Bientôt à l’affiche de Novembre, le film de Cédric Jimenez retraçant les attentats du 13 novembre 2015 (sortie le 5 octobre 2022), Sami Outalbali a réussi à s’imposer comme l’un des acteurs les plus prometteurs et émancipateurs de sa génération grâce à une sensibilité qui semble être son plus bel atout.

Visage discret de la nouvelle génération d’acteurs français, Sami Outalbali est toujours là où se fait sentir le vent du renouveau. Son parcours se dessine de la série Fiertés, de Philippe Faucon, à Une histoire d’amour et de désir, de Leyla Bouzid, qui lui a valu une nomination pour le César du Meilleur Espoir masculin cette année, en passant par le sésame d’un beau rôle de teen dans Sex Education. Un comédien de son temps, désireux de participer aux transformations de la représentation actuellement à l’œuvre, pour une plus grande visibilité des personnes minorisées, la disparition des stéréotypes ou plus simplement la renaissance du genre fantastique en France.

Veste et pantalon en laine brodée, Chemise en satin, Louis Vuitton.
Veste, Pantalon et pull en laine, Boots en cuir, Louis Vuitton.

Mixte. Comment as-tu commencé ta carrière d’acteur ?
Sami  Outalbali.
Je posais pour des photos de pub quand j’avais 3 ans. Un jour, sur un shooting, je me suis mis à faire des bêtises, à faire l’idiot. Un photographe a lancé : “Tiens, il devrait faire de la comédie.” Ma mère a dit : “Ah oui, pourquoi pas. Ce sera une activité extrascolaire, comme le football ou le judo. Si ça ne te plaît pas, tu arrêtes immédiatement. Si ça te plaît, tu continues.” Voilà, c’est parti comme ça.

M. Et ça t’a plu de faire de la comédie ?
S. O.
Énormément ! Ça a même pris de plus en plus de place en grandissant. Je suis devenu carrément passionné. Je commençais même à en dépendre un peu émotionnellement. Plus je tournais, plus j’étais heureux, et j’étais triste dès que je n’étais plus sur un plateau.

M. Tes parents étaient inquiets ?
S. O.
Oui et non, car en même temps ça m’a cadré. Comme j’étais un peu branleur à l’école, mon père et ma mère ne m’autorisaient à faire des films que si j’avais des bonnes notes, sinon je n’avais pas le droit de tourner. C’était une bonne motivation… Tous les parents font un peu de chantage, les miens c’était avec le cinéma. La priorité pour eux, c’était l’école. Du coup, il n’y a pas eu de truc malsain, ils n’ont pas tenté de faire de moi un quelconque produit ou je ne sais quoi dans ce genre.

M. Est-ce que tes parents t’ont transmis le goût du cinéma par ailleurs ?
S. O.
Oui, mais ce sont des souvenirs tellement lointains… Je me souviens qu’avec mon père, on partait le vendredi en fin de journée faire une razzia chez Video Futur, et on passait le week-end devant des vieux films d’action et de kung-fu. Ma mère, elle, avait une approche un peu plus cultivée… De temps en temps, un film qu’elle jugeait important passait sur Arte le soir. Alors, on le regardait ensemble, ce qui m’octroyait surtout le droit de me coucher plus tard ! J’ai vu beaucoup de films ainsi, et en même temps je ne suis plus capable de te citer un titre. C’était dans l’enfance… Mais ça m’a laissé des images, des émotions.

M. Qu’est-ce que le cinéma suscitait comme émotions chez toi quand tu étais petit ?
S. O. 
Ça créait surtout des lubies. J’avais toujours envie de faire le métier que le héros exerçait : je voulais être basketteur devant Space Jam, paléontologue devant Jurassic Park, etc. J’ai eu tout une période où je disais que je deviendrai physicien théoricien – je ne sais plus à cause de quel film… – alors que j’étais archi nul en maths !

Manteau en laine4, Chemise en coton, Louis Vuitton.
Veste en cuir, Louis Vuitton.

