Vicki Karaminas dresse un constat encore plus radical : “Aujourd’hui, les sous-cultures n’existent plus, elles ont toutes été cooptées par le mainstream.” D’après la chercheuse, spécialiste des liens entre mode et changements sociaux, professeure à l’Université de Massey en Nouvelle-Zélande et co-autrice de Queer Style (Bloomsbury, 2013), l’invention de masculinités et de féminités plus fluides représente le plus grand changement de paradigme culturel en matière de genre depuis les années 1960. Et sa récupération actuelle n’est pas forcément une mauvaise chose : “la mode est toujours à la recherche du prochain succès, et les créateurs sont comme des éponges qui s’imprègnent des mouvements sociaux qui les entourent, puis les mettent sur le podium et leur donnent en visibilité. On peut être cynique et se dire que ce n’est qu’une question d’argent, mais la même chose est arrivée avec Yves-Saint-Laurent dans les années 1960 : il ne s’est jamais revendiqué du mouvement, mais il s’est inspiré de la deuxième vague féministe pour créer un smoking pour femmes à la fois puissant, sexy et masculin.”
Love is love. But business is business
Devrait-on donc se réjouir de la plus grande visibilité offerte par des poids lourds de l’industrie à des enjeux que le reste de la société pourrait trouver secondaires ? Pour Mélody Thomas, tout n’est pas si simple. À propos d’Harry Styles, elle explique : “Il libère une manière de voir les choses, mais à qui est-ce que ça profite ? On est contents d’apprendre qu’il aime mettre des robes en couverture de magazines, mais on remarquera qu’il ne le fait pas dans la rue. C’est plus un exercice de style qu’un vrai enjeu identitaire. Je pense aux personnes trans ou non-binaires qui sont victimes de violences quotidiennes lorsqu’elles enfreignent les normes établies par la société, qui ne peuvent pas toujours porter des robes et espérer être acceptées.” Pour certains, une solution serait d’exiger de ces maisons qui “rendent hommage” un niveau de dévouement pour la cause similaire à celui de Jean-Paul Gaultier, investi depuis les débuts de sa carrière dans la lutte contre le VIH.