Cette saison, avec les sorties controversées du “trash pouch” chez Balenciaga (un sac à main dispendieux littéralement inspiré, comme son nom l’indique, d’un sac poubelle) et de la collaboration Gap X Yeezy vendue en boutique dans des grands sac à ordure, la mode voudrait presque nous faire croire que les déchets, ça en jette. Au point d’alimenter dangereusement une certaine esthétisation du paupérisme. Bienvenue dans l’énième saison mode de poubelle la vie.

Si vous avez été surpris.e récemment par votre crush en train de sortir vos poubelles complètement débraillé.e avec une vieille paire claquettes aux pieds, n’ayez pas honte car vous êtes pile dans la tendance. Oui, les déchets et les ordures sont à la mode. Ils sont même cool. Et qui dit cool, dit cher. La preuve avec Balenciaga qui cet été est devenu virale en sortant à la vente ces fameux sacs à main “sacs poubelle” (ou trash pouch pour être exact) aperçus en mars dernier lors de son défilé automne-hiver 2022/23. Et ce pour la modique somme de 1800 euros. Puis, c’est le rappeur Kanye West qui a décidé de présenter sa nouvelle collab Yeezy x Gap en boutique dans des grands sacs à ordure rempli de tas de fringues. À l’évidence, cette esthétique poubelle a provoqué un tollé : dans les médias, Kanye West a été accusé d’être insensible à la condition des sans-abris (connu.e.s pour transporter leur vêtements de la sorte) et sur les réseaux sociaux, Balenciaga s’est mangé de la part des internautes une série de memes plus inventifs les uns que les autres dénonçant l’absurdité de la situation.

Le trash pouch de Balenciaga

Cela dit, rien de vraiment nouveau ni de choquant dans le petit monde de la mode puisque cette dernière nous a habitué.e.s depuis des dizaines d’années à promouvoir le trash ainsi qu’une certaine esthétisation du paupérisme, (polémiques et problématiques comprises à chaque fois — oui, l’histoire se répète). Rappelez-vous en 2000, pour sa collection Dior Haute Couture, John Galliano s’était véritablement inspiré de la population des sans-abris parisiens, qu’il avait repéré.e.s et observé.e.s en faisant son jogging le long de la Seine. Résultat, on avait eu droit à des robes faites d’imprimés journaux, un modèle poussant un caddie sur le catwalk, un autre tenant un sac de supermarché en plastique accessoirisé avec des bouteilles de whisky J&B et des bouchons de bouteilles. Puis il y a eu aussi Lanvin qui en 2013 avait fait défiler ses mannequins avec un sac à main directement inspiré des sacs plastiques noirs qu’on met normalement dans sa poubelle, Raf Simons en 2016 avait montré des pulls en laine troués pour son show automne hiver 2016 tout comme Moschino pour la même saison qui avait créer des robes brulées et souillées. Ainsi, tout comme les présentoirs des sacs poubelles Yeezy X Gap et le trouch bag de Balenciaga aujourd’hui, ces créations controversées avaient alors déclenché un petit scandale avec quelques réactions vigoureuses dénonçant une version déplaisante, classiste et récupératrice de la pauvreté et de la misère.

Merchandising et set design de la collection Yeezy x Gap

Cependant aujourd’hui, il semble de plus en plus difficile de laisser passer ces actions comparées aux saisons précédentes, tant la mode ces dernières années a été bouleversée, éduquée et durablement changée en étant quotidiennement confrontée par son public et par ses acheteurs aux diverses problématiques sociétales liées à la diversité, au racisme, à l’appropriation culturelle et au classisme.  Mais si au-delà du second degré et du goût pour la provocation si cher aux créateurs de mode, on pouvait y voir une sorte d’auto-critique inconsciente de la part de l’industrie elle-même ? Car finalement esthétiser la misère sociale et glamouriser des déchets en les vendant à des prix de luxe fait étrangement sens dans un monde dans lequel le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté ne cesse d’augmenter (tout comme l’inflation) et dans lequel l’industrie textile est désormais connue pour être l’un des secteurs les plus polluants de la planète et produisant le plus de déchets. On ne pourra décemment pas dire que cette fois-ci la mode est à côté de la plaque et qu’elle n’est pas le reflet de la société.