Débardeur en viscose Majestic, chaine et anneau personnels

Crâne rasé, oreille percée et look androgyne, Nelson Beer cultive un goût pour l’étrange qu’il met au service de sa musique. Rencontre

Après Oblique, un premier EP sorti en avril, le chanteur helvète poursuit son exploration musicale avec Oblique II sur lequel il livre une pop hybride et futuriste. Aussi à l’aise sur un skate que sur des chaussures compensées, ce fan de PNL et du philosophe Michel Foucault est plutôt du genre à ne pas suivre le chemin tout tracé. Ex-étudiant en section musique à la Goldsmiths University of London comme James Blake et diplômé d’un master de recherches en architecture, nelson beer est aussi vidéaste, producteur et DJ. Mais c’est sur scène qu’il se dévoile encore le mieux. Véritable performeur, il n’hésite pas à se lancer dans un corps à corps intense avec le public et à faire sauter les verrous autour du genre. Après un passage aux dernières Trans Musicales de Rennes et une tournée en Angleterre en première partie de Chris(tine and the Queens), ce couteau suisse de la pop a enflammé les plus beaux festivals de l’été.

Mixte. Vous étiez cet été à l’affiche des festivals Cabourg mon amour, Fnac Live, Pete the Monkey… Quel est votre rapport au live ? 

Nelson Beer. Sur scène, j’ai besoin de performer. J’ai des pompes à plateformes de 15 cm, je me maquille. Je n’ai jamais étudié la danse, mais à la maison j’ai un espace qui lui est dédié. Pieds nus et en slip, je m’imagine face à un public. Si je n’ai pas envie de me lever de ma chaise et de danser quand je fais de la musique, c’est que ce n’est pas un bon morceau. L’idée est de changer de live à chaque concert. C’est important pour moi de me remettre en question. Rien ne doit être figé. Je ne veux pas être un produit brandé.

M. Vous avez pratiqué le skateboard de façon intensive entre 12 et 21 ans avant de vous blesser. Skate et scène, même combat ? 

N. B. J’ai toujours utilisé mon corps comme un outil d’expression. J’ai envie que le live soit aussi intense que lorsque je faisais du skate. L’idée de tout donner avec une certaine virulence me plaît bien. J’adore la douleur, la violence. J’aime bien sortir d’un live lessivé.

M. Vos clips mettent en avant beaucoup de sensualité, d’érotisme, voire de sexualité. Que cherchez-vous à transmettre par cette surexposition du corps ? 

N. B. J’essaie de rendre mon corps le plus public possible. C’est très déshumanisant de s’exposer autant. C’est presque de l’ordre de l’autodestruction car je suis quelqu’un d’assez timide. Comme écrire des chansons, c’est une mise à nu. Ça soutient l’idée qu’il y a un pouvoir exercé sur le corps. C’est le concept de la bio politique : chaque corps dans la société est régi en fonction de son origine, de sa sexualité. J’ai envie de donner le mien un peu comme on donne son corps à la science. Mon corps d’homme blanc privilégié. C’est assez thérapeutique et en même temps une prise de risque. Ça permet d’expulser des choses de soi.

M. Vous citez régulièrement Charles Bukowski. En quoi son œuvre littéraire résonne-t-elle dans votre travail ?

N. B. Bukowski, c’était au tout début. J’avais un groupe de rock à 15 ans en Suisse, Les Bukowski. On aimait sa poésie et le personnage assez cynique. Mais surtout, il me faisait beaucoup rire. Un peu comme Louis C.K. ou Blanche Gardin aujourd’hui, qui sont des personnes très crues, qui n’ont pas de filtre, qui disent la vérité. J’essaie d’aller puiser dans les endroits les plus sombres de moi. Oblique II est un album un peu émo qui exprime une certaine mélancolie du xxie siècle, le fait que je ne ressente rien, comme si j’étais sous sédatif, et qu’on arrêtait de se battre. Mais il y a quand même une petite note d’espoir, une lueur au bout du tunnel.