M. C’est drôle, pour un enfant acteur, de fantasmer toutes les vies qu’il pourrait avoir plus tard…
S. O.
Peut-être… En tout cas, je trouve que le cinéma me sert notamment à ça aujourd’hui, à vivre d’autres vies, différents métiers. Mais pour autant, je n’ai jamais été frustré d’être acteur : ça a été très tôt une passion véritable. Et j’ai su également assez tôt – vers 16 ou 17 ans – que je voulais faire ça de ma vie et rien d’autre, grâce à la série Les Grands qui est arrivée à un moment un peu charnière de mon adolescence. Ça m’a plongé dans mon plaisir absolu de jouer, ça m’a permis de développer un personnage et tout simplement aussi de travailler, puisqu’elle a quand même duré quatre ans.

M. Parmi les acteurs de ta génération, tu es peut-être celui qui a le plus fait ses preuves par les séries plutôt qu’au cinéma, ce qui est rare en France. Pourquoi ça ?
S. O.
Ça n’était évidemment pas délibéré. J’ai raté tous mes castings de ciné sur des rôles qui me plaisaient ! Mais j’ai aussi l’impression que les séries sont un terrain sur lequel les clichés sur les acteurs arabes sont moins forts qu’au cinéma, peut-être parce que les décideurs sont plus jeunes… Dans Les Grands, ou dans Mortel, il n’y a pas une seule mention de mon origine, on ne m’a jamais demandé de prendre un quelconque accent, rien de ce genre. Au cinéma, j’ai le sentiment que ces réflexes sont plus tenaces. Et c’est vrai que dès que je sens qu’il y a un risque par rapport à ça, je refuse de faire le film dès l’étape du casting.

M. Quand on voit ta carrière, on constate que tu continues d’accepter des seconds, voire des petits rôles, alors que ton statut pourrait te permettre de les refuser. Pourquoi ?
S. O.
Je m’en fous. Si l’histoire est belle et le personnage fort, pour moi c’est tout ce qui compte. Par exemple, j’avais passé le casting pour le rôle principal de Viens je t’emmène d’Alain Guiraudie. Ils ne m’ont pas pris, et je ne me suis pas formalisé. Après, ils m’ont rappelé pour un tout petit rôle. J’avais à peine deux jours de tournage, mais j’ai saisi l’opportunité parce que c’était un rêve de travailler avec Guiraudie : c’est quelqu’un d’à la fois très drôle et d’extrêmement précis. Je n’en ai pas vu grand-chose, mais au fond qu’est-ce qui reste, l’œuvre ou ton travail ? Moi je suis au service d’un film, d’un projet, d’une idée. Je n’ai pas la prétention de vouloir être toujours au centre.

M. La bascule de ta carrière, c’est bien évidemment Sex Education. Est-ce que jouer dans un teen movie américain, et dans une autre langue, c’est tout réapprendre ?
S. O.
Oui. Mais ce qui change, ce n’est pas tant la langue que le jeu : ils ont un autre rapport à l’acting. Il faut se mettre au diapason. Je dirais qu’en gros, tu dois être dans une incarnation très forte de ton personnage. Et ils sont tous comme ça. Il faut vraiment switcher pour devenir cette image, ce mec de teen movie. Ce sont des compositions intenses, très engageantes. J’apprends énormément.

Veste en cuir, Pantalon en coton, Louis Vuitton.
Chemise en coton, Pantalon en denim, Sac Keepall 50B LV Graffiti en cuir, Boots en cuir, Louis Vuitton.

