Texte :  Antoine Leclerc-Mougne et Florence Vaudron

Toujours victime des caprices de Miss Rona, la première fashion week homme de l’année s’est déroulée dans un contexte en demi-teinte, avec à la fois des marques qui sont revenues physiquement sur les podiums et d’autres qui ont pris le parti de garder le format digital. Retour en 14 points (+1 bonus) sur une semaine riche en création et en émotions qui reprend peu à peu le pouls de l’avant-covid.

1. Louis Vuitton : l’adieu de Virgil Abloh

C’est LE moment que la sphère mode attendait avec impatience et émotion. Jeudi 20 janvier, la maison Louis Vuitton présentait l’ultime collection de Virgil Abloh, à la tête de la ligne homme depuis 2018 et tragiquement disparu fin 2021. Dans un décor pensé comme une « dreamhouse », clin d’oeil à l’esprit de Virgil pour qui le rêve et l’imagination étaient une source d’inspiration immense, LV a livré une véritable performance-hommage mêlant tous les arts, de la danse, à la musique, en passant par l’architecture. Un show à l’image du talent et de la personnalité si inspirante de celui que la presse appelait « l’empereur du cool ». Au son d’un orchestre installé autour d’une grande table, des danseurs ouvraient le show, rejoints par la suite par les mannequins. Les plus belles influences de Virgil ont foulé le catwalk : vestes universitaires colorées, costumes minimalistes aux coupes impeccables, imprimé damier ou encore motif fleuri en total look. Côté accessoires, les it-bags prennent la forme de malles de voyage et de sacs bowlings colorés. En bref, une dernière collection qui mélange à merveille le streetwear et le luxe comme seul Virgil savait si bien le faire et une performance très émouvante qui nous a vite fait monter les larmes aux yeux.

2. Les débuts de Nigo chez Kenzo

Autre moment phare de cette fashion week homme FW22, la mise à l’épreuve du nouveau directeur artistique de Kenzo, Nigo, qui présentait sa toute première collection pour la maison, succédant à Felipe Oliveira Batista alors que le créateur originel de la marque himself, Kenzo Takada, nous a quitté en Octobre 2020. Fondateur de la marque de streetwear A Bathing Ape, le designer japonais a pu compter sur la présence de Kanye West (encore lui), et surtout de Pharrell Williams, son partenaire stylistique depuis toujours, pour faire redescendre un peu la pression. C’est à l’intérieur de la galerie Vivienne, que Nigo a présenté ce qui est clairement un sans faute pour une première. Le designer a su jouer intelligemment sur tous les thèmes classiques de Kenzo, à commencer par les manteaux à carreaux non-genrés, l’imprimé floral rouge, symbole par excellence de Kenzo, décliné sur plusieurs pièces, tout en incorporant la sensibilité japonaise au style parisien, en épinglant par exemple de fausses médailles militaires les unes sur les autres et en coiffant les têtes de grands bérets. Sans oublier son background pour autant, Nigo présentait plusieurs pièces d’inspiration streetwear, comme des vestes universitaires. Une démonstration puissante de Nigo qui a su reprendre l’ADN de la marque tout en y ajoutant sa touche perso. Go Nigo !

3. La douceur de Dior
Dior Men FW22/23

Depuis son arrivée à la direction artistique de Dior Men en 2018, Kim Jones a réussi à rendre subtilement hommage à l’héritage de la maison. Cette saison la trame du show est pioché dans les archives événementielles marquantes de la marque : le premier défilé de Christian Dior et la naissance du New Look. “J’ai voulu me plonger dans les archives, dans la pureté des débuts de la maison, dans son élan originel, explique Kim Jones. Nous nous sommes penchés sur les premières collections et concentrés sur l’architecture, en utilisant ces éléments et en les transformant presque instinctivement en pièces masculines modernes, avec toujours cette joie de vivre qui est au cœur des créations de Christian Dior.” Résultat les silhouettes de la collection revisitent des classiques comme la mythique veste Bar déclinée en version homme, mais proposent aussi de longs manteaux et des broderies fleuries (également inspirées des archives) sur chemise ou manches de vestes. Le tout dans un camieu de couleurs claires et pastels (gris Trianon, le bleu ciel, le blanc cassé) qui apportent une touche d’élégance mais aussi une forme de douceur et de sérénité à la collection. Un sentiment renforcé par la démarche douce et effortless des mannequins qui déambulaient sur une reconstitution échelle 1 du Pont Alexandre III devant un faux-coucher de soleil…

