Pantalon cargo en cuir, Boxer en popeline, Chaînes en métal doré, Collier « G-Cut » en métal doré, Boucle d’oreille « G Stud » en métal argenté Givenchy

Révélé par le film Mektoub my love, Shaïn Boumedine, acteur solaire de 26 ans, incarne dans Pour la France un soldat tué pendant une séance de bizutage à Saint-Cyr. Un rôle politique et bouleversant.

Parfois, le cinéma débarque dans votre vie par effraction. C’est ce qui est arrivé à Shaïn Boumedine. En 2016, le jeune montpelliérain a 20 ans quand il accompagne un ami à un casting. Par jeu, il laisse lui aussi ses coordonnées. Il tape dans l’œil des équipes de casting, qui lui proposent de faire de la figuration dans le prochain film d’Abdellatif Kechiche. Et finalement, le réalisateur lui offre le rôle principal de Mektoub My Love. Une opportunité qui change sa vie : le film crée l’émoi à Cannes, et la carrière d’acteur de Shaïn est lancée. Cette année, il figure parmi la litanie de noms des Révélations des César pour son rôle dans Placés de Nessim Chikhaoui : un jeune éducateur bousculé par une jeunesse abîmée. Son regard noir, son jeu animal, son intensité… En quelques minutes, on entrevoit ce que les réalisateurs lui trouvent. Mais c’est ceux qui l’ont dirigé qui en parle le mieux. Comme Rachid Hami qui dit avoir choisi le jeune comédien “à l’instinct” pour jouer dans son nouveau film Pour la France. Il voit en lui “un acteur d’une grande maturité et d’une vraie noblesse. Mais il y a aussi chez lui une dureté et une intransigeance”. Avant que leurs routes se croisent, des liens invisibles reliaient déjà les deux hommes : “J’ai commencé ma carrière dans le cinéma en jouant dans L’Esquive de Kechiche, souligne le réalisateur. D’une certaine manière, avant même de nous rencontrer, il y avait un lien de fraternité entre nous. Shaïn est devenu un petit frère.” Dans Pour La France, Shaïn joue le rôle d’un élève officier tué lors d’un bizutage à Saint-Cyr. De ce fait divers très personnel (ce drame, c’est l’histoire du frère du cinéaste, ndlr), le réalisateur a taillé un très beau film sur la fratrie et le deuil. Du sur-mesure pour le jeune acteur au talent brut, qu’on adore voir grandir devant la caméra.

MIXTE. Le cinéma t’est vraiment tombé dessus par hasard ou est-ce une légende qu’on a créée autour de toi ?
SHAÏN  BOUMEDINE. Non,  c’est vrai. Je suivais un BTS Travaux publics à Nîmes lorsque j’ai croisé le chemin de Kechiche à l’été 2016. Son équipe m’a fait passer des essais. Je faisais des allers-retours entre Sète et Montpellier où j’étais serveur pour me faire de l’argent. Au fur et à mesure, j’ai été de moins en moins serveur et j’ai passé de plus en plus de temps avec l’équipe du film. Au départ, je devais seulement faire un peu de figuration. Puis on m’a parlé d’un second rôle avant de me dire : “On aimerait que tu joues Amin, le personnage principal.” J’ai appelé mon école pour leur dire que j’allais rater la rentrée. Finalement, je n’y suis jamais retourné…

M. Ce saut dans un univers que tu ne connaissais pas ne t’a pas fait flipper ?
S. B. J’ai pris ça comme une expérience. Je me suis dit : “On verra si ça dure six mois ou un an.” Mes parents, eux, n’ont pas compris. J’ai quasiment disparu du jour au lendemain. J’étais à Sète, à 30 minutes de chez moi, mais je ne leur donnais quasiment plus de nouvelles. Ils sont très loin de ce monde-là. Je viens d’un milieu modeste, même si je n’ai jamais manqué de rien. Mon père travaillait pour les transports de Montpellier, ma mère dans un centre aéré… Aujourd’hui, ils sont en confiance. Et puis, je ramène un peu d’argent à la maison. Mais je leur rappelle que tout peut s’arrêter du jour au lendemain. Ça, ils ont tendance à l’oublier : ils voient que je suis heureux et que je kiffe ce que je fais.

Manteau en laine, Veste structurée en laine et mohair, Pantalon déchiré en laine, Baskets « Runner TK-MX » en mesh et cuir synthétique, Chaînes en métal doré Givenchy. 
Veste et Pantalon dechiré en laine, Short cycliste en maille côtelée, Baskets « Runner TK-MX » en mesh et cuir synthétique, Collier « G-Cut » en métal doré Givenchy.