M. La porte vers Hollywood est-elle ouverte ?
S. O.
Ce sont des choses qui prennent du temps. Mais j’ai effectivement un agent là-bas maintenant. Donc j’ai des castings pour l’Angleterre, pour les États-Unis. C’est très intimidant de se dire qu’il y a des gens là-bas qui se disent : “Tiens, on va faire un zoom avec ce gars, il peut nous intéresser”. J’ai grandi dans les Yvelines. Ça en fait de la route…

M. En France, Une histoire d’amour et de désir t’a récemment fait gravir un nouvel échelon avec une nomination aux César. Quel est ton souvenir du tournage ? As-tu senti que le film allait être fort à ce moment-là ?
S. O.
Je l’ai senti avant, dès le scénario. C’était d’une beauté comme je n’en avais encore jamais vu, jamais lu. Le perso était loin de moi. Leyla, la réalisatrice, m’avait vu dans Fiertés, et elle a senti que j’avais quelque chose. Ce n’était pas évident pour moi à ce moment-là, car je jouais alors dans Sex Ed, une composition très axée sur le charisme, la présence. Mais elle a vu cette timidité, cette fragilité propre au personnage d’Ahmed. Alterner les deux a été une expérience très intéressante à l’époque.

M. Est-ce que le climat d’effondrement dans lequel le cinéma est actuellement plongé t’inquiète, te perturbe ?
S. O.
Ça a été difficile de voir que les théâtres et les cinémas ne rouvraient pas, contrairement aux centres commerciaux ou aux bars… Et c’est dur aujourd’hui de voir que ça peine à redémarrer. Le problème, c’est qu’on s’est habitués pendant des mois à regarder des films sur nos petits écrans. Or je crois qu’il n’y a rien qui puisse remplacer l’expérience de la salle, et que c’est la meilleure manière de découvrir les films qui sont pensés pour être visionnés sur grand écran. Le montage, le mixage, l’étalonnage, tous les corps de métier, tous ces savoir-faire sont pensés pour les salles de cinéma. Je n’ai jamais rencontré un chef-op qui éclaire une scène en pensant au rendu sur un iPad.

M. On te verra très bientôt, le 5 octobre très précisément, dans Novembre, une reconstitution de la traque des terroristes du 13-Novembre, réalisé par Cédric Jimenez. Est-ce un film important pour toi ?
S. O.
Bien sûr. J’espère vraiment qu’il va attirer le public. À Cannes, l’accueil a été très bon. J’ai vécu des choses fortes sur le tournage, notamment dans une séquence de recueil de témoignages au chevet des victimes hospitalisées, qui a été reconstituée à partir de témoignages bien réels. C’est quelque chose de très fort à vivre, parce que les traumatismes sont immenses, bouleversants, et en même temps la pudeur du film c’est de ne pas laisser l’émotion des policiers affleurer d’une manière qui prenne le pas sur leur travail ou sur les victimes. Donc, il faut se tenir. C’est la responsabilité du film de préserver cette dignité et je la sentais peser sur moi. Ça a été très fort.

M. As-tu des objectifs, des rêves que tu aimerais accomplir via le cinéma ?
S. O.
J’aimerais un jour me confronter à la question de mes origines. Ma famille vient du Maroc et de la Guadeloupe. J’ai l’impression que cette histoire commune se perd dès lors qu’on veut parler de choses antérieures aux années 1970. C’est comme si ça n’avait pas existé… J’aimerais que ces histoires soient racontées

Novembre de Cédric Jimenez, en salles le 5 octobre.

Chemise et pantalon en laine à fleurs floquées et texturées, Louis Vuitton.
Pull en laine et pantalon en coton, Boots en cuir, Louis Vuitton.
Veste en laine brodée, Louis Vuitton.
Veste et pantalon en laine, Boots en cuir, Louis Vuitton.

PHOTOGRAPHE : Laurent HUMBERT / FASHION DIRECTOR : Franck BENHAMOU / TALENT : SAMI OUTALBALI @ IMG / COIFFURE : Shuhei NISHIMURA @ Wise&Talented / MISE EN BEAUTE : Steven CANAVAN @ WSM / ASSISTANTE STYLISTE : Léa SANCHEZ / ASSISTANT LUMIERE : Antoine LEBAS / OPÉRATEUR DIGITAL : Régis HOUZET