Comment sortir de son ombre sans sortir de soi ? Ou comment vivre avec l’ombre à l’intérieur de soi ? Parce que l’émancipation ne peut être une fuite. Fuir est une mauvaise idée ; se sauver dans la précipitation ne débarrasse de rien. Dans ma petite tour de campagne, quand j’avais 12 ans, je pensais que c’était la solution. Je ne pensais qu’à partir, de tout. De ce HLM, du quartier, du Sud, de ma condition sociale et de mon destin d’enfant d’ouvrier·ère·s immigré·e·s. La société ne voulait pas de nous, donc je ne voulais pas de moi. Je voulais tout recommencer à zéro, ailleurs. Me réinventer. Je sais aujourd’hui que c’était une erreur. Je sais désormais que l’on s’emporte toujours avec soi et que ce n’est pas une mauvaise chose, au contraire. On ne part jamais vraiment de l’endroit d’où l’on vient. J’ai emporté mon HLM, mon quartier, mon Sud, ma condition sociale et mon destin d’enfant d’ouvrier·ère·s immigré·e·s partout, comme ma lune.
L’ombre vient d’ailleurs. L’ombre qui me suit, depuis, est une projection qui vient d’en haut. Elle m’a été imposée et je fais avec. Même si je me débats, même si je cours, même si je l’ignore, même si je m’échappe, elle se rappelle à moi, elle me suit à la trace, visible même les jours ensoleillés, surtout les jours ensoleillés.
Ce que je suis n’est pas un problème. J’ai le droit d’être une femme, j’ai le droit d’être une Arabe. Je ne peux pas sortir de moi, je ne dois pas sortir de moi, c’est au monde, tel qu’il est, de sortir de lui-même, de semer son ombre.
J’écris dans l’obscurité pour qu’advienne cette lumière. Je n’écris pas dans un sombre désespoir mais dans une nuit lunaire. Enfant de ce croissant blanc, qui paraît si uniforme vu d’ici. J’ai pleuré son absence les soirs où j’avais besoin de lui car, comme pour les marées, son cycle régulier influence celui de mes larmes. Il est si réconfortant dans le silence d’une ville endormie.
Avez-vous déjà marché tard en sa compagnie ? Savez-vous comme il est plaisant de ne pas savoir où aller ? De braver cet interdit implicite et l’insécurité des rues assombries pour voler un bout de liberté. C’est si doux comme provocation. De s’amuser aussi à deviner les récits derrière les fenêtres éclairées. Penser aux gens qui s’aiment, malgré tout.