M. À travers Mektoub My Love, Abdellatif Kechiche voulait raconter sa jeunesse. Qu’as-tu pu apporter au personnage ?
S. B.
Dans ce personnage d’Amin, il y a un peu de moi et un peu d’Abdellatif. On l’a construit ensemble à partir des éléments qu’il me confiait sur sa jeunesse. On a aussi fait tout un travail de recherches dans les années 1990. On est allés dans les archives de la ville de Sète récupérer des journaux de l’époque… Je me suis retrouvé avec un appareil photo argentique entre les mains, et ça m’a fasciné. Abdellatif a intégré ça à l’histoire, même si la description du personnage était déjà très complète dans le scénario : passionné de peinture, de sculpture, de philosophie… N’étant pas acteur, j’avais besoin de ça pour faire naître Amin.

M. Tu ne te sens pas “acteur” ?
S. B. 
C’est vrai que j’ai du mal à dire que je suis acteur. Quand on me demande ce que je fais dans la vie, je réponds : “Je travaille dans le cinéma”. Mektoub est sorti en 2018 et depuis, j’ai peu tourné. Donc oui, je me vois encore comme un débutant. Je sais que des tas de jeunes comédiens rêvent de ce boulot. C’est un métier assez mystérieux. Avec un peu de chance, de travail et de “mektoub” (de destin, ndlr), tu peux y arriver. Parfois, être là, au bon moment, ça peut suffire. Parfois, non. Moi je rêvais de faire totalement autre chose, et ça n’a pas marché…

M. D’être footballeur professionnel, c’est ça ?
S. B.
Exactement. Le football, c’était mon rêve. Mais c’est terminé. Je sors d’une opération du ménisque. Je sais que je ne deviendrai jamais pro, mais je garde l’espoir qu’un jour mon corps m’autorise à participer à des petits championnats…

M. Tu as peur que le métier d’acteur s’arrête ?
S. B.
Bien sûr. Je n’ai pas d’autres projets de films après Pour la France. Je vais sûrement retourner travailler à Montpellier, probablement faire le coursier à vélo. C’est conseillé pour ma rééducation… Et j’ai besoin de payer mon loyer !

M. Dans Pour La France, tu joues le rôle d’un soldat tué lors d’un bizutage à Saint-Cyr. C’est une histoire inspirée de celle du frère du réalisateur Rachid Hami. Ce n’était pas trop pesant à jouer ?
S. B.
Sur le tournage, on a essayé de rendre ça le plus léger possible. De rester dans du cinéma, du jeu. Sans avoir à être prisonniers de la véracité des faits. Dès le départ, Rachid a mis un point d’honneur à nous diriger comme il l’aurait fait sur n’importe quel projet.

Sweat à capuche en jersey et maille, Pantalon en laine, Collier « G Stud » effet perles Givenchy.
Manteau et Pantalon en laine, Veste structurée en laine et mohair, Baskets « Runner TK-MX » en mesh et cuir synthétique, Chaînes en métal doré Givenchy.

M. Dans Mektoub My Love, tu jouais un jeune homme radieux et léger. Cette fois, tu campes un garçon dur, habité par l’envie de servir son pays. Tu choisis tes rôles en réaction au précédent ? C’est une façon de montrer l’étendue de ton jeu ?
S. B.
C’est plutôt les rôles qui me choisissent (rires). Mon travail, c’est de faire une confiance absolue au réalisateur et d’essayer de le nourrir. C’est vrai que c’est un personnage particulier : un militaire droit dans ses bottes, mystérieux, taciturne. Avec son frère, joué par Karim Leklou, même si tout les oppose, ils se complètent.

M. Le film soulève aussi la question du racisme au sein de l’armée, puisque cet étudiant officier est d’origine maghrébine…
S. B.
Dès qu’on s’empare d’une question de société, d’un tel drame, il y a forcément une dimension politique. Mais le but, je crois, était d’exposer les faits et de laisser les gens se faire leur avis. Le piège, c’est de se dire : “Regardez. Il a été tué parce qu’il était d’origine arabe”. On parle d’un homme français prêt à mourir pour son pays.

M. Quelle était ta cinéphilie avant de devenir acteur ?
S. B.
Harry Potter ? (Rires). J’ai peu de références, en fait. Je me souviens avoir été touché par des films populaires comme Forrest Gump. Je me demandais naïvement à quel point Tom Hanks ressemblait à son personnage dans la vie. Mon jeu, je le construis au contact des réalisateurs, des acteurs et des actrices avec qui je travaille. J’aime l’inconfort. Ce qui me plaît, c’est d’aller chercher de nouvelles manières de travailler. C’est peut-être pour ça que j’admire des acteurs comme Tahar Rahim. Il est tellement investi, si intense. Je donnerais tout pour avoir une carrière semblable à la sienne. Et quand je joue avec quelqu’un d’aussi talentueux que Karim Leklou, j’ai la sensation de grandir.