4. Le léopard multi-taches
Dior Men FW22/23, AMI FW22/23, Jil Sander FW22/23, Acne FW22/23

Le fauve le plus fierce de la savane a une nouvelle fois déboulé sur le catwalk cette saison. Et oui, il est bien loin le temps où l’imprimé léopard était considéré comme une faute de goût stylistique penchant dangereusement vers la vulgarité. En 2022, porter du léopard chez l’homme, c’est être fearless AF. La preuve, l’aninmal en question rugit avec ses taches disséminées un peu partout : en trench chez Jill Sander, sur des pulls en laine chez Dries van Noten mais aussi chez AMI quand il porté avec des bottes en cuir chez la femme ou en mini perfecto sur une silhouette total look noir chez l’homme, ou encore chez Dior en veste assortie au béret pour un look fun et décalé. Chez Acne, en revanche, il est texturé et assumé façon fourrure pour faire encore mieux ressortir son aspect bestial et prédateur.

5. Le Grand Bleu
Loewe FW22/23, Paul Smith FW22/23, Bianca Saunders FW22/23, Acne FW22/23

Les maisons de mode semblent s’être mises toutes d’accord cette saison pour nous faire plonger dans le bleu profond avec un nuancier déclinant quasi toutes les teintes de ladite couleur. C’est Michou qui aurait aimé voir ça. Chez Bianca Saunders, il va du bleu électrique, au bleu azur, en passant par le brut style denim. Chez Acne, il s’étend du bleu canard pour les manteaux, au cyan version glitter pour les surchemises pour un look qui pourrait ressusciter à lui seul l’âme du Studio 54. Enfin, chez Paul Smith il est décliné façon Baby Blue, chez Casablanca en bleu ciel façon PanAm Airlines et chez Loewe en bleu roi.

6. Le clubbing Kinky de Courrèges
« Courrèges Club », menswear FW22/23 & Pre-Fall 22

Pour sa présentation menswear Fall-Winter 2022/23 ainsi que sa collection féminine pre-fall 2022, Nicolas Di Felice a choisi de faire une petite déclaration d’amour aux clubbers qui squattent ici et là les raves ou les soirées house et techno du moment ; le tout en y apportant une petite touche kinky (tops en latex, cuissardes, bretelles inspirées des croisements de harnais…). Pas étonnant donc que la collection – qui se compose de quatre couleurs (blanc, noir, rouge et vert bouteill) et qui invite clairement à danser en faisant fi de toutes les ontraintes, et si possible en étant ultra-looké.e et pimpé.e au max, porte le nom de “Courrèges Club”. À l’approche de la date fatidique de la réouverture des clubs (le 16 février prochain, on compte les jours), c’est plutôt bien vu…

7. Mon truc en plumes / Mon truc à poil
Hermès FW22/23, AMI FW23/23, GMBH FW22/23, Rhude FW22/23

Toutes les marques semblent s’être passé le mot. Préparez-vous, l’automne-hiver prochain il faudra y laisser des plumes et/ou se mettre à poil. Que ce soit chez AMI, Rhude, Courrèges, Acne, Dries van Noten, GMBH, Jil Sander, Loewe, Y/Project ou Hermès, la moumoute plumes ou poil est partout, qu’elle prenne simplement la forme d’un col, de manches, de poignées ou de manteaux tout entiers.

