Fondatrice de The Care, un e-shop de cosmétiques de niche provenant du monde entier et dont elle assure la curation, Yume Hadida met au service du self care sa sensibilité, son sens du partage et sa double culture franco-japonaise.

Avant de devenir une sorte de nouvelle gourou de la beauté qui sélectionne des cosmétiques de marques internationales engagées au niveau éthique pour ensuite les distribuer en ligne ou dans des pop stores éphémères au travers de son projet The Care, Yume Hadida a eu mille vies. Alors qu’elle travaille à Paris dans l’événementiel mode, pour le salon ­Tranoï, et qu’elle a lancé la Kid Week (une sorte de fashion week consacrée à la mode enfantine, ndlr), la pandémie de Covid-19 vient tout arrêter et l’oblige à mettre sa société en pause. Partie vivre à Aix-en-Provence avec sa famille pendant le confinement, elle se rend compte alors à quel point sa vie parisienne est une course effrénée dictée par le travail qui ne lui permet pas de prendre assez de temps pour elle. Résultat, ce “déménagement forcé” et ce retour à soi lui donnent le courage de suivre la passion qui l’a toujours animée : le skincare et la clean beauty. Un attrait cosmétique qui lui vient sans doute de son histoire douloureuse et compliquée avec sa propre peau puisqu’à l’adolescence, cette période où “on ne se sent pas forcément bien dans son corps”, Yume fait face à un grave problème d’eczéma qui la pousse à se tourner vers des traitements naturels lors d’une retraite au Japon, son pays natal. De sa culture nippone et de son histoire familiale riche et intense, elle retient aujourd’hui l’importance du soin de soi et le sens de l’harmonie. Rencontre.

MIXTE. Quel est votre premier souvenir lié à la beauté et au bien-être ?
YUME HADIDA.
Le tout premier souvenir qui me vient en tête, c’est celui de ma mère, qui était mannequin, prenant soin d’elle. J’adorais la regarder suivre sa routine beauté, observer ses rituels de massage, de maquillage…

M. Vous êtes japonaise et vivez en France depuis trente ans, comment combinez-vous ces deux cultures pour construire votre vision actuelle ?
Y. H. Je suis arrivée à l’âge de 15 ans et je ne parlais pas du tout la langue. Aujourd’hui, à 45 ans, j’ai déjà passé plus de la moitié de ma vie en France. Quand je rentre au Japon, ma sœur me dit “tu te comportes comme une étrangère”, alors que j’ai l’impression d’être profondément japonaise, notamment dans ma façon de prendre soin de moi. Je suis mes valeurs japonaises, dont la base est l’équilibre entre le corps et l’esprit. Aujourd’hui, cette approche holistique qui, selon moi, est une philosophie typiquement nippone, est devenue à la mode. Mais au-delà des tendances, le bien-être mental doit rester le plus important.

M. Comment en êtes-vous arrivée à fonder The Care ?
Y. H.
Mon tout premier déclic remonte à l’adolescence. J’ai une peau atopique et plus jeune, j’avais un problème d’eczéma sévère qui s’est aggravé quand je me suis installée à Paris, sûrement à cause du stress, du changement de climat. À tel point que je suis rentrée au Japon pour me faire hospitaliser dans une clinique spécialisée. J’avais déjà consulté beaucoup de médecins sans succès et à ce moment, ma mère a entendu parler de ce professeur renommé qui pratiquait au fin fond de la campagne, dans le sud du Japon. J’avais 16 ans, j’y suis partie seule pour une semaine et ça a changé ma vie. C’était une sorte de retraite pendant laquelle j’ai suivi un traitement cutané mais aussi par voie orale, avec des compléments alimentaires à base de produits naturels, des algues, des ferments de soja, du son de riz. Je suis restée quelques jours là-bas et j’en suis ressortie métamorphosée. J’ai ressenti le pouvoir des soins naturels et de cette approche globale, holistique, consistant à traiter l’intérieur et l’extérieur. J’ai retrouvé ma belle peau, et ce, sans cortisone.

M. Il vous a fallu du temps pour trouver des produits naturels ?
Y. H.
À l’époque, il n’y avait pas de clean beauty en France. Tout ce qu’on avait, c’était des produits pharmaceutiques. Aujourd’hui, on apprend que même ces marques-là ne contiennent pas que des bons ingrédients, voire que certains sont indésirables. En général, en Occident, on traite les peaux atopiques avec de la cortisone. Or cela peut être dangereux de l’utiliser sur le long terme car il y a des effets rebond comme un affinement de la peau et tout un tas d’effets secondaires. Si on l’utilise notamment de façon chronique, l’eczéma peut réapparaître de plus belle.

M. Comment sélectionnez-vous les produits que vous vendez ?
Y. H.
L’idée, c’est de trouver des produits clean mais aussi efficaces. Je teste tous les produits que je vends et si je ne suis pas convaincue, je ne les retiens pas. L’efficacité mais aussi la désirabilité des produits sont importantes. Il faut que ça sente bon, que la texture soit bonne, que le packaging plaise… Ils doivent procurer autant de plaisir quand on les utilise que quand on les voit dans sa salle de bains.

