Nouvelle figure du R&B Lo-Fi aux USA, le chanteur hispano-américain Omar Apollo fait de la fluidité et de la mixité des genres sa signature musicale, mais aussi sa force. À l’image de toute une génération, bien décidée à faire voler les carcans en éclats.

À 24 ans, ce beau gosse originaire de l’Indiana, aux États-Unis, est en route pour une mission bien particulière : faire vibrer la planète au son de sa musique, inclassable, entre R&B Lo-Fi façon The Weeknd, acoustique folk version Jack Johnson et la vibe innocente d’un boys band des années 1990. Depuis l’époque où il enregistrait ses premières chansons dans sa chambre d’ado et devait taxer 30 dollars à ses amis pour payer les frais de diffusion des plateformes de streaming comme Spotify, Omar Apollo a fait du chemin. Deux EPs, Stereo en 2018 et Apolonio en 2020, des featurings avec des artistes aussi talentueux que lui comme Daniel Caesar, “Invincible” (février 2022), Kali Uchis “Bad Life” (novembre 2021) ou encore Joji sur “High Hopes” (septembre 2020), et un premier album, Ivory, sorti cette année en avril. Né de parents mexicains, Omar a refusé de choisir entre composer en anglais ou en espagnol, et s’est octroyé la liberté de chanter dans les deux langues, suivant ses désirs, tout comme son acolyte, la chanteuse colombiano-américaine Kali Uchis. Si ses fans se sont longtemps interrogés sur son orientation sexuelle, Omar, fervent défenseur des droits LGBTQIA+, semble refuser de se laisser enfermer dans une case et préfère surfer sur la fluidité, inscrite autant au cœur de son identité que dans sa musique.

 T-shirt en coton,  Boucle d’oreille en laiton finition argentée et en strass, Dior Men. Boucles d’oreilles, Personnel.
Chemise en coton, Chaussettes en cachemire, boucle d’oreille en laiton argenté, Dior Men. Boucle d’oreille, Personnel.

MIXTE. Tu es d’origine mexicaine, qu’est-ce que tu gardes de cette culture ?
Omar  Apollo. Mes parents sont nés à Guadalajara au Mexique, puis ils ont immigré aux États-Unis où ils ont mis du temps à obtenir la citoyenneté américaine. En fait, mon père a passé la frontière et est allé dans l’Indiana où une connaissance lui avait trouvé un boulot. Puis il est rentré au pays et il est tombé amoureux de ma mère, avec qui il est retourné aux États-Unis. Ils ont emporté la culture mexicaine avec eux. Il y a tout un tas d’usages chez les Mexicains américains qui diffèrent de ceux du Mexique, la langue, la nourriture. On parle le spanglish, avec des mots inventés. Au Mexique, il y en a qu’ils ne comprennent même pas ! J’ai deux frères et une sœur, je suis le petit dernier. C’est la position du souffre-douleur en général, mais j’ai été protégé par mes frères, notamment celui avec lequel j’ai habité ensuite à Los Angeles. Quand j’étais plus jeune, je ne suis pas allé beaucoup au Mexique. Maintenant, j’y vais très souvent. J’y ai encore plein de famille, j’y passe des vacances, j’adore la nourriture. Récemment, j’ai fait toutes les photos et le stylisme de mon album à Mexico City. Mon directeur artistique, Mexican Jihad, a longtemps été architecte là-bas. On s’est rencontrés via des amis communs.

M. Tu as commencé la musique comment ?
O. A. D’abord, j’ai dansé dans un groupe folklorique quand j’étais écolier. C’était marrant, j’adorais ça. Mes parents écoutaient beaucoup de musique mexicaine, Pedro Infante, Stella Nunes, Juan Gabriel, Los Panchos, des chansons romantiques. Dans toutes les régions du Mexique, il y a énormément de styles musicaux différents. Certains de mes cousins du Nord écoutent toujours la même musique que mes parents. J’ai appris à jouer de la guitare à l’église. Et puis, je me suis perfectionné en regardant les doigts des guitaristes. Quand YouTube est arrivé, j’ai découvert plein d’accords. Au début, il n’y avait pas de tutos, je mettais les vidéos sur pause et je copiais les positions. Aujourd’hui, j’écris toutes mes chansons à la guitare. Je sais un peu pianoter, mais il faut que j’apprenne vraiment parce que j’aimerais beaucoup savoir jouer du piano.

