Pour le prochain numéro de Mixte qui sortira le 27 février, le photographe Volker Conradus a capturé la complicité et la joie qui unissent Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer, respectivement première danseuse et premier danseur de l’Opéra de Paris. Partenaires à la ville comme à la scène, les deux artistes nous montrent ici que pour s’enjailler il faut parfois savoir entamer un pas de deux.

Héloïse Bourdon et Jérémy-Loup Quer, c’est un peu les Carters de l’Opéra de Paris (en moins bling, on vous l’accorde). Un power couple made in france, uni par une passion commune, la danse, et dont l’alchimie est palpable aussi bien sur scène qu’à travers les clichés de cette série mode signée Volker Conradus, réalisée pour le prochain numéro SS23 de Mixte qui sortira le 27 février. Issus de milieux différents, Héloïse et Jérémy-Loup se sont pourtant bien rencontré·e·s au même endroit, à l’école de danse de l’Opéra de Paris, où ils interprètent les personnages de ballets légendaires du répertoire de l’Opéra, comme Don Quichotte ou encore le Lac des Cygnes, qu’ils ont joués en 2022. A l’heure où l’individualisme semble tristement vivre sa meilleure vie, l’histoire de la belle Héloïse et de son (Jérémy) Loup vient nous rappeler que le lien unissant deux personnes qui s’aiment a de quoi donner des ailes jusqu’à bondir en grand écart hors sol.

 

Mixte. Comment la danse est arrivée dans vos vies ?
Héloïse Bourdon.
J’étais une petite fille pleine d’énergie et comme mes parents écoutaient beaucoup de musique classique à la maison, j’ai commencé à bouger sur ce style de musique. Mes parents m’ont inscrite à des cours de danse au Centre de Danse du Marais quand j’avais 7 ans. Puis, ça a été une série de rencontres qui m’ont amenée jusqu’à l’école de danse de l’Opéra de Paris où je suis rentrée quand j’avais 8 ans. Je ne réalisais pas trop ce qui se passait, jusqu’à ce qu’à 9 ans, je me retrouve sur la scène de l’Opéra, dans un ballet qui s’appelait “Le Concours de Maurice Béjart”. Être sur scène a été une vraie révélation. Je me suis sentie apaisée, rassurée : j’avais trouvé ma place.
Jérémy-Loup Quer. Mon père est comédien et ma mère danseuse, j’ai grandi dans les théâtres. Ils m’ont embarqué en tournée avec eux alors que j’avais 2 ans ! Un an après, ils ont créé leur première pièce ensemble, sur une musique de tango. Comme Héloïse, j’étais un hyperactif, je me suis alors mis à bouger en rythme sur du tango. J’ai commencé un cursus sport-études, jusqu’à ce qu’une de mes professeures de danse me conseille de passer le concours de l’Opéra de Paris où j’ai été engagé à 18 ans, dans le corps de ballet.

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Mixte. Le ballet, son esthétique mais aussi sa rigueur et ses codes, ça a toujours été une évidence pour vous ?
H.B.
Mon tout premier cours de danse étant enfant, c’était un cours de modern jazz. Je n’ai pas aimé car je ne me retrouvais pas du tout dans cette manière de bouger. J’ai alors essayé le cours de danse classique, qui était enseigné aux mêmes horaires, et là, c’était une toute autre chose : j’ai tout de suite adoré l’harmonie, l’élégance, les lignes,… mais aussi la rigueur et l’exigence. Comme je suis ensuite rentrée très jeune à l’école de danse de l’Opéra de Paris, j’ai toujours baigné dans cette rigueur, qui est inhérente pour moi au ballet. J’apprécie réellement ce rapport à l’exigence et j’attends maintenant de moi une certaine perfection.
J-L.Q. Je suis vraiment un enfant de la comédie musicale, j’en ai mangé depuis tout petit. J’étais complètement fasciné par des figures comme Fred Astaire, Gen Kelly… Au-delà de danser, ce dont j’avais vraiment envie, c’était de raconter des histoires. Pour moi le ballet c’est autre chose que “juste” de la danse. Ça réunit la scène, la comédie, la musique… C’est cet ensemble qui m’attirait au-delà du style de la danse classique. Pour ce qui est de la rigueur, personnellement, il y a des périodes où j’ai pu être en rébellion avec le système de l’Opéra. Cependant, je suis d’accord avec Héloïse sur le fait que cette rigueur est inhérente au ballet et que, d’une certaine manière, elle nous protège physiquement, pour éviter les blessures, et psychologiquement, en nous donnant un cadre et une hygiène de vie.

