Collection Prosopography, Printemps-Été 2020

En septembre dernier, Thebe Magugu était le premier designer originaire du continent africain à recevoir le Prix LVMH. Alors qu’il vient de sortir une collection capsule pour 24s (la plateforme digitale du Bon Marché), le créateur de 27 ans basé à Johannesburg semble bien décidé à ne pas prendre la grosse tête et à faire croître sa marque depuis la nation arc-en-ciel.

Johannesburg, le 19 mai 1955. Jean Sinclair, Ruth Foley, Elizabeth McLaren, Tertia Pybus, Jean Bosazza et Helen Newton-Thompson se retrouvent pour prendre le thé. À l’ordre du jour, un projet de réforme parlementaire qui permettrait au National Party d’augmenter son nombre de sénateurs et, à terme, de modifier la constitution sud-africaine. Résolues à combattre cette prise de pouvoir, les six femmes montent la Women’s Defence of the Constitution League. Un mouvement qui prendra plus tard le nom de Black Sash en référence aux écharpes noires qu’elles arborent lors de manifestations (signifiant ainsi leur deuil des droits constitutionnels retirés aux Noirs et aux métis du pays en vertu de cette modification), et qui deviendra, jusqu’à son abolition en 1994, une puissante force d’opposition à l’apartheid.

Soixante-quatre ans plus tard, c’est de l’action de ces femmes blanches que le designer sud-africain noir Thebe Magugu, né moins d’un an avant l’abolition, s’inspire pour créer Prosopography, sa collection Printemps-Été 2020, récompensée au mois de septembre 2019 du prix LVMH. Depuis la création de sa marque en 2016, Thebe, qui a étudié le design et la photographie de mode à la LISOF Fashion Design School de Johannesburg, a toujours insufflé une dimension éducative à son travail, en donnant à chacune de ses collections le nom d’un cours susceptible d’être enseigné à l’université (la prosopographie est l’étude comparative des biographies de membres d’un groupe social et historique afin d’en faire émerger les caractéristiques communes).

Portrait de Thebe Magugu par Rich Mnisi

Geology, pour le Printemps-Été 2017, était empreinte de références à la pêche et à la randonnée, puisant dans le mal-être personnel du jeune créateur, son besoin d’espace et son envie d’échapper à la ville et à son quotidien. Les imprimés de la collection Automne-Hiver 2018 Home Economics (nom des enseignements universitaires de “vie domestique” historiquement réservés aux femmes) exploraient la condition féminine et la misogynie en Afrique du Sud aujourd’hui, tandis que les tons vifs des manteaux, des robes et des tailleurs faisaient référence aux couleurs des bouteilles de produits ménagers.

Dans African Studies, sa ligne Printemps- Été 2019, présentée à Londres sous la forme d’une installation appelée Dawning, le créateur mélangeait éléments traditionnels sud-africains et coupes contemporaines. Car si Thebe Magugu aime à citer Louis Vuitton, Givenchy et Dior comme ses inspirations – interviewé par la chaîne TV Northern Cape News Network, il expliquait avoir passé des heures à regarder les défilés de ces maisons (LVMH, évidemment) sur Fashion TV étant enfant –, son travail n’en est pas moins résolument africain (en février 2019, il lançait en parallèle Faculty Press, une zine créée pour célébrer les “esprits brillants” de la scène artistique sud-africaine).

Collection Prosopography, Printemps-Été 2020

Depuis son fournisseur de tissus jusqu’à l’atelier qui fabrique ses plissés en passant par les deux usines respectivement chargées de la réalisation des pièces de tailleur et des vêtements souples, tout se passe encore à Johannesburg – ce qui peut parfois poser des problèmes.

En mai 2019, le créateur confiait à Vogue Business que répondre à ses commandes pouvait être difficile : “Avant même de pouvoir accepter, je dois appeler et demander ‘Est-ce que vous avez cinquante mètres de ça ?’ Et on me dit souvent non. Je dois donc changer de plans et de tissus pour pouvoir créer ma collection.” Si bien que l’aide que Thebe attend du prix LVMH, au-delà des 300 000 euros et de l’année de mentorat offerts par l’un des plus gros groupes de mode au monde, est avant tout logistique : “Je ne vais pas mentir, il y a des challenges en termes d’infrastructure et de système, expliquait-il au moment de recevoir son prix. Mais la promesse est là. Il y a tellement de talent dans le pays. Ma mission en tant que designer est de montrer au monde que tout le cycle de production peut être réalisé depuis le pays. C’est très facile d’importer en Afrique du Sud, mais exporter ses créations est plus compliqué. [LVMH] sait faire en sorte qu’un produit arrive là où il doit être.”

Première étape sur le chemin d’une plus grande reconnaissance du travail des artisans de JoBurg : son partenariat avec l’entreprise Verisium, qui intègre une micro-puce à chaque élément de la collection Prosopography, afin que l’acheteur puisse ensuite découvrir via une application les étapes de fabrication de la pièce, les photos des artisans qui y ont participé, et l’histoire de Jean, Ruth, Elizabeth, Tertia, Jean et Helen.

Collection Prosopography, Printemps-Été 2020

La collection capsule réalisée pour la plateforme 24s est disponible ici. Plus d’infos sur Thebemagugu.com