M. Quels musicien.ne.s t’ont influencé ?
O. A. Oh, il y en a plein ! Alicia Keys, Mariah Carey, Brandy, Destiny’s Child, Monica… En grandissant, j’ai découvert Aretha Franklin, Lauryn Hill, Joni Mitchell. En fait, je ressentais davantage les émotions que la musique. J’ai fait mes premiers pas dans le chant sur des titres mexicains des années 1950. Ensuite, j’ai commencé à mixer sur la radio de l’école, du R&B, de la soul. Et il y a eu Prince, qui m’a énormément influencé. Le chant en falsetto, comme lui, c’est ce que j’ai adopté en premier. J’avais peur de m’en servir, il m’a délivré de mes craintes. J’aime chanter plus fort aussi, mais pas trop déjanté non plus.

Col roulé et pantalon en laine et coton, Gants en brodés de bijoux en laiton et pierre de verre, Dior Men. Boucle d’oreille, Personnel.

 

Blouson en molleton de laine et coton, broderie fleurs héritage faite à la main, Dior Men. Boucles d’oreilles, Personnel.

M. Tu écris beaucoup de chansons romantiques. Quel est ton idéal amoureux ?
O. A. J’ai l’impression que je n’en sais trop rien. De la manière dont j’ai grandi, j’ai développé un rapport difficile à l’amour. J’en suis devenu envieux des autres garçons autour de moi. C’était vraiment dur à vivre, j’étais un gamin triste. En vieillissant, ça s’est amélioré. C’est pour ça que toutes mes chansons parlent du désir brûlant de quelqu’un d’autre. Maintenant, je commence à avoir de l’expérience, mais plus jeune je me sentais vraiment seul. Il y a plein de choses que je ne pouvais pas faire, ni dire. Ce qui m’a aidé, c’est de parler avec mes amis. Je me suis ouvert à eux quand j’avais à peu près 18 ans. J’étais stressé, mais ils ont été bienveillants. J’ai grandi dans un environnement très religieux. Certains membres de ma famille m’acceptent comme je suis, mais c’est toujours un processus en cours.

M. Ça a été dur de t’émanciper ?
O. A. J’ai déménagé à Los Angeles quand j’allais avoir 22 ans, il y a trois ans environ. J’avais déjà quitté le domicile familial et vécu chez trois ou quatre amis dans l’Indiana, dans un sous-sol, dans un grenier. Je composais de la musique dans toute sorte de logements, vagabondant de l’un à l’autre. Ce que je voulais, c’était continuer la musique. Ma famille était contre au début, on me disait : “Tu ferais mieux de faire des études”. Je n’avais pas l’intention de leur dire que je comptais devenir chanteur, mais ils m’ont demandé ce que je voulais faire, alors je n’ai pas menti. J’ai quand même essayé la fac, c’était l’enfer, j’ai tenu deux semaines ! De toute façon, je m’étais inscrit à quatre ou cinq programmes d’études générales et un seul m’a accepté, j’ai pris ça comme un signe ! Aujourd’hui, ils sont vraiment fiers de moi. Récemment, j’ai eu une affiche dans ma ville natale, ils m’ont envoyé des photos, ils posaient devant.

