Gucci Cruise, Cannes2018 © Martin Parr,
issu du livre “Fashion Faux Parr” édité aux éditions Phaidon.

Tee-shirts souvenir, porte-clés Tour Eiffel, passion cartes postales et marques de bronzage : cet été, la mode met tout en oeuvre pour réhabiliter les apparats du vacancier et nous (re)donner par la même occasion le goût du voyage sans avoir à cramer notre empreinte carbone.

New York, Paris, Tokyo, Berlin ou Bruxelles… On croise ces tee-shirts “I love” partout dans le monde… et sur Instagram. Un temps ringard, désormais devenu hype, le merch de touriste a aussi gagné les maisons de mode. Charms Tour Eiffel et breloques dauphins, mugs, tee-shirts “I love Paris”, et plus récemment un bracelet de festival vendu 3 500 euros, Balenciaga, en cheffe de file de la tendance a inondé ses collections de références à ces objets vendus dans les échoppes pour touristes. Chargé de charms, le modèle Rodeo de Balenciaga rappelle celui de Coach qui cumule aussi des breloques en forme de Statue de la Liberté, Empire State Building, pomme, taxi jaune, carte postale… Bref, on l’aura compris, tous les symboles de la “Big Apple”.

Balenciaga, SS24.
Balenciaga, SS24.

Initialement commandé en 1977 à l’agence de publicité Wells Rich Greene pour faire la promotion de l’Etat de New York, le logo au cœur rouge est depuis devenu l’un des symboles les plus identifiables à travers le monde. Devenu cool à nouveau, il n’en fait pas moins depuis sa création des allers-retours entre esthétisme plouc et pièce iconique. En 2004, le film “Une journée à New York”, avec les jumelles Olsen qui ne formait pas encore le duo de stylistes derrière The Row, le remettait déjà au goût du jour. Alors qu’elles fuient en peignoire, l’hôtel où elles se sont infiltrées pour prendre une douche, les jumelles dévalisent une boutique de souvenirs à défaut de faire les magasins. Devenue la mascotte des editings de mode, le porte-clé Tour Eiffel, autre symbole du tourisme de masse n’est donc plus seulement réservé aux adeptes du selfie-stick.

“Une journée à New York”, 2004.

Positano, Mykonos, Valence, Copacabana ou encore Capri et Santorin, autant de destinations qui se dessinent sur les tee-shirts et les vêtements comme pour afficher la nostalgie d’une époque où voyager et visiter les plus beaux spots du monde n’était pas problématique. L’Everest en PLS, les Calanques Marseillaises à visiter à condition de réserver à l’avance ou encore les manifestations contre l’augmentation des loyers causée par le “surtourisme” qui agitent Barcelone, il semblerait que le tourisme soit en train de changer d’image.

Savoir planter le décor

 

La représentation la plus courante que l’on se fait des vacances reste associée à un joyeux mélange de couleurs criardes, de foules, de glaces qui fondent et de nostalgie, et son maître est le photographe Martin Parr dont le travail a contribué à remettre à la mode l’esthétisme du mauvais goût et le charme suranné des plages bondées et des corps cramés par le soleil. Dix ans après “The Last Resort”, tournant dans sa carrière qui immortalise des familles anglaises prenant leurs vacances à New Brighton près de Liverpool, petite station balnéaire en déclin, il vient de publier “Fashion Faux Parr”, une compilation de ses photos les plus chamarrées où se confondent mode et esprit de vacances.

Fashion shoot for Jalouse, A Life Guard, Cuba, 2001 © Martin Parr

Fashion shoot for Jalouse, Cuba, 2001 © Martin Parr

Dans la lignée de ces images saturées, de personnages solaires et prises sur le vif, la dernière campagne Napapijri a été confiée à Éric Scaggiante, surnommé par certains le “Parr vénicien” qui reprend des codes similaires. Sur Instagram aussi cette vision a gagné du terrain avec des comptes dédiés comme azurarchive, celui du sicilien leandrocolantoni ou encore cremelamare, sortes de mooboards d’horizons, de couchers de soleil, de parasols et de bouées, de corps huilés, tatoués et de pastèques fraîches (la vie quoi). Pour aller encore plus loin, il semblerait que les marques de bronzage aient même gagné les tendances TikTok où se multiplient les tutos pour en obtenir des à l’aide de scotch et d’auto-bronzant et font désormais partie de la sainte trinité des influenceur·ceuse·s avec le jogging trois bandes et les ballerines. Un phénomène mis en lumière par la photographe Giulia Sidoli dont la série “Working on my Tan: The Ultimate Tanning Guide”, dédiée au rituel du bronzage, a été exposée au festival Circulations. “J’ai toujours considéré la plage comme une utopie, fantasmée de loin tout au long de l’année. Les mots “vacances d’été” évoquent des rêves de plages scintillantes, de soleil brûlant et de bronzage doré parfait.”, a développé la photographe dont le travail s’inscrit dans le même imaginaire.

Campagne Napapijri © Éric Scaggiante

Campagne Napapijri © Éric Scaggiante

Mais si aujourd’hui, partir en vacances est bel et bien devenu une question de classe et de conscience écologique, les vacances peuvent venir à nous. À Paris, la marque a installé La Plage AMI sur le toit des Galeries Lafayettes avec un phare, des bouées et des cabanes de plage comme à Deauville. On peut d’ailleurs y acheter des jeux de cartes, de pétanque ou de molkkies, imaginés pour l’occasion. À Londres, la créatrice de maroquinerie fun, Anya Hindmarch a ouvert une boutique façon “summer shop” avec les goodies qui vont avec (cartes postales, chemises de la marque Pikol, upcylées à base de textiles “souvenirs de Malte ou de Corfou…).

Anya’s Summer Shop

La plage Ami sur le toit des Galeries Lafayette Haussman à Paris.

Une part de kitsch

 

“Il y a 50 ans, les touristes ramenaient chez eux des objets kitsch parce qu’ils les trouvaient beaux”, explique-t-elle. “Aujourd’hui, les jeunes savent que le kitsch est kitsch, mais ils le savent très bien, c’est une sorte d’esthétique camp’ devenu hyper populaire”, témoigne l’autrice Lucy Lethbridge au Guardian. La carte postale, étendard ultime et désuet des vacances est d’ailleurs aussi devenue une obsession – à laquelle de nombreux comptes Instagram se dédient comme thefrenchpostcard – et jusque dans la mode et ses imprimés comme les robes Desigual ou Musier, habillées de décors de plages ou de surfers. Chargés mais solaires. Et si les vêtements de touristes kitsch étaient en train de mettre un terme au quiet luxury, sobriété réservée à l’élite ? “Cette tendance des objets de souvenirs n’est pas minimaliste certes, mais elle est éternelle. Les gens veulent porter des objets qui évoquent la joie. Nous nous dirigeons vers un moment de mode ‘bruyante’ et les souvenirs en sont la première vague”, a commenté le créateur de la marque Pikol, Dan Branston. D’autres créateur·rice·s, comme Émilie Albertini, styliste et fondatrice de Sea the Label, du “resortwear for holiday Lovers” mêlé à la nostalgie des années 90, a d’ailleurs choisi le thème des vacances comme le cœur de la création avec en toile de fond des destinations populaires comme les plages de Benidorm. Avec la nostalgie comme moteur, la tendance paraît donc aussi célébrer la mode de l’émotion où les souvenirs évoqués priment sur une mode jetable et impersonnelle. Bon voyage !

Sea The Label

Sea The Label