Même si ça peut sonner comme la phrase de quelqu’un qui n’aime rien, ou pire, qui fait semblant de tout aimer, Emma Bergmann (Bergmann tout court pour la scène) ne plaisante pas lorsqu’elle dit qu’elle “écoute de tout” (sauf peut-être du métal). En mai dernier, la musicienne, ex-moitié du duo électro-disco Palmyre, sortait No Curfew l’année de ses 28 ans. Un premier album dont le titre prémonitoire, choisi deux ans avant les débuts de l’épidémie de Covid-19, relevait moins de la référence au couvre-feu en vigueur en France de novembre 2020 à juin 2021 que du message de prévention à l’attention de ses futurs auditeurs. Attention à ne pas trébucher, ici on trouve de tout, sans restrictions, comme elle nous l’explique. “Dans mon album, No Curfew, il y a de la trip-hop, de la pop, du R&B, il y a du français et de l’anglais. En France – et pas qu’ici, d’ailleurs –, les gens aiment bien être rassurés. En tout cas, l’industrie de la musique est très guindée. Un artiste folk se doit de faire uniquement du folk. Moi je me refuse totalement à faire ça. J’ignorais que je chanterais aussi en français sur l’album, mais je savais déjà que j’allais proposer plusieurs choses. Quand on est au service de l’art et pas l’inverse, on s’amuse, on fait des exercices de style. C’est tout ça qui m’intéresse.” Résultat de cet exercice : 14 titres qui empruntent à parts égales au dancehall (“Love Potion”), à la new wave (dans les synthés de “Emotional Woman”), au R&B éthéré des années 90 (sur “Morpheus Where U At?”), à la trap (dans les instrus de “Anybody Else’s”), à la variété des années 80 (“Parfum d’Été”) ou encore au Lofi hip hop (“Pity Party”).
Une prise de risques dont Bergmann semble parfaitement consciente, à l’heure où ses pairs auraient probablement préféré tâter le terrain au moyen d’un EP un peu plus uniforme : “Je crois que, d’une manière générale, j’aime bien désobéir. Au départ, je voulais 18 titres ! Cet album, c’est une sorte d’entrée dans le monde. Et à partir du moment où je voulais proposer un truc qui caresse plusieurs genres, cinq titres, c’était un peu short… Pour le coup, on se serait dit : ‘C’est n’importe quoi !’ Là, au moins, il y a un peu plus de liant.” Quand on lui demande comment on en vient à vouloir mélanger Frank Ocean, Aya Nakamura, Lykke Li, Portishead, Diana Ross et Mylène Farmer (qu’elle cite tous les six comme inspirations) sur un seul et même projet, la réponse fuse : “J’ai eu un rendez-vous récemment dans une maison de disques, et il fallait encore que je leur explique que, particulièrement dans les années 2020, on est le produit d’une accumulation culturelle et musicale énorme. Donc c’est complètement logique à mon âge d’être le reflet de tout ce dont on est imprégné.” Ce n’est pas pour autant qu’elle cède aux codes musicaux du moment. “Je ne commandite jamais le style de la chanson que je vais composer. Je ne me dis pas : ‘Tiens, j’aimerais bien faire ce qui est cool en ce moment’. L’éclectisme, je trouve que c’est la manière la plus honnête de faire de la musique. C’est peut-être un peu puriste, mais pour le moment, c’est comme ça que je fonctionne et ça me va. Après, je n’ai pas dit que j’étais la plus grande businesswoman de la Terre, et que je prenais les meilleures décisions au monde pour mon porte-monnaie. Mais au moins je suis sincère.”