M. Dans Oblique, l’homme est plus féminin qu’on ne le croit. Pourquoi interroger la notion de genre ? 

N. B. Surtout la notion d’identité en général. J’ai envie d’explorer le spectre du genre car c’est quelque chose qu’on ne choisit pas. J’aime beaucoup l’idée d’une identité en changement, qui échappe au contrôle, au pouvoir souverain. Se demander comment on peut intégrer la société de manière plus libre en fonction de comment on est identifié administrativement. Le titre du projet Oblique vient de là : ce n’est pas grave d’être bizarre, d’être un peu de biais…

M. Vous êtes né en Suisse, avez vécu en Californie et étudié à Londres avant de poser vos valises à Pantin. Aujourd’hui, de quelle culture vous sentez-vous le plus proche ? 

N. B. Je me sens toujours proche de la culture dans laquelle je suis. Quand j’étudiais l’architecture à Londres, j’étais très sensible à la culture anglaise, à la question des lois d’immigration. Maintenant que je suis en France, c’est la politique française qui m’intéresse. Dès l’instant où on devient public, où l’on crée quelque chose, où on participe à la culture, ça implique forcément le politique.

Imperméable en cuir enduit iridescent Givenchy, pantalon à sangles en laine et coton Paul Smith, derbies en veau box J.M Weston, chaine et anneau personnels

M. Vos parents sont enseignants. Vous avez étudié le piano au Conservatoire. Qu’est-ce que cette approche académique a façonné dans votre rapport à la musique ?

N. B. J’ai étudié le piano au Conservatoire de 6 à 15 ans. C’est un milieu très compétitif, et la compétition ce n’est pas quelque chose que j’aime beaucoup. En fait, j’ai toujours eu un problème avec l’autorité. Assez naturellement, vers 14-15 ans, je me suis dit qu’il fallait que je fasse du rock.

M. Votre musique flirte avec la techno, la cold wave, la pop urbaine en repoussant toujours les frontières… 

N. B. J’ai envie d’utiliser la musique comme un nouveau langage, de piocher dans des horizons différents. J’ai commencé par le rock puis je me suis mis à la musique électronique. La pop m’a intéressé plus récemment car j’ai toujours pensé que j’étais mieux que ça, que c’était trop facile. Je ne voulais pas rentrer dans le mainstream. Mais en fait, la pop, c’est un amalgame de plein de choses. Un endroit où on peut être très libre. Je m’inspire aussi du rap. J’adore Travis Scott, Dress Runner. Même les textes de Booba. Si on me demandait de définir ma musique, je dirais que je suis punk. Mettre en valeur certaines ruines du passé, détruire des choses du présent. Déconstruire des codes. Sublimer la tristesse et la destruction.

M. Vous chantez en anglais et en français. Vous pouvez même passer de l’un à l’autre au sein d’un même morceau. Toujours ce besoin de se sentir libre ? 

N. B. Je vais là où je pense que ça fait sens pour moi. Parler de “bridge” pour le titre “Numb”, ça a du sens. L’anglais, c’est une manière pour moi de me réconforter et un retour aux sources de la pop. J’ai envie que les chansons françaises puissent être entendues par des anglophones sans qu’ils en comprennent forcément les paroles. C’est bien qu’il y ait une sorte d’hybridité dans la provenance des mots.

M. Vous accumulez également beaucoup de samples. Côté voix, vous n’hésitez pas à recourir à l’autotune. Un peu geek sur les bords ? 

N. B. J’ai une relation assez particulière avec mon ordinateur. J’aime l’idée de produire ma musique depuis un ordi comme Holly Herndon ou Amnesia Scanner qui sont des artistes que j’aime beaucoup. L’ordinateur, c’est pour moi l’instrument de musique le plus intelligent. Il connaît toute notre vie (nos conversations en ligne, nos photos, nos mémos, nos recherches…). Il a presque une meilleure mémoire que nous. On a l’impression que je me cache derrière, mais c’est en fait une sphère très privée que je laisse parler à travers lui.

Tee shirt en polyester et viscose Acne Studios, pantalon en gabardine de coton Celine par Hedi Slimane, chaussettes en coton Falke, derbies en veau box J.M Weston

Nelson Beer sera en concert le vendredi 1er novembre au Pitchfork Music Festival.

www.nelsonbeer.net