M. Quel est votre quotidien de danseur·se de l’Opéra ?
H.B.
Tous les matins, de 10h à 12h, on a un cours de danse pour nous échauffer, nous muscler, nous étirer, préparer les corps…
J-L.Q. Ensuite, on enchaîne avec les répétitions de 12h à 19h, et le soir on a la représentation, le spectacle. Généralement, on tourne entre cinq et six productions par an, donc on alterne entre un mois de répétitions et ensuite un mois de spectacle à fond. En tant que premier danseur, on se retrouve très souvent avec des journées qui s’étirent de 10h à 22h.
H.B. Au bout du compte, on se rend compte qu’on gère très mal le repos ! C’est compliqué quand le corps et le cerveau sont en permanence sollicités de parvenir à décompresser soudainement. Et puis, on sait que nos carrières sont relativement courtes, si on doit s’arrêter à 40 ans, autant en profiter à fond. Tant que je n’ai pas de blessures et que j’éprouve du plaisir à aller sur scène, je me donnerai à 200%.
J-L.Q. Roselyne Bachelot comparait l’Opéra de Paris à un paquebot, pour ça, elle n’avait pas complètement tort ! C’est une grosse machine, une usine à spectacles. La rigueur est constante et les temps de latence pas forcément bienvenus, sinon on ne peut pas suivre le rythme. Cette routine rigoureuse et exigeante nous protège des pépins physiques, c’est pourquoi le confinement a été très problématique, il y avait de gros risques que des danseur·se·s se désathlétisent et puissent se blesser à la reprise…

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M. Vous avez interprété les personnages principaux du Lac des Cygnes, en 2022, à l’Opéra de Paris, à l’occasion de l’hommage aux 30 ans de la mort de Rudolf Noureev. Comment se prépare-t-on à un tel challenge ?
H.B. Il faut savoir que le Lac des Cygnes est une pièce classique en 4 actes, donc, un véritable marathon. Il faut bien se connaître et savoir comment mettre à profit les temps de récupération pendant les actes. Je sais que parfois je vais avoir besoin de boire, de marcher, de parler, parfois je vais avoir besoin tout simplement d’aller dans ma loge seule. Entre danseur·se·s, on peut réagir et se préparer de manière très différentes face à des grands ballets classiques comme le Lac des Cygnes.
J-L.Q. Plus on fait de pièces classiques de cette envergure, mieux on se connait, mieux on sait comment se préparer. Il faut aussi parvenir à désacraliser ces ballets qui sont parfois bicentenaires, voire tricentenaires, et qui ont été dansés avant nous par les plus grandes étoiles de la planète. Le challenge c’est aussi de se dire “Ok, qu’est-ce que moi, Jérémy-Loup Quer, je fais de ce rôle ?”. Il faut se dégager du bagage des interprétations passées et essayer d’apporter notre modernité. C’est cela qu’on travaille avec les répétiteurs notamment, qui nous amènent à creuser des aspects de nos personnalités et nos atouts à chacun·e.

