Tom Van der Borght, festival de Hyères 2020.

Ébranlée par une pandémie et une crise sans précédent remettant une fois de plus en cause son modèle industriel obsolète (surproduction, gâchis, pollution, exploitation), la mode post-covid a dû entamer une véritable transformation. Et si cela passait par le fait de faire du neuf avec du vieux ? 

Dans une industrie obsédée par la nouveauté, disons que l’idée de faire du neuf avec du vieux était jusqu’à récemment aussi déroutante et incompréhensible que la gestion actuelle de la crise sanitaire par le gouvernement. Sauf qu’en 2020 avec la pandémie et ses lockdowns généralisés, la question d’un écosystème mode durable et éthique s’est amplifiée au point de devenir une obligation pour les marques. Normal : avec une économie paralysée par le virus, il a fallu faire vivre le biz avec une baisse de la consommation, des marges plus faibles et des stocks d’invendus sur les bras. C’est ainsi que les collections Printemps-Été 2021, entièrement conçues dans le contexte pandémique, ont marqué le début de la révolution la plus improbable que le luxe ait connu avec l’utilisation, par les plus grandes maisons comme par les petits labels, de procédés inédits, de textiles invendus ou de fringues d’anciennes collections. Depuis la lettre ouverte d’Armani en avril 2020, dans laquelle il appelait l’industrie à rompre avec un rythme de production “absurde” et “criminel”, une véritable infiltration du vintage dans la sphère luxe est survenue. À l’image de Marni, qui a créé des manteaux en patchwork et des robes à partir de vêtements existants pour sa collection SS21 ; de Balenciaga et son manteau en “fourrure de lacets” ; de Miu Miu avec sa collection capsule créée à partir de pièces des années 30 à 70 ou encore de Virgil Abloh dont la collection Hommes Louis Vuitton SS21 était régie par les principes de l’upcycling. Pimper le vieux serait désormais la nouvelle philosophie des designers en quête de sens dans un monde qui part en vrille, et surtout l’opportunité de booster leur créativité, tout en questionnant l’obsolescence du système qu’ils ou elles entretiennent. Comme le rappelle un récent rapport du ministère de la Transition écologique et solidaire publié en janvier 2020, entre 10 000 et 20 000 tonnes de produits textiles sont détruits en France chaque année. Alors, pour y remédier et montrer qu’elle est un minimum consciente de son époque et des problématiques qui y sont associées, la mode qui avait (trop) doucement commencé à s’écoresponsabiliser il y a quelques années, semble avoir enfin capté l’enjeu du sujet. Certes les actions des grands groupes textiles sont toujours plus qu’anecdotiques, mais 2020 et sa pandémie auront eu au moins le mérite de provoquer une transformation en profondeur que l’industrie retardait depuis trop longtemps. Tour d’horizon d’initiatives qui nous montrent que la métamorphose écolo a bel et bien été enclenchée.  

1/Off Paris

1. Le look trash (pour de vrai)

Mi-octobre 2020, le styliste belge Tom Van der Borght a reçu le Grand prix mode au festival international d’Hyères pour sa collection baptisée “7 façons d’être TVDB”. À base de cordes d’alpinisme, de serre-câbles, de tissus rebrodés de perles, ses créations sont puissantes, colorées, troublantes. De la tête aux pieds, visage inclus, les silhouettes bariolées et sculpturales impressionnent. Le credo de TVDB ? “Tu peux les porter si tu oses les porter.” À 42 ans, le créateur souhaite défier ce que la mode trouve désirable. Il remplace ainsi les matériaux de valeur, comme le cuir ou l’or, par des choses que l’industrie de la mode ne considère pas comme étant nobles et fabrique tout lui-même, en mixant techniques classiques et matériaux futuristes, alternatifs ou de récup’. Sacs réalisés à partir de peaux de poissons destinées à être jetées, manteaux confectionnés avec des échantillons de fourrure végétale… L’idée est de donner une seconde vie à des produits abandonnés, et surtout d’insuffler une nouvelle réflexion sur la haute couture en shiftant les modes de pensée de l’industrie du luxe. 