8. La mouvance homo-érotique
Loewe FW22/23

Cette saison, certains créateur.rice.s ont clairement fait référence à la crypto-culture homosexuel. Chez Loewe, Jonathan Anderson a collaboré avec les artistes Edgar Mosa et Joe McShea pour construire un décor inspiré de Fire Island (la fameuse île au large de New York, connus être un havre de paix et de fête pour la communauté gay depuis les années 50) avec du sable fin et drapeaux arc-en-ciel flottant aux milieux des invités ; le tout complété par des mannequins dont on pouvait voir énormément de peau. « Montrer la chair est moderne en ce moment », a raconté JW Anderson. Une direction suivie par Louis Gabriel Nouchi qui a laissé apparaître les pectoraux musclés de ses mannequins à moustache. Dans son défilé, inspiré par « Les Paradis artificiels » de Baudelaire (1860), les models, dont certains semblaient encore être sous substance, donnaient l’impression de sortir tout droit d’un club endiablé. Pour preuve : le débardeur déchiré ou encore la veste remise à la hâte par-dessus un slip.

GMBH FW22/23, Loewe FW22/23, Rick Owens FW22/23, Louis Gabriel Noucbi (LGN) FW22/23

Ce côté sexy avec du corps dénudé, on l’a aussi retrouvé chez Rick Owens qui a pensé son défilé comme une tribune contre l’intolérance. avec des mannequins portant des sortes de couronnes égyptiennes en néons, complétées avec doudounes ultra-volumineuses et géométriques ainsi que quelques chaînes SM. Enfin, ce sont les créateurs de GmbH, basés à Berlin, qui ont lancé une réflexion sur leur identité, entre islam et homosexualité, dogme et plaisirs. Sur le podium, les models portaient des caftans aux allures de minijupes (ces derniers étant inspirés par un sous-vêtement ottoman du XVIe siècle) ou encore des vestes croisées avec cuissardes. Bref plus queer, tu m’appelles. Et le duo de créateurs à la tête de la marque d’ajouter : « Il y a tant de gays et queers musulmans à travers le monde, observent-ils. On a vécu nous aussi cette adolescence difficile, tiraillée, à lire le Coran tout en ayant les hormones en feu, et nous voulions ici leur montrer qu’on peut allier les deux. Cette collection est pour eux. »

9. Monochromania
GMBH FW22/23, Rhude FW22/23, Rains FW22/23, Rains FW22/23

Blanc, rouge foncé, jaune, orange, kaki, rose, vert sapin, fucshia : l’hiver prochain vous pourrez aller piocher la couleur que voulez. Seule condition à respecter, que la mettiez de la tête au pieds comme chez Bianca Saunders, Pigalle, Rhude, Rains, Courrèges, Paul Smith, ou encore GMBH.

10. Oui, c’est bien la taille qui compte
Hed Mayner FW22/23,  Jil Sander FW22/23, AMI FW22/23, Acne FW22/23

Petite nouveauté chez l’homme, la taille est particulièrement marquée cette saison. Le plus souvent sur de long manteaux ultra-élégants, comme chez Hed Mayner, Ami, Jil Sander, Acne, Y/Project ou encore Casablanca, permettant ainsi à la silhouette masculine de se doter d’une option stylistique supplémentaire sur la façon de marquer cet attribut physique trop souvent associé à la silhouette féminine.

11. Living for the drama
Arturo Obegero FW22/23

Dentelle, jeux de transparence ou de volume, grande traîne, grande écharpe, long manteau XXL, drapés : une forte sensation de drama a parcouru les podiums de cette saison masculine. Chez Arturo Obegero, l’univers du décor créé à partir de grands rideaux drapés en velours rouge venait s’associer à des dos nus et de la dentelle, le tout avec des silhouettes racées noires ou blanches à l’aspect théâtral très prononcé. Chez Rains, les manteaux s’allongent, les faisant ressembler à des traînes comme pour indiquer un statut social particulier, presque royal. Chez GMBH, la silhouette homme prend du volume et des allures de robe couture spectaculaires. alors que chez AMI les écharpes boa XXL habillent le cou des mannequins et traînent presque sur le sol.