M. Vous formez un couple à la vie et sur scène où vous avez interprété à plusieurs reprises des rôles principaux dans les mêmes ballets, comme Don Quichotte, en 2016. Quelle place occupe votre complicité sur scène ?
H.B. Ça fait maintenant 10 ans qu’on est ensemble, on se connait par coeur. Il y a un rapport spécial à la peau, au toucher, bref au corps de l’autre. On a toujours besoin de communiquer, mais c’est un langage complètement différent d’avec une autre personne. En cela, j’ai l’impression que notre complicité nous aide parfois à aller plus loin dans les émotions et à “gagner du temps” dans l’apprentissage du corps de l’autre. Cela dit, c’est très important de créer un esprit de cohésion au-delà des interprètes principaux. On est une troupe et cela englobe les maquilleur·se·s, les musicien·ne·s, les machinistes, les habilleur·se·s… Il faut que l’harmonie soit totale.
J-L.Q. Notre complicité peut parfois nous amener à un rapport un peu explosif, car on a forcément moins de filtres entre nous qu’avec d’autres personnes. Quand on bosse ensemble ça peut vite partir très loin et très fort. Il y a aussi la vulnérabilité, la mise à nu face à la personne qu’on aime, qui, je pense, peut fait la différence sur scène dans l’interprétation et ça c’est génial !

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M. Est-ce qu’il y a un ballet que vous rêvez d’interpréter dans les prochaines années ?
J-L.Q. J ’adore cette question car elle me fait prendre conscience que j’ai déjà réalisé un rêve de gosse, celui d’avoir joué deux rôles – le mauvais génie et le prince – dans le Lac des Cygnes. Parfois, quand on a la tête dans le guidon et qu’on fait les choses à 300%, on ne s’en rend pas compte. L’Opéra de Paris est un lieu très hiérarchique, il ne faut pas se mentir, il y a des moments très compliqués où on se dit qu’on n’y arrivera pas. Alors, se dire qu’on s’est retrouvé sur scène parmi 90 danseurs à interpréter le rôle principal d’une pièce comme celle-ci, c’est juste incroyable.
H.B. Je me sens chanceuse car j’ai déjà dansé beaucoup de rôles que je rêvais d’interpréter. Je pense qu’aujourd’hui j’ai surtout envie de danser le plus possible avec Jérémy-Loup, car j’aime partager ces moments de scène avec lui.

M. En plus d’une décennie passée à l’Opéra de Paris, vous avez vu l’institution muter, et prendre (enfin) position sur des sujets comme la représentation des personnes racisées parmi ses différents corps de métiers. Quel regard portez-vous sur ces prises de positions ?
J-L.Q. C’est très important qu’une institution comme l’Opéra de Paris représente le plus possible la diversité de la société française et, surtout, que le public se sente représenté. L’Opéra de Paris a fait énormément d’efforts en ce qui concerne la représentation des personnes racisées, les danseur·se·s notamment et il faut pour cela applaudir le travail effectué par Alexander Neef (directeur général de l’Opéra depuis 2018, ndlr) depuis son arrivée.
H.B. Je pense que l’Opéra est, lentement mais sûrement, en train de s’ouvrir et de s’adapter à la société. Il en est de même pour ce qui est de l’ouverture à d’autres styles de danse. Aurélie Dupont, qui a été directrice de la danse pendant 6 ans jusqu’en juillet 2022, a mis un vrai coup de neuf en faisant rentrer des chorégraphes très contemporains comme Crystal Pite qui ont été salué par la critique.

M. Avez-vous des projets à venir en dehors de l’Opéra ?
J-L.Q. De manière générale, on a pas trop le temps de développer des projets perso ! Cela dit, on devrait bientôt mettre en ligne sur la plateforme de l’Opéra de Paris un court-métrage d’une pièce dansée qu’on a créé ensemble pendant le confinement. Ça devrait sortir très prochainement.

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TALENTS : HÉLOÏSE BOURDON ET JÉRÉMY-LOUP QUER @ BRULIER COMMUNICATION. PHOTOGRAPHE : VOLKER CONRADUS. STYLISME : LÉA SANCHEZ. COIFFURE : GABRIEL DE FRIES. MAQUILLAGE : AURELIA LIANSBERG @ WISE & TALENTED. ASSISTANT PHOTOGRAPHE : DANIEL ANTROPIK. DIGITECH : NINA LINNEMANN.