M. Ta carrière musicale a vite décollé…
O. A. Le fait est que j’ai toujours voulu chanter. Quand j’avais 16 ans, je m’enregistrais à l’iPad toute la journée, j’essayais de progresser. J’avais tenté plein d’autres choses avant : je dansais donc je voulais devenir danseur, j’ai aussi voulu dessiner, puis être chorégraphe. La musique, c’est le seul truc qui a marché ! Je me suis dit OK partons là-dessus. Mais maintenant, je pense que mon désir de poursuivre cette carrière est bien plus fort qu’auparavant. Au début, j’y allais un peu en me disant : “On verra bien”. D’abord, il y avait juste dix personnes à mes premiers concerts, puis trente et rapidement des centaines. En moins d’un an, je jouais devant 1 200 spectateurs. C’était parti, je n’étais plus jamais chez moi, mais sur les routes en tournée. Ça me rend heureux : je peux faire et chanter ce que je veux, m’occuper de ma famille. J’y mets toute mon énergie, parce qu’il est impossible d’obtenir quelque chose de viable sans travail.

Blouson en cuir vernis à broderie cannage, pantalon en coton et laine, Chaussures en cuir avec bijou en strass en laiton gravé et verre, Dior Men. Boucles d’oreilles, Personnel.
Blouson en peau retournée, pantalon en coton et laine, Collier « cd étoile » en laiton finition argentée et pierre de marbre, Dior Men. Boucles d’oreilles et collier, Personnel.

M. Tu as dit récemment vouloir des enfants. Avec ton rythme professionnel effréné, tu envisages ça pour quand ?
O. A.
À 36 ans. J’en veux quatre, pas plus. Bon, je pourrai me résoudre à moins, mais c’est sûr que je veux des enfants. Il faudrait que je trouve la personne avec qui les élever. J’aimerais vraiment, mais je ne crois pas au mariage. Je comprends qu’au moment d’avoir des enfants, s’appartenir l’un l’autre puisse apporter de la sécurité, mais dans la réalité, au bout de vingt ans, peut-être même dix, qu’en sera-t-il ? Peut-être qu’un jour quelqu’un m’inspirera le désir de me marier. Mon premier amour, quand j’avais 15 ans, aurait pu être cette personne… C’est super quand les gens se marient, mais vraiment je n’arrive pas à me projeter, peut-être par peur de m’engager. Si j’ai des enfants, je serai peut-être content d’avoir quelqu’un qui reste jusqu’à ce qu’ils aient 18 ans… Mais je ne suis vraiment pas sûr. Pas pour l’instant en tout cas.

M. Tu avais publié Apolonio en 2020, qui était une mixtape. Est-ce que tu considères Ivory comme ton premier album ?
O. A.
C’est sans aucun doute mon premier album, oui. J’ai vraiment donné le meilleur de moi-même. Maintenant, je sais ce que ça veut dire de faire un album. Celui-ci m’a pris trois mois. J’ai d’abord enregistré quinze chansons, que j’ai détestées. Ça ne sonnait pas comme je le souhaitais, je ne me voyais pas chanter ces morceaux sur scène, je n’ai pas aimé les répéter. Il y avait de l’intention, mais ça ne fonctionnait pas, je ne m’amusais pas. Il me restait trois mois pour recommencer. Je n’en ai gardé que quatre du premier essai. Au début, on m’avait imposé une quinzaine de producteurs, ce qui est beaucoup trop. J’ai donc recommencé seulement avec trois – Carter Lang, Teo Halm et Noah Goldstein – et mes musiciens, bien sûr, le bassiste Oscar Santander et le guitariste Many Barajas. J’ai composé comme j’en ai l’habitude, en commençant par la musique et les mélodies, après quoi viennent les paroles. J’y parle d’amour, parfois aussi d’argent ou de sexe. Et évidemment des anxiétés classiques qui accompagnent le fait de se sentir seul, de perdre des amis… Il y a chez moi un niveau d’anxiété assez élevé. C’est un problème sur lequel je travaille. Mes amis me disent toujours d’être plus relax et détendu, alors que moi justement j’ai l’impression de l’être, relax et détendu.

PHOTOGRAPHE : JOE LAI / Styliste : Florie VITSE / TALENT : Omar APOLLO / COIFFURE : Alexandra ADAMS / MAQUILLAGE : Natsuki ONEYAMA/ Assistant PHOTOGRAPHE : VI