 

2. Quand les grands esprits se recyclent

Veste en jean agrémentée de tweed Chanel, trench Burberry cousu inside out, manteau mixant du YSL et du Levis, 1/OFF Paris aborde la mode luxe avec un nouvel œil écoresponsable. À l’origine de cette marque d’upcycling, on retrouve le duo de Néerlandaises Renée van Wijngaarden, directrice marketing, et Xuan Thu Nguyen, directrice de la création, toutes deux sensibilisées au gâchis de l’industrie au cours de leur carrière. La première en ayant été témoin des entrepôts remplis de produits de luxe délaissés lorsqu’elle était cheffe des partenariats chez Vestiaire Collective, la seconde en voyant les tonnes de vêtements abandonnés dans les grosses usines de vêtements que sa famille possédait en Hollande. C’est ainsi qu’il y a deux ans environ est née 1/OFF Paris, dont l’objectif est de réutiliser les vêtements abandonnés pour étendre leur cycle de vie et rendre l’industrie plus circulaire. Avec ses pièces ultra-high standard coupées et remasterisées, 1/OFF s’oppose à l’esthétique traditionnelle du luxe. Pour autant, elle est devenue un véritable go-to, avec des créations vendues dans les grandes enseignes multimarques comme Selfridges et Harvey Nichols. 

Tom Van der Borght, festival de Hyères 2020.

3. Le paradis de la conso de masse 

Chiara Rivituso et Matteo Bastiani, les deux designers milanais derrière Camera 60, réinterprètent des sacs à main iconiques de luxe avec des matériaux upcyclés – de la boîte de biscuits Oreo au sac Ikea en passant par l’enveloppe DHL. À la base, spécialisé dans le cuir, le duo s’est mis, pendant le confinement, à transformer des emballages, sacs et autres déchets en plastique qui auraient fini à la poubelle. C’est ainsi qu’une boîte à chaussures Nike est devenue un Saddle bag Dior et qu’un packaging McDo s’est changé en sac Fendi Baguette. Envie de savoir comment réutiliser votre boîte à pizza Buitoni ? Direction leur Insta où ils mettent des tutos à dispo. La marque SEVALI, basée à Paris, s’attaque quant à elle à des objets trouvés dans la rue en exploitant le principe de l’upcycling à fond. Le siège d’une voiture se transforme en Combishort, les tickets de métro en robe, l’enveloppe FedEx en bustier, et le matelas en manteau oversize. Avec ses créations uniques, le designer d’origine chilienne Sebastian A. de Ruffray pousse l’imaginaire au-delà de ses frontières et a d’ailleurs conquis des stars de la musique – Lisa du groupe k-pop Blackpink, Doja Cat ou encore Rosalia. 

 

4. Savoir-faire et faire savoir

Allier bénéfice planète et bénéfice humain, c’est le projet de l’association Renaissance spécialisée dans l’upcycling de luxe. Dans son atelier, à Villejuif, l’organisation forme des apprentis couturiers en réinsertion pour devenir les acteurs de la mode responsable de demain. Des hommes et des femmes de tout âge, qui viennent d’un peu partout (France, Afghanistan, Moldavie…) et qui apprennent lors d’un cursus de six mois à déconstruire puis reconstruire sous une nouvelle forme des vêtements haute couture donnés par des particuliers ou des grandes marques. Imaginé par Philippe Guilet, styliste français passé par Karl Lagerfeld, Donna Karan ou encore Jean Paul Gaultier, l’asso a le soutien des groupes de luxe Kering et Richemont ou encore de la Fondation Sisley et de l’IFM qui veulent tous un pied dans cette révolution verte. Une fois pimpées, ces nouvelles créations sont vendues aux enchères. 