M. En quoi votre discipline et l’univers de la beauté holistique vous permettent d’exprimer votre personnalité ?
Y. H.
Je pense que l’offre de The Care représente mes valeurs cosmétiques, mais c’est aussi le fait de partager qui me motive et me fait du bien. J’aime voir que les choses que je recommande aux autres les rendent heureux·ses. Souvent, des client·e·s m’écrivent pour me remercier et je leur donne des conseils d’utilisation sur mesure en message privé. Je pense d’ailleurs lancer une masterclass cette année, dans le prolongement de ces échanges virtuels, mais cette fois en physique.

M.  Vous êtes donc active sur les réseaux. Récemment, TikTok a annoncé vouloir bannir les filtres beauté pour ses utilisateur·rice·s mineur·e·s alors que la génération Alpha est connue pour être obsédée par l’apparence. Que pensez-vous de cette mesure ?
Y. H.
Mon fils, âgé de dix ans, a des copains qui ont déjà des comptes TikTok ou Instagram. Le risque, c’est de ne vivre qu’à travers ça. Ça me semble hyper ­dangereux, particulièrement en ce qui concerne les filtres. Ça dévalorise la beauté naturelle et donne l’impression qu’il faut se conformer aux standards. C’est ce qu’il se passe aussi chez les jeunes et les adultes qui ne peuvent plus se passer de filtres, je trouve ça ­tellement triste. Cela dit, le côté positif des réseaux, c’est qu’ils ont permis de démocratiser le skincare, notamment tous les gestes liés au nettoyage que les gens ne connaissaient pas.

M. Comment peut-on parler de beauté et de self care aux plus jeunes ? Quels sont les messages à faire passer ?
Y. H.
Je comprends les personnes qui ne sont pas épanouies parce qu’elles souffrent de complexes qu’elles veulent à tout prix corriger. C’est facile de dire “il faut s’aimer”, surtout aux enfants ou aux adolescent·e·s, mais je pense qu’on doit vraiment les aider à découvrir leur propre beauté, car celle-ci est unique. C’est notre rôle de le faire, en leur expliquant comment se sentir bien. Ça peut passer par le soin de la peau, notamment pour les enfants qui souffrent d’acné par exemple. Il faut leur expliquer qu’ils ne doivent pas chercher à ressembler à quelqu’un d’autre, leur apprendre comment affirmer leur propre identité. Je pense que c’est la seule manière de parvenir à s’aimer.

M. Il y a une dimension rebelle dans l’âme d’enfant, une forme d’insolence qui fait fi des codes sociaux des adultes. Quels gestes d’enfant aimeriez-vous pouvoir réhabiliter dans votre quotidien ?
Y. H.
J’apprécie leur insouciance. Et ce que j’aimerais faire si je me mettais dans la peau d’un enfant aujourd’hui, c’est pouvoir parler à tout le monde sans préjugés, sans me soucier des codes socioculturels, sans savoir forcément à qui j’ai affaire. Comme ces enfants qui ne sont pas impressionné·e·s de prendre la parole devant un·e dirigeant·e politique. J’ai par exemple récemment retrouvé une vidéo de mon fils petit, dans laquelle il s’adresse au président Macron et lui demande d’agir contre la pollution. C’est cette forme d’audace qui me plaît.

M. À ce propos, le thème de notre numéro est “We will always be those kids”. Que pensez-vous avoir gardé de votre âme d’enfant ?
Y. H.
Je ne me prends jamais au sérieux. Enfant, j’étais une weirdo et je pense avoir gardé toutes mes petites bizarreries, que je partage d’ailleurs avec mon mari. J’ai grandi au Japon, dans une école japonaise, et là-bas, c’est très discipliné. On apprend aux enfants à ne pas se faire remarquer, à ne pas être différent·e, à ce que rien ne dépasse. En collectivité, il faut être discret·ète, et penser aux autres avant soi. Je devais porter l’uniforme de l’école, mais comme je ne voulais pas m’habiller comme les autres, je le trafiquais. Il fallait aussi avoir les cheveux aux épaules à l’entrée au collège, mais j’y suis allée avec mes cheveux longs parce que je n’avais pas envie de les couper… Mes parents m’ont beaucoup aidée en me laissant affirmer ma personnalité. Ils avaient la bonne ouverture d’esprit, contrairement à d’autres parents japonais plus classiques, et plus conservateurs.

M. Quel conseil aimeriez-vous donner à votre “moi enfant” ?
Y. H.
J’aurais envie de lui dire : “Crois en toi, ne laisse pas les autres te dire quoi faire ou essayer de te changer.” Je dirais à cette enfant qu’elle est unique et que c’est la différence qui fait sa force. Je lui dirais aussi de se respecter, qu’elle est précieuse et importante. “N’attends rien des autres, c’est toi qui choisis ta vie. Tout ce qui va t’arriver, ce ne sont que des obstacles et des expériences fait·e·s pour te rendre plus forte, plus profonde et plus intéressante”. Ces conseils, je les prodigue aujourd’hui à mon fils.

Plus d’infos sur thecare.fr

Cet article est originellement paru dans notre numéro Spring-Summer 2025 WE WILL ALWAYS BE THOSE KIDS (sorti le 25 février 2025).