AMI FW22/23, ARTURO OBEGERO FW22/23, GMBH FW22/23, Rains FW22/23
12. Fous ta cagoule
Walter van Beirendonck FW22/23, Paul Smith FW22/23, Loewe FW22/23, Walter van Beirendonck FW22/23

En prévision d’un automne-hiver qui risque encore d’être fortement perturbé par la pandémie de Covid-19, certains créateurs et créatrices ont choisi de proposer des cagoules. C’est le cas de Paul Smith, JW Anderson chez Loewe et Kim Jones chez Dior. Une façon pour eux qui reste bien plus cool que de porter un énième masque chirurgical (qui en plus a généralement une fâcheuse tendance à jurer avec le reste de votre outfit. Voilà un problème désormais résolu). Fous ta cagoule, sinon t’auras les boules, comme disait feu Fatal Bazooka.

13. Grandeur Nature
Ouest Paris FW22/23

Peut-être comme un énième appel à la préserver et à la ménager, les collections issues de la jeune création se sont fortement inspirées de la nature, de ses grands espaces et de ses paysages. C’est le cas de la toute nouvelle marque Ouest Paris créée par Arthur Robert (un ancien de chez Ami) qui a proposé des silhouettes workwear et outdoor en s’inspirant du grand Ouest américain, tout comme du sud de la France et de la côte ouest américaine. Quant à la marque Rier, fondée par l’autrichien Andreas Steiner, elle impose une ligne inédite de basiques non-genrés inspirés par la tradition tyrolienne (région d’origine du créateur), ses corps de métiers et ses paysages montagneux emblématiques.

14. Le tailoring revisité version 2022
AMI FW22/23, AMI FW22/23, CASABLANCA FW22/23, CASABLANCA FW22/23

Une fashion week homme sans tailoring ne serait pas une vraie fashion week. Classique et indispensable du vestiaire masculin, le costume a été revisité de différentes manières pour s’adapter à tous les goûts, tous les styles et toutes les morphologies. Chez Lemaire, plus minimaliste que jamais, il se porte le col levé. Chez Hed Mayner et Sean Suen, il adopte des épaules ultra-larges façon années 1980 alors que chez Dries van Noten, c’est le pantalon qui s’élargit et gagne en fluidité. Chez Ami, la veste de costume casse les codes et se pare de rose ou de vert fluo quand chez Casablanca elle se pare d’imprimés ou couleurs ultra pop.

Bonus. Le coup de maître de Prada à Milan
Prada menswear FW22/23

Alors oui, ce report est censé se concentrer sur la fashion week homme Parisienne. Alors pourquoi mettre Prada dedans ? Eh bien parce qu’on aurait aimé faire un report exclusivement sur la fashion week homme homme milanaise mais, autant dire que depuis le départ de Gucci et de Bottega Veneta du calendrier officiel, Milan semble un peu endormie et ne plus trop rêver. À l’exception bien entendu de Prada qui reste l’une des seules maisons qui arrivent encore à marquer les esprits, tant par ses collections que ses set designs. Du coup, ça méritait bien un petit focus sur leur dernière collection homme fall-winter 2022/23.

L’obsession de Muccia et Raf Simons pour l’automne-hiver 2022/2023 ? Retravailler et réinterpréter le concept du vêtement de travail et des uniformes d’entreprise. Pour ce faire, le duo a conçu des pièces sobres mais pas minimalistes pour autant, avec toujours cet attrait pour la modernité et une certaine idée du futur propre à Raf Simons, qui a le mérite de se marier parfaitement bien avec le goût et l’expertise de Muccia pour la couture et les tissus luxueux. Résultat, la collection est dynamique avec des trenchs oversize bleu profond, resserrés à la taille, des combinaisons en cuir verni moutarde et vert citron, des juxtapositions de pantalons amples ou encore des silhouettes aux épaules parfaitement nettes. Une particularité à noter cette saison : les pardessus épais avec quelques détails en mohair et ainsi que quelques empiècements de fourrures sur les manches. Et qui dit travail et uniforme dit forcément cols blancs et cols bleus. Et qui de mieux que les acteurs Jeff Goldblum et Kyle MacLachlan pour incarner cette collection, qui n’était sans rappeler une l’esthétique des films SF d’Orson Welles. Un sans faute.