 

5. Tech me back

Pour devenir plus transparente, l’industrie de la mode a cherché aussi des solutions dans la tech. En juin, WWF et Google se sont associés pour élaborer une plateforme de data environnementales qui permettra de donner des insights aux pros de la mode sur la pollution et les émissions de gaz à effet de serre provoqués par leurs décisions commerciales. Burberry a ainsi collaboré à l’automne dernier avec des étudiants d’IBM pour développer un outil de traçabilité pour les consommateurs. Baptisée “Voyage”, cette solution-test utilise les technologies Cloud et Blockchain d’IBM pour collecter la data autour de la chaîne de production de la marque et la rendre compréhensible pour le grand public. À partir de l’application mobile de Burberry, il suffira de scanner l’étiquette ou d’entrer le code identifiant d’un produit pour accéder aux infos. Voyage proposera aussi la possibilité de configurer cet outil en fonction de vos critères préférés – si vous êtes végan.e ou adepte des matières recyclées, par exemple –, et vous pourrez aussi ajouter des renseignements sur le cycle de vie d’un produit que vous avez acheté en précisant s’il a été recyclé, réparé ou upcyclé. 

Camera60 Studio

6. Zéro genre, zéro déchet 

La vraie mode écolo prend aussi en compte le processus de confection et la déconstruction des normes de genre, à l’image de la marque Tonlé qui, depuis 2008, récupère des chutes de tissus d’usines à Phnom Penh au Cambodge pour les transformer en vêtements genderless. Le label bénéficie ainsi d’un process de manufacture qui produit zéro déchet. Et le principe est poussé à l’extrême : chaque reste de tissu est transformé en fil qui est ensuite tissé dans un autre tissu (l’Inception de la fringue). Sur un même positionnement, Daniel Silverstein transforme les surplus d’autres designers et d’usines de fringues en vêtements genderless. Sa marque de fabrique ? Assembler des chutes pour créer un unique patchwork qu’il appelle “reroll” et dont il fait des tee-shirts, jogging, sweat-shirts, etc. En septembre 2020, au lieu de participer à la Fashion Week, il a lancé sur le Net son propre show “Sustainable Fashion is Hilarious”, un mix de mode et de comédie pour montrer l’absurdité du fonctionnement des défilés et partager son message écolo à un public plus large.

 

7. Quand l’occasion se présente

À l’image de Cos avec sa plateforme Resell, dédiée à la revente de ses vêtements, l’autre stratégie écolo sur laquelle misent les marques est bien celle du resale. Les grandes marques auparavant frileuses, sont de plus en plus nombreuses à s’engager dans la seconde main, comme Gucci qui s’est associé en octobre au spécialiste de la mode circulaire The RealReal pour vendre ses pièces d’occasion. “En innovant en continu pour rendre ses activités plus durables, Gucci met la barre haut, non seulement pour l’industrie de la mode, mais également pour toutes les entreprises, souligne Julie Wainwright, fondatrice et CEO de The RealReal. Ensemble, nous mettons un coup de projecteur sur le principe de la revente et espérons que cette démarche incitera tous les consommateurs à soutenir l’économie circulaire et à nous rejoindre dans la réduction de l’empreinte carbone du monde de la mode.” Cette nouvelle initiative écolo de la part de Gucci vient s’ajouter à une longue liste de précédentes mesures récemment adoptées par la marque et allant dans ce sens (moins de turn-over, des collections présentées deux fois par an et agrémentées de capsules, une plateforme – Equilibrium – dédiée à la visibilité des initiatives RSE, une série de pièces Off the Grid conçues à partir de matériaux durables). Cela dit, n’oublions pas l’intérêt purement économique d’un tel projet. Si Gucci et les autres se mettent désormais à revendre eux-mêmes leurs propres produits en seconde main, c’est probablement parce qu’ils ne veulent pas être exclus du marché alternatif de la revente qui aujourd’hui pèse pour 9 % dans celui du luxe global.