery itinérante. Face à l’inaction des USA sur les questions environnementales, aux droits LGBTQIA+ sans cesse réprimés et à un avenir de plus en plus incertain, une quarantaine d’artistes sont invité.e.s à s’interroger sur notre rapport à la survie. En résulte une installation où se mêlent photographies, fanzines, sculptures, poèmes et vidéos. Loin du cliché du survivalisme à la papa (aka la famille qui s’enferme fusil à la main dans son bunker construit dans le jardin, après avoir dévalisé les rayons PQ du supermarché), les œuvres présentées proposent toutes des techniques de survie fondées sur l’entraide et le respect du vivant. À l’été 2020, l’Iqeco décide de frapper fort et lance son projet Metamorphosis : une série de trois films d’animations visibles sur la plateforme Dis.art, dont le but est d’éveiller les consciences pour sortir l’écologie de son interdépendance toxique au capitalisme. On y voit notamment des chenilles rampant sur un avion de chasse en plastique, métaphore de l’armée américaine devenue l’institution la plus consommatrice de pétrole, mais aussi des papillons préférant rester dans leur chrysalide pour ne pas subir l’hétéronormativité imposée par la société.

L’idée de génie : demander au rappeur, poète et activiste Mykki Blanco d’être le narrateur de ces trois courts métrages : “C’est essentiel que les gens puissent questionner notre monde qui est en train de s’effondrer, nous confie l’artiste. Ne pas comprendre que nous devons préserver cette planète, c’est comme si nous avancions les yeux bandés. On ne m’a jamais proposé un projet aussi fort que Metamorphosis. Mixer des théories anticapitalistes avec un message écologique sur fond de queerness : un mindfuck absolu !” Cette notion est au cœur de la pensée de l’Iqeco : “Pour nous, explique Lee Pivnik, la queerness est le fait de vivre ensemble en prenant en compte les changements futurs : l’espoir, la joie, la souffrance et la considération de l’autre, qu’importe sa sexualité ou son genre”. L’institut concrétise d’ailleurs ce concept lorsqu’il mobilise la générosité de sa communauté afin d’aider des artistes en difficulté, comme elle l’a fait au mois de juillet dernier en relayant un appel au don pour aider la jeune artiste activiste jamaïcaine Adwoa Addae à recueillir la somme nécessaire pour quitter sa famille qui ne reconnaissait pas sa transidentité et s’installer à Miami.

metamorphosis Episode 1: Grub Economics, video, 2020.

Nous inciter à rejoindre leur communauté, tel est l’enjeu d’H.O.R.I.Z.O.N., la nouvelle création de l’Iqeco présentée au Guggenheim en janvier. Chacun.e est invité.e à télécharger cette application (disponible sur Mac et PC) pour rejoindre un monde virtuel en perpétuelle évolution, fondé sur l’échange de nos savoirs. Errer dans la forêt permet de recueillir des informations sur la faune et la flore sauvage, un passage en cuisine nous offre l’occasion de consulter les recettes déposées par les membres et de partager les nôtres. À l’heure où l’isolement règne, H.O.R.I.Z.O.N. se veut un espace de partage de pensées et de propositions pour affronter ensemble la société de demain.

Ce futur que l’on envisagerait apaisé par la victoire de Joe Biden n’est
pourtant pas du goût des membres de l’Iqeco, comme nous l’explique l’un de ses membres, l’artiste berlinois
Nicolas Baird : “Le futur restera un cauchemar si on ne décide pas de travailler tou.te.s ensemble pour le rendre meilleur. S’appliquer à cette tâche en la répétant jour après jour. Nous avons tou.te.s le pouvoir de faire changer les choses, Biden est hors sujet”. Ce qu’approuve totalement Lee : “L’impact des actions individuelles, que l’on soit président ou simple consommateur, sont insignifiantes comparées aux actions collectives. Je pense que Biden a le potentiel de devenir le ‘climat president’, mais la justice climatique ne peut surgir sans réparer les génocides sur lesquels sont construits les USA, et les dégâts qu’ils continuent de perpétrer”.

À l’heure où l’activisme de rue reprend ses lettres de noblesse, on peut toutefois se demander si une communauté virtuelle peut faire avancer une cause aussi importante que la survie de la planète. Mykki Blanco en est persuadé : “Je crois qu’une plateforme virtuelle est aussi importante que la protestation sur le terrain. Nous passons une grande partie de notre vie dans l’ombre omnisciente d’Internet. Les réseaux sociaux peuvent servir à nous organiser, à élaborer des stratégies pour ensuite passer aux actions concrètes. L’Iqeco est le seul endroit qui offre un cadre d’expression permettant d’établir des connexions entre les idées intersectionnelles. C’est une perspective d’avenir importante et surtout éclairante, une ouverture d’esprit sur toutes ces nouvelles prises de conscience. Interroger notre rapport à la planète pour nous réconcilier avec elle au vu des dégâts que nous lui avons fait subir, c’est déjà faire un pas en avant sur les générations futures”. Un nouvel horizon.

queerecology.org

metamorphosis, Episode 2: Liquidation in the Pupal Stage, video, 2020