Texte :  Florence Vaudron

À 27 ans, la designer New Yorkaise Nicole McLaughlin est une actrice à part entière de l’upcycling. Ses créations, pour la plupart réalisées à partir de déchets sollicitent aussi bien notre conscience écologique que notre sens de l’humour.

Un soutien-gorge conçu avec deux croissants, un gant en baguette de pain, une chaussure imaginée à partir d’un sac d’orange … non ce n’est pas la vitrine d’une énième boulangerie sans gluten du 10e arrondissement de Paris mais les créations de Nicole Mcaughlin, la designer qui a fait de la durabilité le centre de son engagement et de son travail. La New Yorkaise pousse à l’extrême le concept d’upcycling, action qui consiste à récupérer des matériaux ou anciens vêtements pour les transformer en un vêtement de qualité supérieure. Elle utilise aussi bien des vêtements de seconde main que des équipements de sport, des emballages, ou même certains aliments, comme les viennoiseries (yummy !). Ses créations sont éphémères et se volatilisent une fois photographiées. Seuls ses quelques 600 000 abonnés Instagram peuvent apprécier la créativité et le second degré de la designer qui a fait de son compte une sorte de véritable musée digital.

La démarche créative de Nicole prend d’abord racine dans un profond amour et respect pour la nature et les grands espaces, sa toute première passion et, sans trop de surprise, le point commun de beaucoup d’activistes engagés dans la protection de l’environnement. La mode, sa seconde passion, est arrivée un peu plus tard dans sa vie. L’histoire commence alors qu’elle occupe un poste de graphiste dans une grande entreprise de vêtements de sport, la jeune femme commence littéralement à “fouiller dans les poubelles”. Nicole est interpellée, pour ne pas dire choquée, par la quantité de matériaux qui sont jetés sans qu’on se soit poser la question de leur donner une seconde vie ou non. La jeune feme commence petit à petit à passer son temps libre à redonner vie à ces “déchets”, puisant ses ressources dans les trashs de son lieu de travail, mais aussi à l’extérieur, dans les rues de New York. La démarche de Nicole part d’un challenge : “using something readily available rather than creating more waste”. Transformer plutôt que consommer. Ainsi, des bonnets assemblés ensemble deviennent un bermuda, des balles de tennis, ou encore plusieurs gourdes, une chaussure complètement loufoque. Avec Nicole McLaughlin, le vêtement est esthétique et presque élaboré comme une œuvre d’art, mais il est aussi fonctionnel et utilitaire, fidèle à sa fonction première. Son flux instagram abonde d’ailleurs de marques issues de l’outwear ou du workwear connus pour leurs matières de très bonne qualité. On retrouve ainsi le centenaire de l’outdoor LL.Bean, le vêtement de travail chez Carhartt ou encore la polaire californienne de Patagonia. Cette saison, Nicole espère faire davantage passer son message grâce à un partenariat avec LG Electronics. Le fabricant d’appareils électroménagers et la créatrice ont annoncé fin septembre une collaboration une collection capsule en édition limitée comprenant des vêtements, des accessoires et des articles ménagers uniques entièrement fabriqués à partir de vêtements « indésirables » collectés dans le cadre de la campagne Second Life de LG.

La jeune femme trouve ses matières dans les poubelles de New York ou bien dans les friperies de la ville et celles qu’on trouve en ligne, comme Depop. “The trash in New York is inspiring”, nous confie Nicole, “It isn’t great to see but they’re things that inspire my next projects”. On aurait presque envie d’en faire de même et descendre dans la rue fouiller dans la première poubelle, surtout quand on sait que des marques comme Jacquemus, Arc’teryx ou encore Adidas ont récemment collaboré avec la designer. Le créateur français Simon Jacquemus lui a laissé carte blanche pour réinterpréter son célèbre sac chiquito qu’elle a revisité en soutien-gorge, alors que la marque outdoor Arc’teryx l’a désigné comme ambassadrice et lui a confié le soin d’animer des ateliers d’upcyling à partir de cet automne où les invités auront l’occasion de créer des pièces uniques à partir de leurs propres déchets.

