Graphiste italien, Rickdick dissèque avec humour les travers de la fashion sphère, grâce à son utilisation de l’I.A. et de la culture mème. Une façon pour lui d’offrir des récits imaginaires drôles et audacieux dans un monde qui se prend encore trop au sérieux.

Qui a dit que scroller était synonyme de perte de temps ? Sûrement pas Riccardo, qui puise ses inspirations au fil de ses flâneries cybernétiques, d’Instagram à Pinterest en passant par les photos de street style. À 33 ans, ce natif de Maremma, en Toscane, est un pur produit du Net. À peine devenu ado, il bricole déjà des photomontages sur le logiciel Paint (le photoshop de la préhistoire) destinés à amuser sa galerie d’amis. Depuis, l’artiste italien, qui préfère cacher son nom, est entré dans la cour des grands. Passionné d’art et de technologie, il crée le compte @Rickdick_ il y a près de dix ans afin d’assouvir sa passion de la mode, du collage et de la provocation. En 2022, il complète l’art du collage avec un outil d’un nouveau genre, l’intelligence artificielle : “J’ai tout de suite été intrigué par son potentiel. Je me suis plongé dans l’étude et l’exploitation de son pouvoir pour améliorer et accélérer mon processus créatif. En déformant et en analysant les actualités et les événements concernant les personnalités de la mode et les défilés, j’ai trouvé un moyen de m’exprimer différemment en rendant mon travail à la fois plus rapide et plus surréaliste.” Ce qui lui permet aujourd’hui d’être suivi par près de 100 000 followers qui raffolent désormais de ses Rickdick pics.

Let’s talk about ref, Baby

 

Riccardo se joue de la culture et donne une nouvelle interprétation aux mèmes qui foisonnent sur les réseaux : plus arty, plus queer et plus audacieux que jamais. Le Pape et Donald Trump arborent des tenues arc-en-ciel tandis qu’Anna Wintour flirte avec Dark Vador. Ultra-référencées, ses créations font autant appel à l’imaginaire commun qu’à un humour réservé aux fashion addicts. Il commente les faits à sa manière, comme cet été lorsque la presse annonçait une guerre des gangs entre les deux blockbusters Barbie et Oppenheimer. Riccardo détourne le mème de la disastergirl (la fameuse petite fille ultra creepy qui nous regarde tandis que sa baraque est en train de cramer) et place Margot Robbie au premier plan, laissant le casting du film de Christopher Nolan se charger des flammes : “C’était ma réaction face aux médias qui nous bassinaient sur le fait que c’était les deux films de l’année à valoir le coup. Il y a même un hashtag #barbenheimer qui a été créé, je me devais de réagir à cette actu.” Autre objet pop, autre réaction : lorsque l’artiste découvre en juillet dernier le clip Rush de Troye Sivan, son imagination ne fait qu’un tour. “J’ai tout de suite ressenti des vibrations artistiques face à son clip qui m’a fait penser à des œuvres iconiques telles que La Création d’Adam de Michel-Ange ou La Danse d’Henri Matisse. J’ai donc créé des œuvres qui mixaient des images tirées de Rush incrustées dans ces tableaux de maîtres.” Effet viral garanti, les créations de Rick se likent, se partagent et inondent les réseaux sociaux.

Quand le concept dépasse la fiction

 

Raffinées, travaillées, certaines de ses images conçues par l’AI sur le logiciel Midjourney ressemblent à s’y méprendre à de réelles publicités (comme ses fausses pubs Burberry avec Megan Markle et le Prince Harry). Riccardo, qui connaît parfaitement ses classiques, n’hésite pas à inventer ses propres marques et crée des campagnes imaginaires Balenciaga Beauty ainsi qu’une fausse collection Rick Owens inspirée de la porcelaine de Chine. En juillet dernier, le premier défilé de Pharrell Williams pour Louis Vuitton l’inspire tout autant : “J’ai été interpellé par le contraste entre le chœur gospel et les imprimés militaires de la collection, comme si le sacré rencontrait le profane.” Résultat, il invente la figure de Saint Pharrell, patron du streewear, et crée sur logiciel un faux sac à main siglé LV en forme de grenade.

Par ses créations, celui qui assume vouer un culte à Rihanna met en images tout haut ce que les gens pensent tout bas, n’hésitant pas à moquer certains défilés à l’instar de Thom Browne ou Schiaparelli comme lorsque Kylie Jenner se présente au défilé avec une robe sur laquelle trône une tête de lion. Riccardo la transforme en mème instantané en la plongeant dans l’univers du Roi Lion, portée à bout de bras par le singe Rafiki : “Je m’efforce de présenter une nouvelle façon de voir les choses, même si cela ne correspond pas aux opinions dominantes. Je comprends que mon travail soit controversé, voire désagréable pour certain·e·s, mais je crois qu’il est important de prendre des risques et d’aborder les sujets avec audace. J’espère stimuler les gens à aborder des sujets d’une manière différente.”

Pas l’time

 

À l’heure où de nombreux·euses professionnel·elle·s de la mode s’inquiètent du pouvoir grandissant de l’IA (en ciblant entre autres le fait que cette dernière puisse créer artificiellement des décors ou des mannequins, mettant à l’amende tout un secteur de pros qui risquent de se retrouver chez Pôle emploi illico presto), Riccardo décide de prendre le diable par les cornes en utilisant cette technologie à bon escient. “Les avantages de l’intelligence artificielle dans l’art sont multiples. Mais ce qui me passionne le plus, c’est la possibilité de gagner un temps précieux pour créer des œuvres tout en y incrustant des détails complexes. Je pense que toutes les grandes maisons de mode devraient songer à engager des AI creative director qui seraient chargés de travailler sur des collections spécifiques.” L’IA pour rester indémodable, dans un monde où l’immédiateté est maîtresse des réseaux sociaux.

À L’image du dernier défilé Marc Jacobs, décrié pour n’avoir duré que trois minutes : Riccardo s’empresse de le détourner en postant quelques heures après le show un montage représentant le visage du créateur posé sur le corps d’un sprinter. Son Fast Jacobs devient viral en un temps record. La boucle est bouclée. “Pour moi, l’audace signifie me mettre en valeur en utilisant des images, des symboles et des concepts, en les décomposant de leurs valeurs et significations d’origine pour en faire quelque chose de nouveau et de surprenant qui capte l’attention et l’imagination des gens.” Une attention qu’il espère, un jour, être captée par des grandes maisons telles que Margiela ou Prada, même si l’un de ses rêves, il l’avoue, est de travailler pour Moschino : “Franco Moschino est un visionnaire et un rebelle, il ne cesse de m’inspirer.” Celui qui, dans la vraie vie, travaille encore comme graphic designer dans la publicité n’a pas fini de rêver. Mais qu’il se rassure : l’audace, ça paie.

Cet article est originellement paru dans notre numéro fall-winter 2023 AUDACITY (sorti le 26 septembre 2023).