M. Qu’as-tu appris de lui, justement ?
S. B.
Karim est très précis, très pointilleux. Il aime aller toujours plus loin, échanger, réfléchir sur les rôles (Un prophète, Le Monde est à nous, la série Hippocrate, ndlr). Dans Pour la France, il joue mon grand frère et il s’est un peu comporté comme tel avec moi sur le tournage.

Sweat à capuche en coton, Lunettes de soleil « G Cut » en acétate, Boucle d’oreille « Lock » en métal argenté Givenchy.
Sweat à capuche en jersey et maille, Pantalon déchiré en laine, Baskets « Runner TK-MX » en mesh et cuir synthétique, Collier « G Stud » effet perles Givenchy. 

M. Dans la presse, on parle souvent de toi comme d’un garçon “solaire”, mais les réalisateurs soulignent chez toi un côté plus sombre.
S. B.
Solaire, ça me convient. Et c’est peut-être une façon de pointer mon côté sudiste. J’espère être quelqu’un de joyeux et de chaleureux. J’ai vraiment du mal avec les compliments. Je préfère qu’on me dise sur quoi je dois travailler. Dans le métier, les gens ont vu Mektoub My Love et ils ont vu en moi quelque chose qui sûrement me dépasse : une possibilité dans le jeu, une capacité à aller chercher certaines émotions.

M. Tu complexes de ne pas avoir fait d’école de comédie ?
S. B.
 Non. Je pense que c’est ce que les réalisateurs aiment chez moi. Ça me manque peut-être lorsque je dois passer des castings. Je déteste ça. C’est pas le rejet, le problème, c’est l’exercice même du casting. Quand on suit des cours de comédie, je pense qu’on apprend à travailler sur un texte brut, à jouer contre un mur blanc ou à faire une vidéo chez soi en se filmant avec son téléphone… Moi, je suis un pur produit de l’école Kechiche où l’on apporte son vécu. On te donne une ambiance, et ton travail, c’est d’essayer de ne pas tricher. Acteur, c’est un métier compliqué. Il faut savoir ce qu’on est prêt à donner, rester en maîtrise mais aussi savoir lâcher prise. Bon, on fait du bien, mais on ne sauve pas des vies non plus.

M. Un film comme Pour la France peut entraîner une prise de conscience, non ?
S. B.
 C’est vrai. Dans Placés, je joue un éducateur dans un foyer. Je suis entouré de plein de jeunes acteurs formidables, débutants pour la plupart. J’ai eu beaucoup de retours de jeunes qui vivent en foyer ou d’éducateurs qui m’ont dit à quel point ça leur fait du bien de voir leur métier, leur vie, montré·e·s de cette manière.

M. Le thème de ce numéro, c’est l’euphorie. L’idée d’aborder le futur par le prisme de la joie malgré un contexte délétère et anxiogène. As-tu des craintes ou gardes-tu un peu d’insouciance ?
S. B.
J’essaie de rester positif, mais quand je vois le désastre écologique vers lequel on va, c’est difficile. Dans le Sud, le réchauffement climatique est visible à l’œil nu. Depuis tout jeune, je vais skier dans une station des Pyrénées. La dernière fois que j’y suis allé, il n’y avait quasiment plus de neige… J’essaie de faire ma part, de manger local, de multiplier les petits gestes écologiques, mais j’ai conscience qu’on aura peut-être moins de liberté qu’avant et je l’accepte.

M. Au fait, tu n’as pas d’accent. As-tu fait un effort pour le perdre ?
S. B.
On m’a très vite fait comprendre qu’il fallait que je le perde. Aujourd’hui, on commence à laisser les comédiens vivre dans le Sud, mais il y a quelques années, c’était mort. Soit tu gommais ton accent, soit tu n’avais pas le rôle. Mais dès que je suis avec mes potes, il revient tout de suite. Et lorsque j’arrive à Paris, je le perds. C’est comme un déclic après 3 h 30 de train. Je viens à Paris facilement, mais je n’ai pas envie d’y vivre. Montpellier est une ville paisible, entre la mer et l’arrière-pays des Cévennes. Je prends ma moto et en cinq minutes, je suis seul au monde. Et j’ai besoin de ça. Je suis très solitaire.

Chemise longue en popeline, Pantalon cargo en cuir, Baskets « Runner TK-MX » en mesh et cuir synthétique, Collier « G Stud » effet perles Givenchy.

PHOTOGRAPHE : Bojana Tatarska / STYLISME : Céline Laviolette / TALENT : Shaïn BOUMEDINE @ BBR Image / GROOMING : Cyril LANOIR @ Wise & Talented / DIGITECH : Rebecca LIEVRE @ Imagin Productions / ASSISTANT STYLISTE : Alexandra NICOLAÏDIS

Cet article est originellement paru dans notre numéro spring-summer 2023 EUPHORIA (sorti le 27 février 2023).