Si on s’imagine mal crapahuter dans les rues des grandes villes ou bien faire du vélo plus de 5 minutes d’affilée avec aux pieds des chaussures en volants de badminton, Nicole McLaughlin réussit cependant à éveiller notre curiosité sur le concept même de réutilisation et de revalorisation des objets que nous possédons. Et si le cuir de ce sac que vous regardez du coin de l’œil et ne supportez plus à votre épaule pouvait vous servir à quelque chose ? Apprécier les objets que l’on possède plutôt que de toujours jeter notre dévolu sur une nouvelle chose, réintroduire de la nouveauté dans ce qui est sous notre nez, c’est là le coeur du travail de Nicole McLaughlin qui s’attaque à la culture du “Buy It Now”, qui n’a fait qu’exploser ces dernières années avec la fast fashion et des entreprises comme Amazon. “We need to do more to move consumers away from the “Buy It Now” mentality and teach them how to appreciate what they have”, déclare Nicole. Pour ce faire, la designer a choisi de capter son audience avec son sens de l’humour. Difficile en effet de ne pas sourire en regardant la “shoeshi”, claquette ornée de sushis et en imaginant le succès qu’on aurait en débarquant en soirée avec. “I incorporate fun into everything I do, so the visual you see is easily digestable. I’m looking to engage with people and create a conversation around sustainability rather than scare them away”, nous dit Nicole. Quand on l’interroge sur l’impact de la pandémie de Covid-19 sur elle et son travail, Nicole McLaughlin se dit chanceuse d’avoir pu continuer à travailler de chez elle et avoue que cette période plus qu’étrange, l’a amenée à repousser ses limites en restreignant ses ressources et donc on la contraignant à utiliser le minimum de matériaux à sa disposition.

Vous l’aurez compris, avec Nicole McLaughlin faire les poubelles n’aura jamais été aussi glam et fun. C’est une démarche aussi déroutante que créative qui semble s’ancrer depuis quelques temps dans l’univers de la mode. En effet, lors de l’édition 2020 du festival international d’Hyères, le styliste belge Tom Van der Borght recevait le Grand prix mode pour sa collection baptisée “7 façons d’être TVDB”. A base de cordes d’alpinisme, de serre-câbles, de tissus rebrodés de perles, les créations du designer belge sont puissantes, colorées, troublantes. A 42 ans, Tom Van Der Borght affiche la volonté de défier ce que la mode trouve désirable. Il remplace ainsi les matériaux de valeur, comme le cuir ou l’or, par des choses que l’industrie de la mode ne considère pas comme étant nobles et fabrique tout lui-même en mixant techniques classiques et matériaux futuristes, alternatifs ou de récup’. Sac réalisés à partir de peaux de poissons destinées à être jetées, de manteaux confectionnés avec des échantillons de fourrure végétale …

La démarche est la même que celle de Nicole McLaughlin : donner une seconde vie à des produits abandonnés et surtout, insuffler une nouvelle réflexion sur la haute couture en shiftant les modes de pensées de l’industrie de la mode. Nicole McLaughlin en a conscience, cette démarche s’apparente à un combat, car si certaines marques de luxe semblent avoir pris la mesure de la crise écologique et de la responsabilité de l’industrie de la mode dans celle-ci, il reste énormément à faire. Balenciaga, Miu Miu, Gucci, Marni, Louis Vuitton, tous ont pimpé une partie de leurs collection SS21 et FW21 avec des pièces vintages et issues de l’upcycling, enclenchant ainsi le début d’une véritable révolution. Si Nicole perçoit cela dans l’ensemble avec un bon oeil, elle s’inquiète aussi de la possibilité que les marquent fassent de l’upcycling un “marketing gimmick” et insiste sur la nécessité pour chaque marque d’avoir un plan et des actions sur le long-terme. “Make use of your deadstock fabrics and samples, look into creating a circular model or start a take back program. There are many ways to change and even small things can create a huge difference. You just need to start.” Créer, innover, sans entraîner un cycle de consommation infernal, c’est le grand défi que les marques de mode sont appelées à relever et pour lequel des talents comme Nicole McLaughlin sont de véritables inspirateurs.